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Peter O’Toole : Un dernier pour la route

 

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Peter O’Toole : Un dernier pour la route

Lawrence d'Arabie

Vu de mon canapé, le bonhomme paraissait increvable. Mais après une vie d’insouciance et d’excès doublée d’une carrière prodigieuse, Peter O’Toole a finalement rendu l’âme à 81 ans au Wellington Hospital de Londres, samedi 14 décembre. Le dernier des grands alcoolos du cinéma britannique encore en vie avait frôlé la mort plus souvent qu’à son tour en compagnie de ses illustres camarades de beuverie, les comédiens Richard Burton, Richard Harris et Oliver Reed. Au point qu’en 1970, après avoir vaincu un cancer de l’estomac, il avait été contraint de réduire la voilure et de mettre fin aux orgies. « Nous faisions juste en public ce que les autres faisaient en privé » expliquait-il :

« Les deux Richard et moi, on buvait en public et le pétard n’avait rien de secret pour nous ».

Drôle et chaleureux, ses dernières apparitions dans quelques talk-shows américains furent des festivals d’anecdotes insensées comme celle de ce retour de bringue, tôt le matin, dans le petit appartement londonien qu’occupait Richard Harris dans les années 60. Les deux amis, beurrés mais affamés, trouvant dans le réfrigérateur d’Harris une vieille tranche de viande dont l’apparence ne les inspire pas, se contentent de la jeter par la fenêtre avant de ressortir pour chercher à manger… et trouver en bas de l’immeuble un chien mort à côté du bout de viande. Le genre d’histoires relatées dans le bouquin de Robert Sellers, Hellraisers, the life and inebriated times of Richard Burton, Richard Harris, Peter O’Toole and Oliver Reed (Editions Preface).

 

Deux ans sur un chameau

Né Peter Seamus O’Toole le 2 août 1932 en Irlande, dans la région du Connemara, il grandit à Leeds. Dès 17 ans, il débute une carrière théâtrale après avoir été brièvement journaliste, un rêve de gamin. Deux ans dans la Royal Navy et en 1952, le voilà qui franchit, à Londres, les portes de la célèbre RADA, Royal Academy of Dramatic Arts, sur les bancs desquels il rencontre Albert Finney et, déjà, le fougueux Richard Harris.

Hamlet, Othello, Le Roi Lear, Macbeth… sur les planches du Old Vic, O’Toole déclame du Shakespeare de sa belle voix grave tandis que son regard bleu azur fait tomber les filles dans les pubs de la capitale. Très vite, le cinéma le repère et dès 1962, David Lean lui offre le rôle de sa vie, celui de T.E. Lawrence dans Lawrence d’Arabie après qu’il fut refusé par Marlon Brando qui, selon la légende, « ne voulait pas se farcir deux ans de tournage dans le désert assis sur un chameau ».

Peter O'Toole - Audrey Hepburn

Sans jamais retrouver un tel succès, les années 60 vont toutefois lui offrir de grands rôles dans des genres très variés. Au rayon des classiques, il incarne deux fois Henry II dans Becket (Peter Glenville, 1964) et Le lion en hiver (Anthony Harvey, 1968). Il joue dans La Bible de John Huston (1966) et devient Tibère dans Caligula (1976).

S’il se fait voler la vedette par Peter Sellers dans Quoi de neuf Pussycat ? (Clive Donner, 1965), il est irrésistible auprès d’Audrey Hepburn dans Comment voler 1 million de dollars (William Wyler, 1966). Entêté dans La guerre de Murphy (Peter Yates, 1971) où il partage l’affiche avec sa femme Siân Phillips (qui lui donnera deux filles), il est formidablement sinistre en général nazi dans La nuit de Généraux (Anatole Litvak, 1967). On le retrouve même dans Casino Royale (Ken Hugues, 1967), une parodie de James Bond un peu dingue à ne pas confondre avec la version 2006 de Daniel Craig.

Quelques bides ponctuent sa carrière, tels que Lord Jim (Richard Brooks, 1965) et surtout L’homme de la Mancha (Arthur Hiller, 1972), comédie musicale dans laquelle il incarne Don Quichotte mais où il est doublé par le ténor Simon Gilbert pour les parties chantées… En prime, sa beauté un peu froide lui apporte de jolis rôles d’ordures dans Le jeu de la puissance (Martyn Burke, 1978), Le diable en boîte (Richard Rush, 1980) ou encore Super Girl (Jeannot Szwarc, 1984).

 

Voué au théâtre

Mais après Lawrence d’Arabie, c’est bien le théâtre qui va lui réserver ses plus belles heures de gloire. « Il montrait une très grande connaissance et un amour profond pour la littérature » raconte Michael Higgins, président de l’Irlande et ami proche, dans son récent hommage :

« Bien qu’il ait été nominé huit fois aux Oscars et qu’il en reçut un d’honneur pour sa contribution au cinéma, il s’était voué au théâtre ».

En 1963, il joue Hamlet sous la direction de Laurence Olivier et réalise un rêve en jouant En attendant Godot de Becket dans un théâtre de Dublin en 1970. En 1980, sa version de Macbeth dirigée par Bryan Forbes est vilipendée par les critiques, mais dix ans plus tard, sa renommée est toujours au sommet grâce au rôle d’un journaliste alcoolique dans la pièce Jeffrey Bernard is unwell de Keith Waterhouse, jouée à guichet fermé à l’Old Vic. En 2000, il reçoit le prix Laurence Olivier pour sa fabuleuse contribution au théâtre britannique.

Richard Harris et Peter O'Toole
Richard Harris et Peter O’Toole

Au fil des ans, Olivier, Gielgud, Burton, Harris… ses vieux amis disparaissent, mais O’Toole, dernier grand dinosaure, dernier monument du théâtre ET du cinéma britannique, résiste. Affaibli par une santé chancelante, il va réapparaitre épisodiquement au cinéma. En 1987, notamment, dans le rôle du tuteur écossais de l’empereur Pu Yi dans Le dernier empereur de Bernardo Bertolucci. On le retrouve dans Troie (Wolfgang Petersen, 2004) puis il prête sa formidable voix au personnage d’Anton Ego, le critique gastronomique de Ratatouille en 2007 et tourne quelques épisodes de la série Les Tudors dans le rôle du pape Paul III.

« Le seul sport que j’aie pratiqué dans ma vie fut de marcher derrière les cercueils de mes amis qui faisaient du sport » déclara-t-il un jour.

En 2003, il hésite à accepter son Oscar d’honneur après huit nominations et aucune victoire, un record.

« J’ai failli leur demander d’attendre mes 80 ans » raconte-t-il, « parce que je suis toujours dans la course et que je peux toujours remporter cette foutue statuette ».

The end

« Les yeux humides, j’adresse à la profession des adieux profondément reconnaissants ».

Par ces mots, Peter O’Toole avait annoncé sa retraite en juillet 2012, mais on devrait toutefois le retrouver l’année prochaine au générique d’un film historique tourné en 2013, dans le rôle d’un orateur romain.

Un dernier pour la route ?


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