
Le traitement médiatique des Dialogues Désaccordés, tout en évitements et regards détournés, est malheureusement symptomatique du malaise de l’intelligentsia critique française face à la montée de l’extrême-droite dans toutes ses acceptions, et de la stratégie contre-productive consistant à se dire que si l’on survole le problème et que l’on refuse de lui donner de l’importance, il disparaîtra de lui-même. Les derniers résultats d’élection comme la montée en puissance de l’épiphénomène Soral donnent entièrement tort à ce qui ressemble désormais à une lâcheté complice.
Applaudissons Naulleau… pour le principe
Oui, cette France existe, elle prospère sur le net sous le déguisement de la « dissidence », et elle se fédère en attendant son Grand Soir ; fermer les yeux ne fait que l’entretenir dans ses fantasmes malsains de domination occulte. Le principe selon lequel donner de l’exposition revient à faire de la publicité gratuite n’est ni plus ni moins qu’une insulte à l’intelligence du grand public et, surtout, une fuite. C’est pourquoi, ne serait-ce que sur le seul principe, il faut applaudir Eric Naulleau d’avoir accepté l’invitation d’un échange épistolaire avec Alain Soral ; même si l’une des leçons de l’ouvrage est qu’engoncé dans ses certitudes, ce dernier refuse paradoxalement la notion de dialogue – tout en se plaignant de son bannissement des plateaux télé qui lui manquent apparemment beaucoup.
Le gros problème de la dialectique selon Alain Soral est tout entière résumée par l’évolution de ses fameuses vidéos du mois sur le site Egalité & Réconciliation : dans les premiers temps, le sociologue autoproclamé se prête bon gré mal gré au jeu de l’interview par l’un des membres de son association (ou tout du moins, quelqu’un qui aime bien l’appeler « président » avec une manifeste révérence). Puis, quelques mois plus tard, la voix de son interlocuteur disparaît, et le montage ne garde plus que les interventions d’un Soral soliloquant en plan fixe.
L’évocation des sujets d’actualité devient satellite de sa propre personne ; le “président“ évoque en priorité ses déboires judiciaires, les infinies cabales à son encontre, sa traque des méchants, méchants trolls du web qui lui veulent du mal – Alain Soral EST l’actualité, comme peut en témoigner son impérieux besoin de parler de lui à la troisième personne. La mention négative de son nom par Manuel Valls, dans un discours prononcé en août dernier, lui a notamment offert de la matière pendant plusieurs mois et une caution inespérée.
« Soral n’est pas là pour débattre mais pour monologuer »
Depuis trois ans, Soral refait littéralement le monde de son canapé rouge. Un monde régi par « l’oligarchie mammonico-atlantico-talmudo-sioniste » (« l’Empire », téléguidée par « la communauté que l’on n’a plus le droit de nommer »), dans lequel sa « virilité helléno-chrétienne » serait le dernier rempart contre « le Nouvel Ordre Mondial d’inspiration sataniste ». Cette vision se défend à grands coups de paradoxes de très haute volée, de contradictions (parfois dans une même phrase), de victimisation et de jeux sur les mots (ainsi, il ne serait pas antisémite mais « judéo-critique », ce qui change tout, n’est-ce pas).
Alain Soral « fait le boulot, hein », il « mouille le maillot ». Concrètement ? Il lit des livres, passe beaucoup de temps sur le web, se nourrit de tout ce qui conforte de près ou de loin son discours – un point salutairement soulevé par Eric Naulleau lors de leurs échanges. Son sophisme originel est imparable : quiconque s’intéresse un minimum à la marche du monde est forcé d’arriver aux mêmes conclusions que lui, et ses contradicteurs sont soit des imbéciles, soit des « salopes vendues à l’Empire ». Soral réfute toute alternative.
La théorie du complot comme fonds de commerce
A ce stade, de toute façon, le dialogue n’est même plus utile. Ses dernières interventions chez Frédéric Taddéi, tout en éructations, coupages de parole et insultes larvées sont cristallines : Soral n’est pas là pour débattre mais pour monologuer, imposer ses arguments par la force. Sa disparition des plateaux télé s’explique à la fois par ce caractère ingérable et par l’autocensure gauchement assumée des animateurs – tant mieux pour lui : à l’instar de son camarade Dieudonné, ce statut d’infréquentable et la théorie du complot selon laquelle on voudrait l’empêcher de parler lui servent de fonds de commerce, et expliquent en partie le succès croissant rencontré par ses vidéos et son site.
