Et le numérique n’y est pas étranger. Le hic pour les artistes : les revenus issus du streaming sont bien inférieurs à ceux de la vente de CD. Un problème auquel tente de remédier 1D touch, une plateforme de streaming équitable créée à Saint-Étienne.
La tablette tactile 1D touch, installée au milieu des vinyles et des disques de la boutique JFX Store à Lyon © 1D touch
« L’autre plateforme de streaming ». C’est le slogan d’1D touch, une plateforme de streaming alternative à Deezer et Spotify, créée à Saint-Etienne, le 15 juin. Eric Petrotto fait partie de l’équipe qui gère cette plateforme. Il est lui même musicien au sein du groupe B R OAD WAY et président de la fédération de labels indépendants CD1D. Il regarde d’un œil critique le succès des mastodontes du streaming comme Deezer et Spotify, dont le chiffre d’affaires a progressé de 11% (par rapport au premier semestre 2012) :
« Le problème avec ces plateformes d’écoute de musique, c’est qu’elles sont destructrices du renouvellement de la diversité musicale. Elles n’encouragent absolument pas les artistes indépendants. Autrement dit des artistes dont le label n’est pas Universal, qui détient 53% du catalogue mondial… Ce qui revient presque à un monopole. »
« 1500 euros le million d’écoutes sur Deezer et Spotify »
Plus l’artiste est connu, plus il est payé. C’est ainsi que fonctionnent Deezer et Spotify, qui rémunèrent un petit label environ 1500 euros pour un million d’écoutes, comme le souligne Eric Petrotto :
« Pour atteindre le million, il faut y aller ! Et 1500 euros pour ça c’est très peu. Je suis musicien et notre groupe est diffusé sur France Bleu par exemple. Mais je sais que si j’atteins 300 000 écoutes, c’est déjà génial ! Et encore, les 1500 euros, c’est le label qui les obtient, et non l’artiste directement. Ce qui lui est reversé derrière dépend du contrat qu’il a signé avec son producteur. »
Pour des labels de taille moyenne, les plateformes de streaming versent 3500 euros, et vont jusqu’à 5000 euros pour les plus gros. « Et même ça, ce n’est pas beaucoup pour un million d’écoutes », ajoute Eric Petrotto.
65% des recettes d’1D touch reversées aux artistes… ou presque
1D touch est la première plateforme de streaming dite équitable. Gérée par des producteurs et créateurs indépendants, elle deviendra une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) au 1er janvier 2014. Sur cette plateforme, le fonctionnement est différent de Deezer et Spotify : 65% de l’argent récolté est reversé aux artistes, aux labels et aux producteurs. Les 35% restants sont accordés au fonctionnement de la plateforme.
1D touch rémunère les créateurs à travers une part fixe, due à leur contribution au catalogue de la plateforme, et une part variable, liée cette fois au nombre d’écoutes générées par chaque œuvre. Le principe de ce second type de rémunération est plus complexe que ceux de Deezer et Spotify :
- Encourager les nouvelles créations en rémunérant davantage les nouveautés de moins de 3 ans que les morceaux plus anciens,
- Atténuer les phénomènes de masse qui s’observent sur les autres plateformes de streaming en rémunérant davantage les premières écoutes. Autrement dit, plus le nombre d’écoutes augmente, plus la rémunération par écoute baisse.
Bibliothèque, disquaire, salles de concert : les « lieux relais » d’1D touch
Et bonne nouvelle : cet argent ne provient pas de la poche des utilisateurs de la plateforme… Du moins, pas directement. En effet, avant une ouverture à un plus large public, 1D touch fonctionne avec des partenaires qui « donnent » des codes d’accès :
- La bibliothèque municipale de Lyon grâce à un abonnement de base.
- Le disquaire JFX Store.
- Les salles de concert, comme Le Fil à Saint-Étienne et les Abattoirs à Bourgoin-Jallieu, proposent une carte d’abonnement annuel à 10 euros qui permet d’obtenir des remises sur les concerts, des invitations mais aussi un compte sur 1D touch.
- La carte « jeune » M’ra de la région Rhône-Alpes (réservée aux lycéens et apprentis).
Autrement dit, lorsque vous avez une carte M’ra, un abonnement au Fil ou à la bibliothèque municipale de Lyon, vous bénéficiez d’un accès illimité à la plateforme de streaming, directement sur le « lieu relai » en question via une table tactile, ou bien en se connectant sur le site de chez soi.
Le dispositif 1D touch à la BM de Lyon © 1D touch
Pour une plateforme qui démarre tout juste et qui propose principalement des musiques peu connues, un accès pour lequel l’utilisateur ne débourse pas d’argent supplémentaire est un sacré coup de pouce. Depuis que la plateforme est opérationnelle, 2500 comptes ont été créés.
Ce sont donc directement les lieux relais qui versent des sommes allant de 99 à 299 euros par mois à 1D touch (variable notamment en fonction du nombre d’utilisateurs apportés à la plateforme).
Yann Tiersen, Chinese Man et Dub Inc, mais pas que…
1D touch regroupe 350 labels, 2300 artistes et 3000 titres différents. Pop, musique tzigane, reggae, musique classique, rock ou encore jazz, tous les styles de musique sont représentés.
L’artiste le plus connu de la plateforme ? Sûrement Yann Tiersen, reconnu pour la musique du film Le fabuleux destin d’Amélie Poulain. Ou bien Chinese Man et sa Groove Session. Ou encore Dub Inc, ce groupe de reggae originaire de Saint-Étienne. Mais toujours dans cette optique d’encourager à la découverte musicale, Eric Petrotto préfère citer Rone (électro), ou encore Aufgang (classique). Pour recruter des artistes, Eric Petrotto s’est dans un premier temps appuyé sur son réseau de labels indépendants, comme CD1D, qu’il préside.
Bientôt des livres, des photos et… des jeux vidéos
Actuellement, la plateforme nécessite encore quelques améliorations. Il manque par exemple un moteur de recherche. « Deux développeurs travaillent quotidiennement sur 1D touch », précise Eric Petrotto :
« La plateforme est encore en work-in-progress. 1D touch est en ligne et fonctionnel, mais il est encore à un tiers de ses capacités. On espère avoir fait le plus gros des améliorations d’ici six mois. Normalement, dans un an, la plateforme aura la totalité de ses fonctionnalités. »
D’ici fin 2014, 1D touch devrait notamment s’ouvrir à tous. Pour l’instant, seules les personnes passant par un des organismes partenaires peuvent y avoir accès. « Ne serait-ce que par militantisme », la plateforme doit devenir accessible à un public plus large, explique Eric Petrotto. Mais les utilisateurs ne devraient avoir accès qu’à des extraits. Pour en écouter davantage, il faudra certainement payer. Une question encore en réflexion pour les créateurs d’1D touch, mais qui pourrait rapprocher la plateforme du fonctionnement des géants du streaming actuels. Et offrir plus de flexibilité aux utilisateurs.
La plateforme devrait également s’étendre plus largement en France, en s’associant avec des partenaires dans d’autres régions.
« La région PACA par exemple est très intéressée », assure Eric Petrotto.
Une extension géographique à laquelle devrait s’ajouter une plus grande diversité culturelle. Courts métrages, documentaires, livres augmentés, expositions photos et même jeux vidéos… L’équipe d’1D touch espère faire de la plateforme de streaming un lieu où il sera possible d’écouter l’œuvre musicale d’un artiste tout en regardant l’exposition photo d’un autre.
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