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Alternatives à la prison : Taubira enchaînée à la question des moyens

Semi-liberté, bracelet électronique, travail d’intérêt général… À Lyon comme ailleurs, les alternatives à la prison sont à la peine. La ministre de la Justice y a été directement confrontée lors d’une rencontre avec les personnels judiciaires lyonnais.

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palais de justiceL’ancien Palais de justice de Lyon. © Patrick Janicek / Flickr / CC

Le chauffage de la salle des assises est en route. A la fin de la semaine dernière pourtant, les robes noires de la cour se plaignaient encore du froid persistant dans les salles de l’ancien palais de justice. C’est que ce lundi, la garde des Sceaux, Christiane Taubira, en personne avait décidé d’y faire halte.

Au programme notamment, des « échanges autour des aménagements de peine » et de la « semi-liberté » sur fond de l’annonce récente de sa prochaine loi pénale qui doit développer ces alternatives à la prison.

Concrètement, deux petites heures de débats feutrés, sous la houlette des deux « chefs de cour », le premier président et le procureur général de la cour d’appel, et sous le regard (évidemment) sérieux des membres du cabinet ministériel et des directeurs nationaux de l’administration pénitentiaire et des services judiciaires.

La salle est quasi-comble : une bonne centaine de magistrats et responsables pénitentiaires locaux sont présents.

 

Des juges et des greffes débordés

Le magistrat en charge du service de l’application des peines au tribunal de grande instance de Lyon, Michel Rismann, prend la parole. Le ton est donné. Le service est complètement embouteillé, explique-t-il :

« Il y a un flux continu de peines d’emprisonnement ferme à aménager. Nous n’en voyons jamais le bout. La loi pénitentiaire nous a obligés à aménager ces peines. C’est très bien. Mais la difficulté, ça reste les moyens. On est à bout de course ».

En cause, le manque de personnels de greffe en particulier, au niveau du tribunal correctionnel qui prononce les peines, mais aussi au niveau du parquet qui doit transmettre les décisions au juge de l’application des peines (JAP).

En effet, le JAP a en particulier la charge de « transformer » les peines de prison ferme prononcées en mesures alternatives (travail d’intérêt général, sursis, bracelet électronique, semi-liberté, etc.) quand la loi le prévoit. Cet aménagement peut avoir lieu en cours d’incarcération. Mais aussi, lorsque la peine prononcée n’excède pas deux ans d’emprisonnement, avant même que celle-ci soit mise à exécution en prison.

Or, dans ce second cas, les délais de traitement des dossiers sont extrêmement longs, ce qui entraîne un grand retard dans la mise à exécution effective des peines :

« Actuellement on met à exécution des condamnations de 2012, ou 2011, donc on perd en effectivité de la peine », résume le magistrat.

 

L’accompagnement social en déshérence

La parole est donnée au directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) du Rhône, Jean-Pierre Bailly. Il dessine un autre problème : le manque d’accompagnement social des personnes condamnées en « milieu ouvert » :

« Les condamnés ne présentent pas toujours la maturité pour se saisir des dispositifs de droit commun. Ils auraient besoin d’un accompagnement adapté. Ça explique nombre d’échecs ».

Dans la salle, la coordonnatrice des JAP de Saint-Étienne enfonce le clou, à propos du bracelet électronique :

« Il ne faut pas demander au bracelet électronique davantage que ce qu’il peut donner. En lui-même, c’est juste un contrôle des personnes, pas un accompagnement ».

A Lyon, l’utilisation du bracelet est « en explosion » selon le JAP Michel Rismann, qui évoque un chiffre de 420 à 430 bracelets utilisés en même temps, alors qu’il y en avait deux fois moins en 2011.

Mais les moyens d’accompagnement, c’est à dire en personnels d’insertion, ne sont pas au rendez-vous. Selon ce JAP de Lyon, « quand on est à 140 personnes suivies par travailleur social, on est aux limites ». Et pour cause : le nombre de dossiers que peut suivre un travailleur social du SPIP est estimé par les professionnels à 80 à 100.

