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Melville, cinéaste des ombres : rétrospective à l’Institut Lumière

L’opportunité de redécouvrir le cinéma de Jean-Pierre Melville, et en particulier ses films noirs mythiques, dont l’origine est à chercher dans l’expérience de la résistance et sa reconstitution à l’écran dans « L’Armée des ombres ».

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Melville, cinéaste des ombres : rétrospective à l’Institut Lumière

Les tueurs à pardessus et chapeau mou, les flics qui les traquent sans états d’âme, froids comme la mort qu’ils finiront par donner, et la fine frontière qui sépare parfois ces deux côtés de la loi : voici l’essence du cinéma de Melville tel qu’il a été légué à une longue postérité. Cette légende s’appuie, dans le fond, sur quelques films qui, au fil des reprises, remakes avoués ou déguisés et rediffusions télé, ont rendu son œuvre légendaire.

Citons-les d’entrée : Le Deuxième souffle, Le Cercle rouge, Le Samouraï, Le Doulos et le très minimaliste et abstrait Un flic, sa dernière production, qui a été vue soit comme un accomplissement, soit comme une caricature desséchée de son propre style.

Une anecdote fameuse raconte que Melville lui-même jouait de l’ambiguïté : quelques temps avant sa mort, il tente de convaincre un producteur de s’engager sur un nouveau projet. À sa secrétaire qui lui demande de quoi le film va parler, il aurait répondu : «Dites-lui seulement que ce sera un Melville…».

Nom de guerre : Melville

Interview de Melville, 1970.

Né Grumbach en 1917, Melville rejoint la résistance tandis que la France est occupée par les nazis. C’est là qu’il trouve le nom de guerre qui deviendra son nom de cinéaste. Un patronyme aux résonances anglo-saxonnes qui traduit sa fascination pour la musique, le cinéma et le mode de vie américains, influence décisive dans l’élaboration de son style.

Le nom de Melville dit déjà ce que sera son cinéma : la relecture du film noir hollywoodien par le biais du souvenir de la guerre. Il l’abordera par deux fois dans son œuvre : avec son premier film, Le Silence de la mer, adaptation de Vercors qui fait écho par son humanisme réconciliateur à La Grande illusion de Renoir ; puis dans son chef-d’œuvre, L’Armée des ombres, qui traite les résistants par leur versant le plus sombre, comme des hors-la-loi qui doivent tout faire pour préserver leur réseau, y compris sacrifier les leurs.

L’officier allemand du Silence de la mer se rapprochait de ses hôtes français et découvrait la réalité du régime nazi ; les soldats de L’Armée des ombres se réfugient dans le silence et la clandestinité, faisant fi de leurs émotions pour se consacrer entièrement à leur devoir.

Les deux films, tournés à vingt ans d’écart, nouent ainsi un dialogue tortueux, désignant un ennemi soudain fréquentable ou pointant la violence et la cruauté de ceux qui choisissent de se battre à la marge pour une cause juste mais déclarée illégale.

Strictement selon le code

Qui fixe la loi ? Et en quoi celle-ci vaut-elle mieux qu’un code d’honneur ? Sur cette double interrogation, tout le cinéma criminel de Melville va se construire. Si bien que le Samouraï Jeff Costello peut tout à fait être vu comme un descendant des résistants de L’Armée des ombres. Même manière de s’habiller pour passer inaperçu, même raideur glaciale, même absence de remords au moment de tuer…

Dans L’Armée des ombres, lors d’une permission à Londres, Ventura descend dans un club et regarde les jeunes gens danser et flirter, insouciants. On voit passer alors sur son visage une forme de mélancolie, comme s’il prenait conscience d’un temps gâché, enfui à jamais ; ce sera sa seule véritable émotion au cours du film. Il n’en aura aucune lorsqu’il devra assassiner celle qui était pourtant sa compagne (Simone Signoret), devenue une menace pour le réseau…

Dans Le Samouraï, Costello fait le choix inverse : il ne supprime pas la jeune pianiste de jazz témoin de son meurtre, et enfreint ainsi pour la première fois ses propres règles. Qu’importe que l’un soit un combattant de la France libre et l’autre un simple tueur à gages, puisqu’ils obéissent aux mêmes règles, et que leur châtiment sera semblable s’ils choisissent de les trahir.

Crime (très) organisé

L’inspecteur interprété par Paul Meurisse dans Le Deuxième souffle fait son apparition à l’écran au cours d’un laïus magistral où il apostrophe tous les témoins présents sur une scène de crime en faisant à la fois les questions et les réponses, toutes tournées vers un même « rien vu, rien entendu », pour conclure par un flamboyant «On se demande bien ce que l’on est venu faire dans cette pouponnière !».

C’est ainsi : le monde du crime est bien plus organisé que celui de la police, qui n’a d’autre choix que de s’obstiner jusqu’à la névrose s’il veut parvenir à faire tomber les truands.

L’empathie du spectateur va ainsi bien plus au gang de cambrioleurs du Cercle rouge, et notamment au formidable personnage campé par Montand, alcoolique atteint de delirium qui parvient à surmonter son addiction, qu’au flic vieillissant et obsessionnel joué par un Bourvil transfiguré. Dans le crépusculaire Un flic, le commissaire Coleman (Delon) et le braqueur de banques Simon (Richard Crenna) partagent la même femme (Deneuve), qui couvre les activités de son voyou de mari tout en couchant avec le flic qui pourrait le mettre à l’ombre.

La mise en scène crée autour d’eux un monde comme frappé d’engourdissement, où les personnages ne sont plus que des archétypes interchangeables et le scénario une suite de conventions du genre. Il n’y a plus de noir et de blanc, juste d’infinies nuances de gris. Certains ont donc pris ça pour de la paresse ; on peut au contraire y voir un précipité de la philosophie melvillienne.

A l’Institut Lumière, jusqu’au dimanche 2 mars.

Par Christophe Chabert sur petit-bulletin.fr.

 


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