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Aux lacs de Miribel et du Grand Large, les « algues » de la discorde

Les « algues » refont parler d’elles.

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Myriophylles en épi sur le lac de Miribel (août 2015) - Crédit Eva Thiébaud

Après plusieurs opérations de faucardage (coupe des herbes) au Grand Large, à Décines, un nouveau projet prévoit de couper 75 hectares sur les 150 existants, et de créer une zone naturelle d’un hectare d’herbier aquatique pour le frayement des poissons, raconte Le Progrès (payant).

Pour recueillir l’avis des usagers du plan d’eau, très divisés sur le sujet, une enquête public a été ouverte le 22 février jusqu’au 22 mars.

> Nous republions notre article du 28 août dernier.

Myriophylles en épi sur le lac de Miribel (août 2015) - Crédit Eva Thiébaud
Myriophylles en épi sur le lac de Miribel (août 2015) – crédit Eva Thiébaud/Rue89Lyon

« Berk ». Voilà l’interjection consacrée lorsque sont évoquées les eaux du lac de Miribel, où s’ébattent baigneurs, pratiquants d’activités nautiques… et longues plantes aquatiques vertes peu ragoûtantes. Sur l’autre plan d’eau important de l’agglomération, le réservoir du Grand Large, les plaisanciers râlent aussi face à un envahissement chronique. Mais ces herbiers que haïssent les « voileux » et les nageurs, les pêcheurs les adorent… D’où viennent ces « algues » et que faire contre elles ?

« Autour des années 2010, j’ai dû abandonner la pratique du dériveur sur le Grand Large : les « algues » proliféraient et se prenaient dans le gouvernail, impossible de naviguer. Depuis, je fais de la planche à voile sur le lac de Miribel, ce qui reste possible avec un aileron anti-algue. Cette année, les « algues » sont arrivées plus tard, et j’ai pu me réinscrire dans un club de voile du Grand Large. »

Ainsi résume la situation Eric Démarez, plaisancier et planchiste fréquentant les deux points d’eau depuis 25 ans. Ce manipulateur en radiologie médicale de 52 ans filme ses sorties nautiques, où l’on découvre -entre autres- à quel point la planche à Miribel évoque une expérience de vol au dessus d’une forêt subaquatique (vidéo ci-dessous à partir de 0’38 »).

Ces « algues » ne datent pourtant pas d’hier. Il semblerait qu’elles aient commencé à foisonner au début des années 2000, bien que certains riverains historiques se souviennent auparavant de leur présence plus modérée.

Au réservoir du Grand Large, certains associent leur apparition massive avec le désenvasement du lac en 2004, qui, rendant l’eau plus transparente, a favorisé la pénétration des rayons du soleil et la photosynthèse. Pourtant, cette prolifération coïncide avec celle constatée également dans les lacs de Miribel, où aucun curage n’a eu lieu.

D’autres observateurs mentionnent l’été caniculaire de 2003, qui aurait stimulé la pousse.

Quant au réchauffement climatique, le soleil et la chaleur favorisent bel et bien la prolifération… mais il serait audacieux d’établir une corrélation totale et directe.

A partir du début des années 2010, le Progrès publie sur la colère des usagers au Grand Large. Mais en l’absence d’études de suivi des espèces sur le long terme, il est difficile de se forger une opinion précise sur la quantité et l’histoire du développement de ces plantes.

Car il ne s’agit pas d’algues, mais bien de plantes aquatiques. Les algues ne possèdent en effet ni racines, ni tiges et effectuent la photosynthèse grâce à tous leurs tissus. A Miribel et au Grand Large, ce sont bien des plantes -réalisant donc la photosynthèse grâce à leurs feuilles- qui pullulent, et non des algues. Mais quel que soit le nom que porte la chose, le dégoût est toujours de mise quand on patauge dedans. Quelles peuvent donc être les raisons de cette invasion ?

Phosphore, es-tu là ?

Le développement massif des végétaux aquatiques est souvent attribué à un milieu riche en nutriments, en particulier en phosphore, comme l’explique l’ancien chercheur à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) de Thonon-les-Bains, Guy Barrouin :

« La sédimentation, phénomène de dépôt des particules présentes dans l’eau, a lieu uniquement dans des endroits calmes, lacs ou bords de rivière protégés. Quand ces sédiments sont suffisamment pourvus en phosphore, les végétaux supérieurs aquatiques peuvent s’y développer. »

Ajoutez un peu de chaleur et de lumière, et la touillette de la vie a lieu. Ces conditions idéales se réunissent avec bonheur dans les lacs clairs et peu profonds de Miribel ou du Grand Large, où les rayons du soleil traversent facilement les quelques mètres de profondeur pour agacer le fond, et où les eaux se réchauffent rapidement.

