
68 productions estampillées comiques pour le seul exercice 2013 : pas de doute à avoir, l’humour est plus que jamais la valeur refuge d’un cinéma français de plus en plus replié sur ses chapelles créatives. De catastrophes industrielles en aberrations artistiques, le bilan de l’année assène des leçons très, très désagréables.
68 films, dont au moins 60 totalement dispensables, c’est beaucoup. C’est trop. C’est beaucoup trop. Artistiquement, rien ne justifie un tel déferlement. Les auteurs sont en panne d’inspiration, les réalisateurs bridés dans leurs velléités. Des gloires déjà fanées (Clovis Cornillac, José Garcia, l’increvable François Berléand) aux jeunes pousses déjà essorées (Eric Elmosnino, Ary Abittan, Raphaël Personnaz) en passant par les djeunz déjà ringards (Norman, Kev Adams, Max Boublil), les acteurs n’ont peut-être jamais autant été interchangeables d’un rôle à l’autre. Ils n’interprètent plus : ils se contentent d’être là.
Quant aux actrices… Avec ce qu’on leur donne à bouffer niveau défi d’acting, il ne faut pas s’étonner que la performance de l’année revienne à Bernadette Lafont dans l’horrible Paulette. Ma fille, tu seras faire-valoir, rêveuse évanescente, pute au grand cœur, working girl qui découvre la life ou vieille acariâtre. C’est tout. Ne fais pas comme si t’avais le choix, tu seras gentille.
En 2013, l’humour cinématographique français n’a pas d’identité ni même d’existence propre. Il se nourrit de toutes les influences qui traînent, aussi datées soient-elles. Dès qu’il tente de s’approprier l’air du temps, il le rend automatiquement ringard. Son incompréhension chronique des enjeux sociopolitiques du moment force à détourner le regard à chaque amorce de discours.
Les rares rescapés de ce carnage (Dupontel et Tavernier en tête) s’en sortent sans trop de déshonneur à la grâce de leur maîtrise du timing comique. On l’aurait presque oublié : pour qu’un gag fonctionne au cinéma, il faut qu’il soit un minimum bien mis en scène, cadré, interprété et monté. Autant de données qu’un nombre dangereusement croissant de réalisateurs dégage d’un revers de la main au nom du « décalage », principe adoubé avec volupté par une critique mondaine qui ne comprend pas comment le public, sûrement bien trop bête, ne se rue pas en masse applaudir ses poulains parisiano-parisiens – voir Tip Top en salle et entendre une mouche voler pendant toute la séance.
Soyons optimiste, quitte à verser dans la généralité : la médiocrité vient de la surabondance, et la surabondance vient des habitudes d’une production nationale engourdie par la frilosité, l’absence de prise de risques, et confortée dans ses choix par le doux, si doux souvenir de succès millionnaires à même d’attirer les capitaux télévisuels – les « décalés », eux, peuvent toujours compter sur l’avance sur recettes du CNC. Le système français n’est plus repu à force de se mordre la queue, à présent, il la boulotte avec voracité sans se poser de questions.
Bien sûr, la France n’est pas seule dans ce cas : la déréliction du rêve européen pousse tous ses amis de la bannière au cercle étoilé à la production de comédies de plus en plus recentrées sur leurs particularismes nationaux, voire locaux. Si exception culturelle il y a, c’est bien dans cette profusion dispendieuse, à grosses pertes, entièrement bâtie sur une généralité autrement plus dangereuse (comédie = brouzoufs) dont les limites viennent de voler en éclats.
Choc des cultures et / ou des générations, comédies romantiques, adaptations de best-sellers, ego trips mal digérés (coucou, Nicolas Bedos et Guillaume Galienne), tous ces genres usés jusqu’à la corde et trop rarement réfléchis se sont quasiment tous fédérés cette année autour de la MÊME structure : le personnage principal (re)découvre une nouvelle vie, y goûte avec concupiscence, fait une grosse connerie (généralement, un mensonge) qui remet tout en perspective, offre amende honorable et love is all.