Soral a en effet conquis une véritable armée de fidèles, prodigieusement organisés sur le web : à chacune des attaques de leur maître à penser dans des vidéos ou dans des articles éditoriaux, ils envahissent les commentaires en reprenant point par point le discours du “président“, dont le syndrome de persécution se retrouve de fait renforcé. Les soraliens se sont ainsi rués sur tous les sites de vente en ligne pour clamer à quel point leur héros sort vainqueur par KO de la joute l’opposant à Eric Naulleau dans Dialogues Désaccordés, pour mieux infléchir la réception du lecteur lambda qui découvrirait Alain Soral pour la première fois. Il n’en est bien évidemment rien. Entre le silence des médias critiques et l’avalanche orientée des fans de Soral, il convient de rétablir la réalité de cet essai.
Homophobie, misogynie et complot juif…
La forme choisie par l’éditeur apparaît de fait comme la seule viable : lors d’un échange de mails, Soral n’a nullement le loisir d’interrompre son interlocuteur, de le noyer sous ses vociférations jusqu’à le rendre inaudible. Quand bien même les incessantes références littéraires d’Eric Naulleau ont une fâcheuse tendance à forcer la légitimité de ses arguments, ces derniers imposent leur évidence face aux élucubrations hallucinées d’Alain Soral, dont la ligne de défense ostensiblement sophistique se résume pour l’essentiel à répéter « je le sais » et « tout le monde le sait », comme preuves absolues de ses raisonnements à l’emporte-pièce.
Du haut de sa violence décomplexée comme jamais – et grossièrement masquée sous le voile de « l’humour » – Soral ne prêche que ses fidèles convaincus. Les lecteurs qui découvriront le bonhomme pour la première fois devront encaisser son homophobie (même s’il réfute le terme, du moins son étymologie) patentée et sa misogynie insidieuse, son obsession quasi pathologique pour le grand complot juif appliquée à toutes les strates de nos sociétés ; et ils devront démêler les nœuds de son habileté rhétorique pour mettre en lumière ses contradictions dévorantes.
Grand pourfendeur devant l’éternel des procès d’intention, Alain Soral prête ainsi de l’intelligence à son contradicteur (une grande première) et prétend incidemment, selon sa logique toute personnelle, qu’il se ment à lui-même pour conserver sa place médiatique. Quand il ne traite pas Naulleau de commentateur sportif (insulte suprême !) pour noyer le poisson et tenter, bien maladroitement, de le rabaisser. Soral est le prophète de sa vérité absolue, tellement évidente qu’elle ne saurait souffrir contestation ou développement de sa part.
Dialogues Désaccordés a l’immense mérite d’exposer la pensée d’Alain Soral dans toute sa crudité, et de lui opposer en contrepartie des réfutations pertinentes qu’il n’attendait même plus. Le discours de Soral est l’écho d’une réalité politique qu’on ne peut plus fuir ou ignorer. L’ouvrage démontre qu’il faut se coller au débat, même si la discussion semble impossible – de fait, la négation soralienne de l’autre, faille majeure de sa doxa soi-disant humaniste, n’en apparaît que plus évidente. N’étant plus spécialement fan d’Eric Naulleau depuis son émancipation du duo littéraire qu’il formait avec le génial Pierre Jourde, je lui reconnais néanmoins l’intégrité intellectuelle de s’être attelé à une telle tâche. Dans un monde parfait, ce serait la moindre des choses. Aujourd’hui, c’est du courage.
Je regarde depuis quelques temps "la dissidence" sur le web, notamment A. Soral en cherchant "une faille notoire" dans la cohérence.
Aussi lorsque vous dites "et ils devront démêler les nœuds de son habileté rhétorique pour mettre en lumière ses contradictions dévorantes.", quelles sont ces contradictions ?
Merci...
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- Manifestement, Naulleau n'est pas remercié par les anti Soral, mais bien au contraire, les soraliens lui montrent leur presque respect d'avoir osé.
- Soral est banni certes ... il le dit et le reconnait, mais la tv ne lui banque pas bcp. Tout comme Dieudonné, il a franchi le mur où peu pourront les suivre.