Aux Eaux bleues, le principal lac de Miribel, ainsi qu’au Grand Large, la quantité de phosphore stockée dans les sédiments  reste modérée (respectivement environ 500 et 600 mg de phosphore par kg de matière sèche), mais suffisante pour la croissance des herbiers.

Bonne qualité des eaux à Miribel

Contrairement à la quantité de phosphore dans les sédiments, celle contenue dans l’eau elle n’a que peu d’influence sur les plantes. Catherine Petit occupe le poste de chargée de mission pour le Rhône au sein de la Segapal, société publique chargée de la gestion et de l’animation du Grand Parc Miribel Jonage. Elle éclaircit dans un sourire tous les préjugés portés sur la qualité des eaux de Miribel :

« Le lac des Eaux Bleues constitue une ressource en eau potable pour l’agglomération lyonnaise. Il existe une station de pompage à cet effet en aval du lac. Toute l’île se trouve en périmètre de protection de captage. Autant dire qu’on ne plaisante pas avec la qualité de l’eau. »

Catherine Petit, chargée de mission à la Segapal, au bord des Eaux bleues - Crédit Eva Thiébaud
Catherine Petit, chargée de mission à la Segapal, au bord des Eaux bleues – Crédit Eva Thiébaud

Les données de l’Agence de l’eau le confirment, montrant notamment une diminution du niveau de phosphore entre les relevés de 2010 et ceux de 2013 (le niveau passe de moyen à bon) et soulignant la bonne qualité des eaux.

Du côté du Grand Large, les études de 2009 et 2012 montrent un potentiel écologique moyen et un niveau de phosphore moyen. Le Syndicat intercommunal d’aménagement des berges du canal de Jonage (Siacj) a pris la mesure du problème, et fait réaliser un diagnostic complet du plan d’eau pour proposer des actions et aménagements visant à rétablir un bon état des eaux. La Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) souligne que des actions d’amélioration ont déjà été entreprises :

« Des actions ont déjà été menées pour réduire les rejets d’eaux usées. Des travaux ont ainsi été réalisés en 2011 par le Grand Lyon sur la station d’épuration de Meyzieu, qui rejette dans le canal de Jonage en amont du Grand Large, pour améliorer ses performances. »

Un comportement envahissant

Quoiqu’il en soit, les plantes sont là. A Miribel, le Myriophylle en épi, une espèce commune, omniprésente dans les canaux et cours d’eau (par exemple dans la darse de Confluence), prolifère. Cette plante locale et peu exigeante tend à occuper toute la place disponible, contrairement par exemple à la Grande Naïade, une espèce protégée beaucoup moins présente sur le plan d’eau. Claude Durrieu, chercheuse au Laboratoire d’écologie des hydrosystèmes naturels et anthropisés (Lehna) de Villeurbanne et Vaulx-en-Velin analyse :

« Le lac de Miribel, ce n’est pas une piscine, mais un lac naturel. L’île de Miribel-Jonage est classée Natura 2000. Il ne faut pas oublier que, d’une part, les herbiers aquatiques servent d’abri aux poissons pour se reproduire et que, d’autre part, ils nourrissent certains oiseaux. Ici, ces herbiers sont loin d’être excessifs. Par contre, ce qui peut être inquiétant, c’est le développement massif d’une plante au détriment des autres. »

Claude Durrieu, chercheuse au Lehna, à la buvette la Baraka au Grand Parc - Crédit Eva Thiébaud
Claude Durrieu, chercheuse au Lehna, à la buvette la Baraka au Grand Parc – Crédit Eva Thiébaud

Ce qui pourrait être le cas à Miribel, où le Myriophylle en épi fait des siennes, et adopte un comportement légèrement envahissant, risquant de nuire à la biodiversité. Du côté du Grand Large, entre une dizaine d’espèces dont le Myriophylle en épi ou la Grande Naïade, dominent le Cératophylle immergé, une espèce autochtone, et l’Elodée de Nutall. Cette dernière espèce, originaire d’Amérique du Nord, a été introduite et son comportement est dit « invasif », concurrençant les espèces locales.

