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À Grenoble, les coulisses du chantier de la démocratie locale

Eric Piolle, maire écolo, voudrait faire de Grenoble un modèle en matière de démocratie participative. Ce week-end, des « assises citoyennes » vont mettre à plat le travail d’une centaine de volontaires, préparant de futurs « conseils citoyens indépendants ». Que peut-il en découler, qui le projet fédère-t-il en dehors de militants et habitués de la politique locale ? Nous avons suivi le déroulement des grosses oeuvres.

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À Grenoble, les coulisses du chantier de la démocratie locale

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200 personnes présentent – dont beaucoup d’habitués – pour « renouveler la démocratie locale », le 27 septembre. Crédit : VG/Rue89Lyon.

C’est un chantier en trois temps. Mais ces assises citoyennes marquent déjà le début du deuxième. Car la première phase des travaux a démarré plus discrètement samedi 27 septembre, quand la mairie a ouvert ses portes à une réunion publique marquant le lancement de l’élaboration des conseils citoyens indépendants (CCI).

Ces organismes deviennent obligatoires dans les quartiers classés « politique de la ville ». Aussi la nouvelle municipalité en profite-t-elle pour étendre leur champ d’action à l’ensemble de la ville de Grenoble, sur les question d’éducation, d’urbanisme, de culture et de vie de quartier.

Ce jour-là, 200 personnes ont fait le déplacement pour poser les premiers jalons. Les « citoyens » ont ensuite été divisés en groupe de travaux chargés de réfléchir à l’indépendance, au fonctionnement interne, aux rôles et aux moyens des futurs conseils citoyens indépendants (CCI). Libre à eux de proposer un maximum de scénarios.

Toutes ces contributions – comme celles proposées par des associations et des partis – seront examinées lors des assises citoyennes. Ensuite, la finition sera apportée par une commission mixte paritaire, qui définira en janvier prochain le modèle adopté avant de le soumettre au vote du conseil municipal. Voilà pour le process.

 

Nouveau souffle VS usine à gaz

Pour cette première réunion à l’hôtel de ville, beaucoup de têtes grises siègent dans les rangées. On reconnait aussi de nombreuses figures du militantisme associatif et politique grenoblois. Enfin, on retrouve d’ex-membres des conseils consultatifs de secteurs (CCS) – désormais dissous – ou des adhérents d’unions de quartiers qui craignent que ce procédé accouche d’une pâle copie de leurs organisations. Certains cumulent les trois étiquettes.

À y regarder de plus près, on repère rapidement les quelques néophytes en matière de « démoloc », comme l’abrègent les habitués. Volontaires, mais un peu perdus dans cette foule qui se connaît déjà, ce sont ceux qui n’ont pas encore approché leurs sièges des groupes d’accointance qui ne tardent pas à se former. Alain fait partie de ceux-là. Cet enseignant trentenaire au crâne rasé explique sa présence :

« J’ai l’impression que ce sont toujours les mêmes qui s’impliquent. Je me suis intéressé à la campagne municipale. Je ne sais pas vraiment ce qui se faisait avant mais j’ai senti quelque chose de nouveau avec la victoire d’Eric Piolle, qui m’a donné envie de participer davantage ».

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Alain et Jean-Pierre pendant un atelier de discussion, le 27 septembre 2014. Crédit : VG/Rue89Lyon.

Les habitués sont plus circonspects. Juste à côté, Jean-Pierre, retraité habitant le quartier des eaux-claires, consacrait une partie de son temps au conseil consultatif de son secteur.

« J’ai peur que tout ce processus ne soit qu’une énorme usine à gaz. Chaque nouvelle municipalité se sent obligée de refondre les outils de démocratie locale pour imposer sa marque. Il faut à chaque fois repartir à zéro. Mais essayons ».

 

« Passer de la citadelle à la cité »

Au micro, Eric Piolle, le maire écolo, justifie la démarche avant de s’installer en fond de salle, en témoin.

 « Le cheminement de construction de la démocratie locale est tout aussi important que la démocratie locale elle-même ».

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Eric Piolle, maire de Grenoble, fixe son ambition : « une ville à la démocratie renouvelée », le 27 septembre 2014. Crédit : VG/Rue89Lyon

Lui succède Pascal Clouaire, son adjoint à la démocratie locale. Le discours est plus clivant. D’entrée de jeu, il égratigne la majorité socialiste précédente sans ne jamais la citer, à qui il reprochait il y a peu, de ne pas écouter ses administrés en cours de mandat.

« Nous voulons passer de la confrontation à l’intelligence collective ; du contre-pouvoir au partage des pouvoirs ; de la citadelle à la cité ».

La socialiste Laure Masson qui le précédait à cette délégation s’agace de la formule.

« Je lui reconnais une communication qui fait mouche. Mais derrière ses grands discours, il a du retard au démarrage. Quand le conseil municipal a voté une révision du plan local d’urbanisme en juillet, il n’a pas pris la peine d’y associer des citoyens. Les CCS ne fonctionnaient plus, les CCI ne sont pas encore formés. Ils se sont contentés du minimum réglementaire : l’enquête publique ».

À droite aussi on fait le décompte. La conseillère municipale (UMP) Nathalie Béranger complète la liste.

« La majorité profite de ce créneau pour faire passer des mesures impopulaires, comme rompre la convention entre l’association gérant le Palais des sports ou abandonner la vidéosurveillance ».

Pour tous ces exemples, la réponse est là-même. « C’était dans notre programme ». Combien de temps la légitimité d’une élection récente suffira-t-elle ? Car le lancement des CCI n’est programmée qu’entre avril et juin 2015.

 

La technique du post-it

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Crédit : VG/Rue89Lyon.

Après les discours, Manu Bodinier reprend la main. Il représente l’association Aequitaz, mandatée par la ville pour coordonner cette première phase du chantier. « De quels problèmes les conseils citoyens devraient-ils se saisir ? Quelle conviction portez-vous ? ». En quelques questions, il mobilise l’assemblée. Les réponses sont annotées sur des posts-it. Des volontaires en font la synthèse.

« Comment impliquer la jeunesse pour la mobiliser ? Quel ancrage territorial pour les CCI ? Comment impliquer les élus tout en restant indépendant ? Comment se répartira le budget participatif ? Quelle place donner aux étrangers en situations régulière et irrégulière ».

Plutôt qu’un mur de vérités assénées, l’exercice soulève de nouvelles salves de questions. Partant de rien, elles permettent aux organisateurs de mesurer les attentes qui devront ensuite être débattues en groupe de travail. C’est ça la technique du post-it.

 

« Je pense notamment à Hocine »

Courant octobre, ces groupes se sont réunis à deux reprises. Thermos de café dans un coin de la pièce, paperboard dans l’autre, l’atmosphère est studieuse. Dans le groupe « indépendance », 25 personnes sont attablées pour la deuxième fois. Une seule a moins de 30 ans. C’est une étudiante en journalisme qui prépare un article.

La représentativité de ces grappes de citoyens interroge. Leur composition illustre parfaitement l’objectif politique donné aux futurs conseils citoyens par l’adjoint Pascal Clouaire.

« La société est transformée en centrifugeuse qui écarte toujours plus loin des catégories de population. Je parle des jeunes, des précaires et des populations étrangères. Notre objectif est d’amener ces personnes à se réconcilier, puis à se mêler de la discussion publique ».

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Participation des élus, autonomie de l’agenda … les groupes de travail votent les scénarios à main levée. Crédit VG/Rue89Lyon.

Dans la petite salle de réunion de l’hôtel de ville, la discussion se crispte rapidement autour de la place laissée aux associations dans les futurs CCI. Puis quelques instants plus tard sur celle accordée aux élus. Délibérative ? Consultative ? Faut-il les convoquer ou les inviter ? La bataille devient sémantique. Pas surprenant que certains trouvent cela abscons. Manu Bodinier a conscience de cette difficulté.

« Notre association a été contactée quinze jour avant le lancement de ce travail. Nous n’avons choisi ni le calendrier, ni le public invité en septembre, ni les méthodes de mobilisation du public. Mais ma stratégie n’est pas d’intégrer tous les publics en permanence, mais plutôt de laisser des passerelles pour que des personnes exclues puisse avoir accès à l’expression dans ces instances ».

Pendant cette phase d’élaboration, il a, par exemple, consacré du temps à des rencontres aussi informelles qu’incontournables selon lui.

« Je pense notamment à Hocine, un jeune homme qui travaille tard tous les soirs et qui ne peut pas être présent aux réunions même s’il avait manifesté de l’intérêt pour cette démarche. Je suis allé boire un café avec lui pour prendre en compte ses remarques et ses attentes. Notre équipe d’animation est très attentive à ce que les profils plus discrets – les novices – puissent exprimer leur parole sans être contraints par ceux qui ont l’habitude ».

 

2 millions d’euros promis au budget participatif

Parmi les pistes avancées pour mobiliser jusqu’aux personnes les plus éloignées de l’action publique, deux mesures reviennent régulièrement dans la discussion. Le tirage au sort d’une partie des membres des conseils citoyens et le budget participatif.

Deux leviers efficaces s’ils sont correctement actionnés selon Marion Carrel, enseignante-chercheuse à l’université de Lille, spécialisée en participation citoyenne et venue spécialement pour observer l’expérience grenobloise.

« Le tirage au sort indemnisé est judicieux sur les démarches de concertation et de décision assez limitées dans le temps, pour éviter le désengagement. Le budget participatif, lui, permet d’impliquer des personnes sur des politiques qui les concernent directement ».

Depuis 2011, la ville de Grenoble rognait chaque année son budget consacré aux conseils consultatifs de secteurs passant de 66.000 euros en 2011 à 53.000 euros en 2014. Durant sa campagne, Eric Piolle promettait 2 millions d’euros alloués au budget participatif.

En pleine finalisation du budget 2015, son adjoint Pascal Clouaire est carrément plus laconique :

« Nous verrons ça dans un dernier temps, car c’est compliqué ».

 


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