N’oublions pas la morale – très important, la morale, surtout quand on se targue d’inclure des personnages “borderline“ : l’argent ne fait pas forcément le bonheur, même si c’est quand même cool (Paris à tout prix, Un prince (presque) charmant – scénarisé par le pied gauche de Luc Besson, celui qui a encore une conscience politique) ; le métal, c’est quand même vachement mieux avec de la pop dedans (Pop Redemption avec Julien Doré) ; la famille c’est quand même super, au-delà de nos différences (Sous le figuier, Une chanson pour ma mère, Demi-sœur…) ; la crise de la quarantaine / cinquantaine, ça ne mange pas de pain (Le Grand Méchant Loup, le pamphlet droitier décomplexé Le Cœur des hommes 3) ; les vieux racistes sont finalement plutôt sympas, surtout quand ils vendent du shit (Paulette, 12 ans d’âge)…
Autant d’enseignements édifiants hérités d’une vision centriste molle (malgré la caution “de gauche“ autoproclamée de films comme La Fille du 14 Juillet ou l’inénarrable Doutes), qui sourit à l’intolérance des beaufs comme aux excentricités des marginaux tant que tout le monde finit par rentrer dans la norme.
Cette détestation (inconsciente, restons optimiste) de tout ce qui est différent agit comme un rouleau-compresseur sur les esprits a priori libres. Alain Chabat n’est plus que l’ombre de lui-même dans Turf et Les Gamins, Joey Starr, avec son combo Max / La Marque des Anges (la tentation d’inclure ce dernier film dans le rayon “comédie“ était énorme), donne la sinistre impression qu’il n’en a strictement plus rien à foutre, Eric Judor entache sa réinsertion amorcée avec Platane et les films de Quentin Dupieux en se commettant dans le pas possible Mohamed Dubois, Corinne Masiero est humiliée avec une hargne quasi vengeresse dans Les Reines du Ring…
Comme si, désormais, la comédie française cherchait à punir tous les impudents qui auraient osé, un jour, ne pas être dans le rang.
Les fameux décalés, eux, se satisfont uniquement de l’entre-soi. Ils n’ont même pas besoin des éructations hallucinées de Frédéric Bonnaud, à deux doigts d’insulter les lecteurs des Inrocks pour crime de lèse-majesté (ne pas avoir suffisamment honoré Tirez la langue, mademoiselle et Tip Top en salles obscures) dans un édito de troublante mémoire. Ils n’existent que par et pour eux-mêmes.
La meilleure démonstration de cette autarcie reste encore les films se déroulant dans le milieu du cinéma : Queen of Montreuil, Le Prochain Film, Chez nous c’est trois ou même Les Coquillettes transforment les spectateurs en figurants curieux, hostiles, et les artistes en petites choses précieuses voguant bon gré mal gré au-dessus, bien au-dessus de la plèbe.
Côté blockbusters, l’envie prend d’applaudir la révision à la baisse des budgets indécents, jusqu’à ce que l’un de ces grotesques mastodontes n’émerge devant nos yeux. Qui d’un Boule & Bill dans lequel Marina Foïs, en véritable mère courage, lutte vaille que vaille pour sauver ce qui peut encore l’être, ou d’un Eyjafjallajökull autant adepte du défonçage de voiture de luxe que des grimaces simiesques de Dany Boon (l’élément le plus cher n’étant pas forcément celui que l’on croit – dédicace à Vincent Maraval).
Fort heureusement, une maigre poignée de films verse dans la résistance. Quai d’Orsay et 9 mois ferme, en dépit de leurs envahissants défauts, remontent à ce point la pente qu’ils donneraient presque envie de s’agenouiller de gratitude. Au bout du conte assoit presque crânement la domination impériale du tandem Jaoui / Bacri sur la caste des dialoguistes français. L’Ecume des Jours et Attila Marcel sont des œuvres globalement ratées, mais qui, au moins, expérimentent tous azimuts et réinventent la patine rétro chacun à leur manière.
