
Par Sarah Cestau
L’incertitude, un moteur de la connaissance
« Savoir, c’est avant tout situer son point de non savoir » précise le professeur d’Histoire à Paris 1, Patrick Boucheron. Son péché mignon, nous avoue-t-il, c’est de provoquer l’incertitude chez ses élèves. Il les fait douter, il désorganise le savoir pour le travailler et produire une connaissance construite. Pour lui, l’incertitude est un moyen de créer de la connaissance, pas un but : « si l’histoire est une science, elle a pour objet d’inquiéter les certitudes ».
Et l’incertitude fascine les étudiants. Le succès des conférences organisées par l’université Bordeaux 3, l’année dernière, sur l’état de ce qu’on ne sait pas dans le domaine scientifique, en est la preuve. Etienne Klein, directeur du laboratoire de recherche sur les sciences de la matière, se lance dans une joute pour démontrer l’utilité de ce doute :
« Ignorer qu’on ignore, c’est ne pas savoir. Savoir qu’on ignore, c’est savoir totalement car on sait à la fois ce qu’on sait et ce que l’on ne sait pas ».
L’incertitude dans le processus de recherche motive le scientifique dans sa soif de connaissance.
« L’homme ne sait jamais ce que fait ce qu’il fait », Paul Valéry
Le produit de l’incertitude est donc l’avancée de la connaissance, moins on ignore, plus on sait. Mais que sait-on vraiment ? Si l’existence d’un objet est prouvée par la science, l’usage reste une interrogation. Jean-Claude Ameisen, président du Comité consultatif d’Ethique, prend la parole sur la question éthique de l’utilisation du savoir scientifique :
« l’incertitude vient de l’idée que le savoir est forcément insuffisant, d’où la démarche éthique de combler l’insuffisance par la conduite humaine ».
Pour lui, l’incertitude nous retient de croire que ce qui est aujourd’hui sera invariable demain. Cette forme de prudence « évite les excès, le totalitarisme de la certitude ». C’est un processus humain, social, collectif. Agir dans l’incertain revient à être vigilant alors même qu’on pense agir pour le mieux. Ce processus est inscrit dans le fonctionnement comportement humain. La vigilance est dans chacun de nos gestes. L’incertitude compose le monde et l’homme.
Le relativisme touche les limites de l’incertitude comme méthode
La solidité de la science vient du nombre de fois où elle est confrontée à l’incertitude. Sa force, c’est sa permanente remise en question. Elle permet d’atteindre une connaissance de plus en plus exacte et profonde qui n’est pas la vérité. Car pour Etienne Klein, « la vérité est relative car on peut avoir raison contre les faits, on peut expliquer le réel par l’impossible ». Tout dépendrait alors du cadre d’interprétation du réel dans lequel on se trouve.
Le savoir déplace le curseur entre certitude et incertitude. Ce que l’on apprend en sciences, en physique ou en histoire dans une temporalité donnée change l’écriture du passé. Mais si on peut douter de ce que l’on apprend sur le passé, on ne peut pas douter de tout. Le relativisme à outrance pose des limites de raisonnement et d’application scientifique. Alors certaines connaissances sont admises comme faits. Patrick Boucheron nous confirme qu’« il existe des certitudes que l’on en peut pas mettre en doute », sous peine de ne rien jamais pouvoir affirmer.
A Jean Claude Ameisen de conclure, en reprenant le script d’un celèbre blockbuster américain, « un grand pouvoir implique de grande responsabilité ». La science détient ce pouvoir de déterminer la robustesse des faits. L’incertitude est l’outil de cette robustesse, elle est une porte vers le savoir en dessinant les contours de notre ignorance.
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"Il décrit un phénomène selon lequel les moins compétents dans un domaine surestiment leur compétence alors que les plus compétents auraient tendance à la sous-estimer .
Ce phénomène a été démontré au travers d'une série d'expériences dirigées par David Dunning et Justin Kruger. Leurs résultats furent publiés en décembre 19991 dans la revue Journal of Personality and Social Psychology." (source Wikipedia)
En effet, si l'on prend par exemple un un étudiant de fin de première année, il va vous expliquer avec une foi inébranlable une loi économique par exemple. Et tout le monde pensera avoir compris. Notre égo en sera flatté.
Un thésard vous répondra qu'il y a des nuances, des variables, que ça n'a pas été réellement prouvé, que c'est seulement une théorie... Bref, il sera pour beaucoup un peu "chiant". Et notre égo sera frustré.
On mesure l'intelligence d'un individu à la quantité d'incertitude qu'il est capable de supporter.
Ceci dit, en effet, notre capacité à évoluer dépend de notre capacité à accepter l'incertitude. Celui qui ne doute pas reste figé en tous points. Mais j'aime compléter cette citation par la suivante de Francis Scott Fitzgerald:
L'intelligence supérieure d'un individu se mesure à sa capacité d'entretenir simultanément deux pensées contradictoires tout en conservant son aptitude à fonctionner. C'est la fameuse "pensé complexe".
Le doute ne doit pas inhiber toute capacité à prendre des décisions.