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Centrifugeuse de visionnage, épisode 21

Mères, planquez vos filles. Du haut de ses 21 balais, la centrifugeuse a le droit de boire de l’alcool sur tout le territoire des Etats-Unis, ou de se livrer à des tas d’activités crapuleuses. Forcément, la sélection s’en ressent.

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Centrifugeuse de visionnage, épisode 21

Nymphomaniac 2 de Lars Von Trier

Au cours d’une conversation pour le moins musclée tenue sur le sujet avec Jean-Baptiste Morain (qui se reconnaîtra), la meilleure lecture du diptyque de Lars Von Trier fut apportée par Monique Neubourg, qui, en véritable deus ex machina critique, qualifiât le premier opus de vaste auberge espagnole où chacun pouvait y lire ce qu’il voulait en fonction de son appréciation du réalisateur et de sa filmographie. Comme pour mieux illustrer cette sentence, Jean-Baptiste Morain écrivit de très loin le texte le plus virulent à l’encontre du second volet, et votre serviteur s’entête à y voir si ce n’est l’exact opposé, du moins matière à réflexion au-delà des provocations extra-cinématographiques de l’auteur.

Histoire d’énerver un peu plus les anti-Lars et anti-cochon, il convient d’énoncer avant toute chose un postulat dont l’apparence capillotractée ne manquera pas d’hérisser encore plus de poils : Nymphomaniac 2 est au premier film ce que Kill Bill 2 fut à son prédécesseur – une déconstruction de ses acquis narratifs, interrogeant la matière fictionnelle autant que le rapport du réalisateur avec son spectateur et sa propre œuvre.

Dans la deuxième séquence de Kill Bill 2, le bad guy éponyme rend visite à son frère Budd pour le prévenir qu’il est le prochain sur la liste de Béatrix Kiddo. Au cours du dialogue, mention est faite du carnage des Crazy 88 – et Bill de préciser illico qu’ils n’étaient sûrement pas autant, qu’ils trouvaient juste ce surnom « cool ». Comme pour surligner le bluff cinématographique, l’exagération visuelle dont nous avons pourtant été les témoins dans le saisissant climax du premier film, la mariée débarque sabre à la main… et se fait neutraliser d’une unique décharge de chevrotine, par une caricature de videur texan aviné simplement posé dans son fauteuil.

Une rupture identique arrive rapidement dans Nymphomaniac 2. Après que Joe s’est appropriée le parallèle de Seligman entre son histoire et le schisme des églises d’Orient et d’Occident, l’auditeur passif révèle d’une part son incompétence à juger le récit biographique du fait de sa virginité, et se laisse ensuite aller à l’une de ses coutumières illustrations satellites sur un alpiniste. La réponse de Joe sera cinglante : « de toutes vos digressions, celle-ci était sans doute la plus inutile ». Dont acte : Seligman s’en tiendra là, et le film de bousculer totalement les acquis de sa première partie.

A l’instar de Tarantino, Lars Von Trier prend son spectateur à contrepied et le recentre sur son récit après l’avoir baladé – manipulé, diront les contempteurs – dans une matière foisonnante. Exit les changements de format, les récréations ludiques, le moment est venu de revenir aux fondamentaux d’une histoire que la narration prendra bien moins de plaisir à raconter. Le dialogue entre Joe et Seligman était jusque-là celui de la raison narrative et de la recherche stylistique, et leur fusion donnait naissance à un tout audacieux, plaisant à suivre. La remise en cause de cette alchimie rend Nymphomaniac 2 plus sombre, désagréable, et explique vraisemblablement la décision de la commission de classification de finalement interdire le film aux moins de 18 ans, alors même qu’il est beaucoup moins cru et explicite que le premier.

A l’instar de Tarantino, Lars Von Trier ne carbure pas tant à l’auto-citation qu’à la réinterprétation des motifs qu’il a lui-même créés, y compris dans le premier film du diptyque. Il projette dans son héroïne son idéal de cinéma, mais sans s’identifier jusqu’au bout – si Joe renonce in fine au sexe, il est difficile, voire impossible d’imaginer un Lars Von Trier qui tournerait le dos à la provocation. Tout comme Kill Bill 2, Nymphomaniac 2 est l’œuvre d’un cinéaste en pleine transformation, arrivé au bout d’un cycle. Après l’annulation du troisième volet de sa trilogie américaine et de la conclusion de The Kingdom, le metteur en scène est enfin parvenu à boucler l’un de ses projets cinématographiques jusqu’au bout. L’avenir nous dira s’il en ressortira vidé ou s’il parviendra à réinventer comme Quentin.