Si l’on fait un gros effort, on peut essayer d’oublier que Fonzy (de loin le meilleur film de sa réalisatrice) est un remake trèèèèèès appliqué de Starbuck. Le vaguement sympatoche Joséphine peut faire illusion grâce à son montage, mais ne supporte pas une seconde vision. De guerre lasse, le spectateur grappille ici et là quelques fugaces secondes de cinéma avant de s’effondrer, le cortex anesthésié.
Sacrifié sur l’autel de sa rentabilité supposée, l’humour national n’est plus, ou si peu. La comédie française fait sienne l’actuelle dictature du LOL, de la blagounette conçue pour tourner sur Youtube et faire marrer ses faux amis de réseaux sociaux. La sortie, en janvier, du définitif Pas très normales activités de Maurice Barthélémy aurait dû sonner l’alarme sur la foi de son seul concept – s’emparer d’un phénomène de la pastille web (le cas Norman), et observer ce qu’il se passe quand on lui donne une heure et demi en lieu et place de ses usuelles cinq minutes.
L’abominable résultat n’a pas servi de leçon, il s’est contenté de rejoindre la cohorte des coups d’épées humoristiques dans l’eau de cette année désastreuse.
Le planning des sorties de 2014 comme les résultats des commissions d’avance sur recette de 2013 laissent entrevoir un léger fléchissement de la production comique, sans cependant pleinement accuser le coup de cette overdose. Les retours de Riad Sattouf (avec Jacky au royaume des filles) ou même du binôme Thomas N’Gijol / Fabrice Eboué à la réalisation (Le Crocodile du Botswanga) laissent même émerger des lueurs d’espoir. Restons optimiste.

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Pourquoi préciser "cette année" ? La majorité des comédies sont bâties sur cette structure, et pas uniquement en France.
Et pas uniquement les comédies d'ailleurs, mais aussi les romances (rencontre, bonheur, engueulade parce que mensonge, réconciliation, happy end), les films d'actions (même structure dans Avatar), les films pour les gosses...
Queen of Montreuil se passe dans le milieu du cinéma ?
L'article est bien joli mais plusieurs erreurs factuelles le décrédibilisent un peu... et il oublie l'idée que le cinéma est aussi une industrie. Pourquoi ne pas parler des films selon qu'ils sont rentables ou non vu que ça se conclue sur l'avance sur recette. Cela éviterait peut-être aussi un autre petit dérapage : la critique est très critiquée mais l'article n'expose que des jugements de valeur sans développement de la part de l'auteur (qui finit par n'être qu'un succédané de ces critiques qui le désespèrent).
Se masturber sur sa connaissance cinématographique ne fait pas de soit un génie, en revanche partager votre culture et votre amour pour le cinéma fera de vous quelqu'un de moins aigri...
Pour Queen of Montreuil, il aurait juste fallu préciser car le fait qu'elle soit réalisatrice, ce n'est jamais montré (dans mon souvenir), ça revient juste dans quelques dialogues et c'est loin d'être l'essentiel du film...
Disons qu'au lieu des 68 chroniques, qui seraient discutables comme les gouts de la critique que vous citez et auxquels il faudrait se plier (d'autant que chaque film est parfois à peine gratifié d'un adjectif pour le qualifier), il aurait été peut-être mieux de rester dans les "archétypes" de la comédie, les scénarios qui se répètent et les manques d'originalité par rapport à ce que tout ça rapporte. Et surtout d'en citer moins et de se concentrer sur certains titres... Parce qu'ici l'effet de masse peine à faire émerger quelque chose du discours.
Par exemple dire que Tip top n'est pas drôle car la salle n'a pas ri, ne veut pas dire qu'ailleurs (hors de Paris) les gens ne se sont pas esclaffés dans une autre. Un public ne réagi pas toujours de la même manière, même d'une séance à l'autre. La critique qui en est faite ici n'est guère plus valable que celle des Inrock qui condamne le public qui n'y va pas...