- L' essayiste ne prêche pas que des convertis ... au contraire ! Bcp de gens l'ayant haï en écoutant les médias traditionnels et l'ayant entendu par hasard ou pas, on reconnu s'être trompés sur son compte ; d'autres avouent qu'qu’après avoir douté et fait leurs propres recherches sur ce que dit Soral, on fini par admettre qu'il avait raison.
- Enfin, contrairement à ce que bcp croient ou se forcent à croire, les soraliens ne pas des souffreteux comme les a appelé Naulleau (pourquoi il avait dit ça ...mystère !) mais sportifs pour bcp, jeunes en très grande majorité, de toutes origines mais bcp françaises de souche, cultivés et diplômés ...
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Bref, après avoir lu quelques lignes, le présent article est truffé de petits mensonges, mauvaise foi, erreurs etc ... j'arrête là !
Pour ce qui est des autres points :
- les commentaires (notamment sur Amazon) laissés par des soraliens sont loin de tous laisser transparaître le respect que vous évoquez
- Même si je serais curieux de voir vos statistiques et enquêtes sur le sujet, je continue à penser que la virulence des propos d'Alain Soral dans le livre ne lui attirera pas d'autres ouailles en dehors des personnes partageant déjà ses points de vue
- Je suis ravi pour vous que vous soyez sportif et diplômé, toujours est-il que je n'ai jamais attaqué les soraliens sur leur apparence ou sur quelque autre point, j'ai juste précisé qu'ils étaient organisés sur le web, ce qui n'a rien à voir.
je vous enjoins à lire plus que "quelques lignes" pour vérifier que ce que vous appelez "petits mensonges" et "erreurs" sont tout au plus des opinions.
Que penser de cette phrase? Qu'est-ce que ça veut dire, il a raison? Que tout ce qu'il dit est vrai, ou que ses principales thèses son vraies? Faut-il s'étonner que des gens changent d'avis? Est-ce une preuve de quoi que ce soit? D'autres font le chemin inverse. Vous ne dites pas : "ses thèses sont souvent justes", mais "il a raison". On dirait que vous commentez la personne et pas ses idées. C'est le coeur du phénomène Soral : une nuée de personne qui ne cherchent pas à se faire une opinion sur les choses, mais qui cherchent quelqu'un en qui ils ont suffisamment confiance pour leur enseigner une opinion.
Cet article comme les autres du même acabit (dont ceux du "génial Pierre Jourde" - ?!?) ne fait que de la pub à Soral en essayant de le dévaloriser. C'est un chef-d'oeuvre de malhonnêteté. En outre il n'attaque bien sûr jamais le fond ni de la pensée de Soral, ni des sujets traités dans le livre. Je n'ai d'ailleurs jamais vu un article dévalorisant Soral aller sur le terrain des idées, des arguments. Jamais.
Sur le fond, relisez bien le texte, j'en parle plus souvent qu'à mon tour, sous l'angle de la dialectique, certes, je vous l'accorde. Quant au fantasme selon lequel Soral n'aurait jamais été attaqué sur le terrain des idées, relisez donc Dialogues Désaccordés, même si je me doute que vous voyez Naulleau perdu d'avance avant même la fin de l'introduction...
Enfin, sur Pierre Jourde, le qualificatif de "génial" n'engage que moi ; je sais qu'il a écrit sa critique des Dialogues... sur son blog, mais je ne me basais pas là-dessus pour l'encenser. Je vous invite à lire ses romans Festins Secrets, Paradis Noirs ou Le Maréchal Absolu.
Je m'étonne même qu'ils ne soient pas plus hargneux, mais bon. C'est fou comme ce type à réussi à réunir autour de lui un groupe qui a un comportement aussi sectaire...
Article très intéressant et éclairant sur le rôle que peut avoir ce genre d'ouvrage, en donnant une visibilité publique à ce genre de discours.
Je me rappelle que ces arguments étaient utilisés dans mon IEP, quand j'y étais encore, pour justifier la venue de Marine le Pen dans un cycle de conférences. Et là déjà les organisateurs loupaient le problème.