Jacky au royaume des filles de Riad Sattouf

Le nouveau film du réalisateur des Beaux Gosses n’est pas la franche rigolade annoncée, mais franchement, tant mieux. Les auteurs qui prennent le soin de construire de toutes pièces un univers de bric et de broc sont tellement rares qu’il faudrait presque le remercier rien que pour ça. Jacky au royaume des filles est un film unique, qui ne ressemble à aucun autre, dont les velléités de discours sont très loin d’être aussi évidentes que redoutées.

La première vision fait sourire et pouffer plus que rire aux éclats (quand elle ne verse pas dans le glauque foutrement efficace), mais il est à parier qu’une fois son monde accepté et digéré, Jacky nous réserve de francs moments d’esclaffements – dès le lendemain de la séance tardive, la seule pensée des rimes pauvres du héros en hommage aux chevalins, divinités absurdes de ce pays qui l’est tout autant, suffisait à éclairer une morne journée.

Riad Sattouf vient de frapper un grand, un gigantesque coup. S’il donne l’impression de ne pas dépasser la note d’intention – la faute à une mise en scène en retrait, refusant le souffle épique pour mieux coller à ses personnages -, il parvient à retourner toutes les attentes du spectateur dans un dernier acte d’une témérité folle, et surtout dans une ultime scène encore plus gonflée ; d’ores et déjà, à n’en point douter, l’une des plus mémorables de l’année.

Les menues réserves quant aux partis pris esthétiques du film volent en éclats, se justifient entièrement à l’aune de ce retournement de situation qu’il serait criminel de raconter plus avant. Rendez donc service au cinéma français, même s’il ne vous l’a jamais rendu (ce bâtard), et foncez voir le second long-métrage de Riad Sattouf.

Wrong Cops de Quentin Dupieux

Juste le temps de laisser penser que son cinéma tourne en rond, et Quentin Dupieux nous cueille comme des fleurs en abordant de front l’implicite de ses précédents films : la musique comme source d’inspiration. Bien sûr, l’auteur se laisse aller au gré de son imagination fluctuante (certains segments sont incontestablement plus solides que d’autres) et se repose plus souvent qu’à son tour sur son fabuleux casting, mais Wrong Cops dépasse son ironie poseuse en transformant ENFIN sa matière sonore en personnage à part entière.

Filth de John S. Baird

Une ordure d’Irvine Welsh réussissait le pari audacieux de la contamination du récit par un élément intérieur – un flic ripou jusqu’à la moelle, cousin écossais du Bad Lieutenant de Ferrara, tente de garder le dessus sur le ver solitaire rongeant jusqu’aux pages même du roman, par un effet de superposition de ses pensées malades à celles d’un ténia analysant les failles de son hôte avec une acuité vraiment dérangeante.

Un tour de force dramaturgique, astucieux update des expérimentations d’Alcools d’Apollinaire, a priori inadaptable visuellement. Le film de John S. Baird botte en touche et laisse complètement de côté cet aspect du récit. Tout au plus, l’antihéros enchaînera les visions narcotiques convenues, personnalisées par un psy sorti tout droit d’un cauchemar opiacé de Terry Gilliam.

Une belle énergie chaotique et l’abattage jouissif de James McAvoy n’y font malheureusement rien : dévêtu de ces atours essentiels, le récit ne fait qu’enchaîner les petites, toutes petites provocations ayant pour seul et faible mérite de nous rappeler à quel point la surenchère dans le trash de ces dernières années nous a anesthésié à la violence au lieu de nous y sensibiliser.

The Human Race de Paul Hough

Toutes les histoires ont-elles déjà été racontées ? Faut-il se cantonner à d’éternelles resucées des mêmes arcs dramatiques, mâtinées, avec un peu de chance, d’inspiration stylistique ? Paul Hough essaie de ne pas trop se poser la question, espérant que son délire de course à la mort ne rappellera pas trop ce qu’il est, à savoir le croisement entre Marche ou Crève et Battle Royale.

Passé le procédé purement cynique de la disparition d’un personnage abusivement présenté comme central, il faut admettre que le bougre compense efficacement son budget de 14 euros cinquante avec une saine imagination. Truffé d’idées marrantes, radical quand il faut l’être, The Human Race s’effondre néanmoins à la piteuse révélation du pot-aux-roses, foutage de gueule dans les règles de l’art, gros doigt d’honneur levé à la face des justes prêts à lui concéder le bénéfice du doute.


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