Et ne parler que de la "caution de gauche" de La Fille du 14 juillet, c'est oublier toutes les trouvailles scénaristiques ou cinématographiques dont regorge le film et qu'on ne voit jamais dans le cinéma français.
Le texte, à force de trop citer et de résumer les films à un cliché à peine représentatif, devient réducteur. J'ai l'impression malheureusement (alors que je suis d'accord dans les grandes lignes avec ce texte) que tout ici finit par se perdre et par perdre de sa justesse... C'est dommage ! Des arguments plus concrets et moins discutables (quoique les chiffres parfois...) comme les donnés économiques auraient peut-être mieux servi le propos.
Leur but n'est donc pas la rentabilité en salle, il n'est pas le succès cinématographique (public et encore moins critique)
Alors c'est vrai, une comédie ultra pourrie avec un bouche à oreille immonde fera peut-être une audience décevante sur TF1... mais la plupart du temps, même une comédie foirée fait une audience tout à fait valable. Car, pour convaincre à la télé, une ou deux têtes connues suffisent (d'où le starsystem dévastateur en comédie) à ça s'ajoute la campagne marketing de l'époque de la sortie du film et c'est gagné.
Donc effectivement on a des comédies pourries au cinéma mais il faut bien voir que ce sont des produits hybrides mi-film, mi téléfilm. Ils naissent de notre système de financement (avance sur recette mais surtout TF1) et de ce point de vue, ça ne risque pas de changer puisque TF1 en est content (TF1 se satisfait de beaucoup de merde tant qu'elle garde sa place de leader)
:)
ça fait du bien ce genre d'articles :D
Ensuite, dire que c'est l'accueil du public qui fait la qualité d'un film est une connerie sans nom, ça reviendrait à dire que TF1 est une chaine d'exception pleine de programmes de qualité car elle fait une grosse audience.
Le public, si on l'habitue à manger de la merde, finira par en apprécier le gout et même y trouver des saveurs de fruits rouges ou de noix comme avec le Beajolais nouveau.
Le public c'est comme le palais, ça s'éduque, et je pense que tout le monde est tout à fait capable d'apprécier des choses de qualité à condition que l'on en serve... Les comédies française d'aujourd'hui c'est comme McDo, ça se bouffe aussi vite que ça se chie , ça laisse une vague trace sur la cuvette des toilettes, puis disparait dans l'oubli le plus total.
on nous a vendu les films pitoyables suivants:
CINEMAN - de Yann Moix , qui est même pas metteur en scènes
COCO- un film destiné au mangeur de mac do , acteur qui ridiculise le cinéma.
LES CHTI, film dégradant, avec un très mauvais acteur Danny BOON.
je m'arrête la la liste serait trop longue.
Les grands scénarios Français au film d'auteur remarquable en France les chaine tv n'en veulent pas.
au montage de Joséphine , de la part de la monteuse !!! c'est assez rare que
ce poste soit cité dans les articles
cordialement
Anny Danché
Sur le reste, je suis assez d'accord avec vous. Le Dupontel était une bonne surprise. J'attends aussi le Riad Sattouf et le Fabrice Eboué. Surtout, j'attends les 2 prochains Quentin Dupieux. Toutefois, je trouve dommage que vous snobiez certaines comédies "d'auteur" : "Tip Top" est certes probablement le film le plus bobo de l'année mais ne fonctionne pas si mal que ça (ayant lu votre article "2013 doit mourir", je doute que nous tombions d'accord à son sujet...) et je ne pense pas que l'estampillage de gauche de "La Fille du 14 juillet" soit un inconvénient (au contraire).
En rejetant à la fois la comédie beauf et la comédie bobo, il ne reste plus grand chose. D'ailleurs vous ne parlez pas de "20 ans d'écart", qui est à mon sens une des rares comédies populaires de qualité de l'année (même si cela tient surtout aux acteurs)...