Régate hivernale et fauchage des plantes aquatiques

Quelles que soient les causes, multiples et mystérieuses, de cette multiplication de plantes aux noms aussi poétiques qu’imprononçables, leur présence dérange usagers et syndicats gestionnaires. Au Grand Large, l’activité nautique est prépondérante. Outre une dizaine de clubs de voile, on y trouve un club d’aviron et un club de kayak. Les « voileux » déplorent encore cette année de grandes nappes de « pelouse » verdâtre flottant au dessus du plan d’eau et limitant la navigation. Comme Christophe Plathier, retraité et président du SAL Yachting Grand Large, l’un des clubs de voile habitant les berges :

« Ce plan d’eau a une vraie vocation nautique, et les « algues » posent vraiment problème. Quand elles se prennent dans le gouvernail, le bateau ne peut plus être manoeuvré, et on risque un accident. On a de moins en moins d’adhérents au club. Comme les algues commencent à pousser fin mai, et restent jusqu’en octobre, on est obligé d’organiser la plupart des régates en hiver, avec les soucis et les risques que posent cette période de froid. »

En 2010, navigation entre les pelouses au Grand Large - Crédit Benoît Frottier
En 2010, navigation entre les « pelouses » au Grand Large – Crédit Benoît Frottier

Des solutions à court terme doivent être trouvées pour gérer ces plantes aquatiques proliférantes. A Miribel et au Grand Large, les syndicats qui gèrent les lieux ont choisi la même et peut-être unique solution : le faucardage, c’est-à-dire le fauchage des plantes aquatiques. Catherine Petit, la chargée de mission pour le Rhône à la Segapal en charge de Miribel explique :

« Au Grand-Parc de Miribel-Jonage, on faucarde au minimum : zones de baignade, zones d’activités de la base nautique et prise d’eau de la zone de captage. Et c’est tout. Si les raisons sont pour partie économiques, il faut aussi éviter de disséminer encore davantage les plantes. Une fois coupées, si quelques unes se déposent au fond, elles bouturent et se propagent… »

Faudardeuse en moisson sur les Eaux bleues. Les algues coupées sont stockées dans la benne blanche à l'arrière - Crédit Eva Thiébaud
Faudardeuse en moisson sur les Eaux bleues. Les algues coupées sont stockées dans la benne blanche à l’arrière – Crédit Eva Thiébaud

Une solution qui ne convainc pas les planchistes indépendants, naviguant en dehors de ces zones et rêvant d’un espace vraiment nautique au Grand-Parc. La Segapal doit quant à elle combiner les exigences de baignade, de promenade, d’une base nautique, mais également celles d’une zone Natura 2000, d’une ressource en eau potable ainsi que la gestion des crues du Rhône.

 Herbiers ou pas ? « Voileux » vs pêcheurs

Au Grand Large, en parallèle de son importante vocation nautique, d’autres usagers hantent les rives et les vagues du lac : les pêcheurs, attirés par un des meilleurs spot à brochets de France. Le plan d’eau a été classé en zone de frayère – le lieu où se reproduisent les poissons- pour le brochet par arrêté préfectoral en 2013. En effet, les herbiers aquatiques abondants garantissent des caches idéales pour la ponte, mais aussi pour la chasse.

Bref, ces herbiers que haïssent les « voileux », les pêcheurs les adorent. Entre les deux, le Syndicat intercommunal d’aménagement tente de contenter tout le monde, à travers la voix de sa cheffe de projet, Maud Tourvieille :

« Le faucardage est réglementé par le code de l’environnement. Nous établissons un plan de faucardage en concertation avec les présidents des clubs de voile, le Grand Lyon et la fédération de pêche. Mais pour toute destruction de frayères à brochet, nous devons mettre en place des mesures compensatoires, comme la renaturation et le réaménagement de frayères en amont. »

Maud Tourvieille, cheffe de projet au Siacj - Crédit Eva Thiébaud
Maud Tourvieille, cheffe de projet au Siacj – Crédit Eva Thiébaud

Malgré l’objectif affiché de concertation du Syndicat, certains trouvent que la communication reste insuffisante. C’est le cas d’Henri Garcia et de Benoît Frottier, membres du bureau au Cercle de la voile de Lyon (Cvl) :

« On voit bien que certaines zones sont fauchées, mais pas d’autres… Juste après l’achat de la faucardeuse, en 2010, le lac a été intégralement faucardé, mais plus ces dernières années… En fait, on ne cherche pas la polémique, on voudrait juste comprendre ce qui se passe. »

Benoît Frottier et Henri Garcia, en ballade sur le Grand Large - Crédit Eva Thiébaud
Benoît Frottier et Henri Garcia, en balade sur le Grand Large – Crédit Eva Thiébaud

Les raisons de la prolifération des herbiers sur les deux lacs restent aujourd’hui inconnues. Au dessus de ces « algues », naviguent les tenants des lacs propres, baignables et navigables, des amateurs de pêche au brochet, parfois des techniciens de captage en eau potable, des cygnes et des canards.


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