Si le tatouage reste toujours plus marginal en France que chez le voisin allemand ou le cousin québécois, il est toutefois sorti de l’underground et des bars de marins par petites vagues de mode. Entre deux tribaux, trois ronces et quatre salamandres, il revêt également des formes artistiques encore insoupçonnées par le grand public. Plus que le coût d’une enseigne, c’est la nécessité de se faire une clientèle et de se forger une solide réputation qui motivent bien souvent les tatoueurs « débutants » à piquer à la maison.
Alice (prénom d’emprunt) pratique aujourd’hui le tatouage dans son appartement situé sur les pentes de la Croix-Rousse. Une alcôve est consacrée à cette activité qu’elle considère avant tout comme un art, le corps devenant un matériau juste plus singulier.
« Si tu ne dessines pas, tu ne tatoues pas », insiste-t-elle.
Pas de pied de porc
Son premier trait via dermographe (la « bécane », comme on dit dans le jargon), Alice l’a pratiqué il y un peu moins de deux ans, à même sa peau.
« L’idée de démarrer sur de la peau synthétique ou de pied de porc ne m’a pas traversé l’esprit. J’étais en voyage, dans quelque chose de très sensitif, qui avait trait à la rencontre à différentes échelles. Et donc, comme la plupart des tatoueurs, j’ai fait mes premiers essais sur ma cuisse, à l’ancienne. La peau est un support hors du commun. Une fois qu’on a compris ça, ce n’est que le début…»
Bullitt, lui, a monté son échoppe. