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Pourquoi la guerre en Syrie ne suscite pas autant de passion que Gaza ?

Depuis le début de l’offensive israélienne à Gaza – d’abord aérienne, puis terrestre – les prises de position et les rassemblements se multiplient en France. Si les guerres lointaines intéressent généralement peu, c’est tout l’inverse avec le conflit israélo-palestinien. Comment expliquer cela ?

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Chacun y va de son avis, de sa nuance, choisit son vocabulaire en fonction de ses affinités, se sent capable d’émettre ne serait-ce qu’un jugement à l’emporte-pièce pour se situer sur cette ligne de front. On en parle au café, au boulot, en famille, sur Internet.

Rue89 a demandé à des personnes d’horizons différents de donner les raisons pour lesquelles, à leurs yeux, cette guerre a autant d’écho en France. Pourquoi elle suscite des réactions si passionnées, des engueulades si épiques. Voici quelques-unes de leurs réponses.

« Le berceau des lieux saints des trois religions monothéistes »

Charles Enderlin, correspondant de France 2 à Jérusalem

« Ce conflit touche à l’essence même de la civilisation arabe comme judéo-chrétienne : il a lieu à Bethléem, à Jérusalem, dans le berceau des lieux saints des trois religions monothéistes.

C’est la Terre sainte des chrétiens, la Terre promise du Judaïsme et là se trouve le troisième lieu saint de l’Islam après la Mecque et Médine. Un incident sur l’Esplanade des mosquées à Jérusalem-Est intéresse davantage, dans le monde entier, qu’une manifestation à Amsterdam.

Manifester face au drame de cette population martyre de Gaza est absolument légitime. La communauté internationale et notamment européenne paie le prix des manifestations, mais elle a laissé le processus de paix israélo-palestinien aller à l’échec total et la colonisation se développer.

Quand ce sont, pour faire court, “des Arabes qui tuent des Arabes”, ça n’intéresse personne. Les dernières grandes manifestations liées au Moyen-Orient en France datent de la guerre en Irak menée par les Américains.

Malgré les 180 000 morts en Syrie, les camps de réfugiés épouvantables en Jordanie, au Liban, en Turquie, les manifestants se comptent sur les doigts de la main. Pourtant, une population musulmane sunnite se retrouve dans le dénuement le plus absolu et ne reçoit qu’une très faible aide internationale. Vu d’ici, c’est hallucinant. »

« Les autorités palestiniennes laissent les journalistes travailler »

Jean-Jacques Patry, directeur du master sociologie des conflits à l’Institut catholique de Paris

« Le conflit israélo-palestinien est un grand thème médiatique chez nous, en raison d’une longue accoutumance et de la résonance émotionnelle qu’il peut avoir pour les uns et les autres.

Mais les événements à Gaza sont plus couverts aussi pour une simple raison technique. Les autorités palestiniennes laissent les journalistes occidentaux travailler sur le terrain, pour servir leur stratégie de communication. Ce qui n’est pas le cas en Syrie, en Irak ou même chez les Ukrainiens insurgés. Dans ces contrées, un journaliste occidental est au mieux en enquiquineur à éliminer, voire un otage à monnayer. »

« Un conflit colonial après les décolonisations »

Maximilien Le Roy, auteur des BD « Palestine, dans quel Etat ? » et « Faire le mur »

« Le conflit israélo-palestinien est surmédiatisé car il réunit plusieurs facteurs très singuliers. C’est un conflit qui dure depuis soixante-cinq ans et qui s’inscrit dans une logique coloniale alors que le XXe siècle fut justement le siècle de la décolonisation. Il cristallise donc de nombreux enjeux, parfois symboliques, entre Nord et Sud (et Orient et Occident, avec la composante religieuse de ce conflit, même s’il est d’abord de nature politique).

La guerre en Syrie, beaucoup plus récente, ne s’inscrit pas dans les mêmes dynamiques : elle ne répond pas à la grille anti-impérialiste, il n’y a ni occupant ni occupé : il s’agit d’une guerre civile au sein d’une même nation et il semble, surtout pour les moins rompus aux analyses géopolitiques, bien plus complexe de départager chacun des belligérants. »

« On est dans l’information-émotion »

Antoine Sfeir, directeur des Cahiers de l’Orient

« Avec le conflit israélo-palestinien, on est dans l’émotion, dans la passion.

Lorsque les accords d’Oslo et la création d’un Etat palestinien ont été concrétisés, le Hamas est venu “jouer” le rôle du terrorisme extrémiste et a continué à représenter du pain béni pour le traitement médiatique, à l’instar des photos des morts de Gaza ou la terreur à Tel-Aviv et Haïfa.

L’information-émotion avait été très présente au début du conflit syrien, mais s’est vite dissipée devant le caractère extrêmement complexe et irréconciliable de l’opposition syrienne. »

 

L’intégralité des réponses des 9 personnes interrogées est à lire sur Rue89.


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