Pour permettre la mise en œuvre de la future loi pénale, qui doit créer notamment une nouvelle peine de « contrainte pénale » en milieu ouvert, le gouvernement avait annoncé le 9 octobre la création de 1000 postes de travailleurs sociaux à partir de 2015, dont 400 postes créés « dès 2014 » selon la garde des Sceaux. Reste à espérer que ces moyens arriveront.

TaubiraAu premier plan, Paul-André Breton, président du TGI de Lyon, et derrière, Jacques Beaume (de dos) et Jean Trotel (de face), respectivement procureur général et premier président de la cour d’appel. Au centre, Christiane Taubi. © Antoine Pâris / Rue89Lyon

 

Des quartiers de semi-liberté à moitié vides

Mais quand les moyens existent, ils ne sont pas toujours utilisés à bon escient.

Le JAP de Lyon explique que les quartiers de semi-liberté construits ces dernières années autour de Lyon sont éloignés des centres-ville et des bassins d’emploi, et sont souvent mal desservis par les transports, donc inadaptés et peu utilisés.

De fait, les statistiques de l’administration pénitentiaire (datant du 1er août), parlent d’elles-mêmes :

  • le quartier de semi-liberté de Saint-Étienne comptait 25 personnes pour 40 places
  • celui de Saint-Quentin-Fallavier (Nord Isère), 24 personnes pour 40 places,
  • celui de Villefranche-sur-Saône, 21 personnes sur 38 places
  • celui de Bourg-en-Bresse, 19 personnes pour 38 places.

A Lyon, c’est le contraire, explique le JAP de la ville :

« Le centre de semi-liberté de Lyon est géographiquement très central. Il est au centre du bassin d’emploi. Il est donc très utilisé y compris par des juridictions avoisinantes, comme Bourg-en-Bresse ou Villefranche-sur-Saône ».

Si les condamnés incarcérés qui obtiennent un aménagement rejoignent le centre sans délai, ceux qui sont libres attendent en moyenne 6 mois pour commencer à purger leur peine.

Alors, le juge estime qu’il faudrait « agrandir ou construire un autre centre » :

« On nous a parlé de Meyzieu, mais ça ne réglerait pas le problème de proximité géographique ».

 

Une campagne judiciaire ?

La ministre se veut à l’écoute. Sur la semi-liberté ? « J’entends la difficulté géographique ». Elle se tourne vers les directeurs de son ministère : « Qu’est-ce qu’on fait alors pour la semi-liberté ? Il faudrait régler le problème des transports. On ne va pas fermer les quartiers qui sont là ». Et vers la salle : « Mais on va faire les prochains centres dans les centres-ville ».

Christiane Taubira donne l’impression d’être en pleine campagne judiciaire, comme si elle pensait les personnels de son ministère réticents aux peines alternatives ou à sa future réforme. Il est vrai qu’en début de discussion, le procureur général de la cour d’appel, Jacques Beaume, a fait un beau lapsus :

« La question de la sécurité, pardon, de la semi-liberté est essentielle ».

Alors la ministre plaide :

« On recherche l’efficacité. Notre souci c’est la prévention de la récidive, c’est la réinsertion. Il faut rendre efficaces toutes les mesures. Il faut rendre efficace la prison. Il faut rendre efficace la semi-liberté. Il faut rendre efficace le bracelet électronique ».

La réunion prend fin. Devant tout le monde, elle engueule son conseiller pénitentiaire qui la presse de partir car l’heure tourne, et son équipe qui a « comme d’habitude », préparé « un programme impossible à tenir ». La voilà qui disparaît.

Lyon, et surtout Vieux-Lyon obligent, quelques dizaines d’opposants au « mariage pour tous » accompagnent de leurs cris sa sortie. La scène rappelle les mots écrits devant les marches d’un autre palais de justice, dans un autre temps : « Dehors la foule hurle. Mais c’est la foule ».

 

 


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