Le problème est que pendant qu'on donne à Soral, mais également aux autres de son acabit, Zemmour, Finkielkraut, et leurs amis, plus d'espace médiatique pour "ouvrir le champ" à des "intellectuels marginalisés", qui ne le sont en fait que de façon fort peu marquée (pas une semaine ne passe sans qu'ils n'aient leur petit billet dans la presse ou leur petite intervention à la télé, et ils trouvent dans moult médias une chaise et un café chaud dès qu'il leur prend l'envie de "réagir" sur l'actualité), ben y'a des intellectuels qui le sont vraiment, eux, marginalisés, et qui ont des choses intéressantes à dire, qui ne sont pas invités, et à qui on dit cordialement (c'est bien entendu une image) que le café chaud et la chaise sont déjà pris.
Exemple : pendant qu'on se ratiboisait les auditives à entendre la bande à Elisabeth Levy chougner sur leur marginalisation, qui a entendu ce que Lilian Mathieu, spécialiste des mobilisation de prostituées, avait à dire sur le sujet ? Pourtant on parle d'un des seuls chercheurs en France à avoir vraiment travaillé sur le truc. Perso je n'ai lu qu'un article du mec, passé relativement inaperçu, sur Rue89.
Pendant qu'on entend Obertone et Zemmour pousser la complainte sur le fait que personne ne veut entendre leurs analyses sur la délinquance (à part le groupe France Télévision, Radio France, RTL, TF1, BFMTV, Itélé...), ça fait combien de temps qu'on n'a pas entendu Laurent Mucchielli, pourtant spécialiste du sujet ?
Pendant que Soral nous les repeint avec ses théories sur les relations internationales, ça fait combien de temps qu'on n'a pas entendu Georges Corm, Alain Gresch ou Dominique Vidal, tous éminemment plus compétents, et bien moins polémistes, sur le sujet ?
La liste est longue, et je ne la connais pas entièrement. De toute façon le message est passé, et les faits sont là : la défense de la liberté d'expression et de présence médiatique de quelques énergumènes qui ne représentent qu'eux mêmes, elle se fait aussi (surtout) au détriment de celle d'autres intellectuels, qui font moins de déclarations à l'emporte-pièce, mais ont bien plus de choses à dire.
Mais le cirque continue, ce qui était peut-être le but dès le départ.
S'il y avait un intérêt à "Enfin pris ?", c'est de souligner ce caractère artificiel du soit-disant débat médiatique, dont le bouquin Soral-Naulleau n'offre qu'un épisode saillant (on en avait vu de plus caricaturaux avec le bouquin BHL-Houellebecq ou la "polémique" Baverez-Duhamel).
Exercice qui se révèle forcément très mauvais, vu que la philosophie, la sociologie et tout ça, ben c'est des sciences, et que généralement, au pire on fait de la merde, au mieux on redit en moins bien ce que d'autres ont déjà dit avant nous.
Et c'est exactement à ce moment là qu'arrive le politiquement incorrect : ça permet d'éviter d'avoir à fonder ses arguments (encore une fois : il faut lire Zemmour, ne serait-ce que pour se rendre compte à quel point ses développements sont absurdes), ça permet de justifier une incurie complète, une non-maîtrise du sujet, un manque de rigueur et les légitimes critiques des professionnels quand un bouquin écrit avec les pieds est surmédiatisé.
Enfin bon, il y en a qui l'ont mieux expliqué que moi, notamment Didier Fassin, dans sa critique du livre de Hugues Lagrange, qui titrait de façon intelligente "Qu'il ne suffit pas d'être politiquement incorrect pour être scientifiquement fondé".
Je suis plutôt sur la ligne de Naulleau que celle de Soral (qui à un égo démesuré et qui fait des diatribes sur les juifs excessive à ma goût même si on à le droit d'être antisioniste sans être taxé d'antisémite).....
Cependant je voudrais souligné une contradiction de Naulleau (aussi incarné par des yann Moix) en effet je trouve qu'il est hypocrite d'être comme eux opposé à la loi liberticide Gayssot mais de pleurnicher (lors de pétition) en disant non je ne vôte pas contre la loi Gayssot car il y'a des révisionnistes (style Reynouard ou Faurisson)....M'enfin c'est complétement logique qu'une loi de ce type voit des gens comme eux pour demandé de la supprimé...Donc je trouve parfois Naulleau un peu conformiste....Même si il dit des choses justes (le côté apocalyptique des Soraliens ou de leurs disciples).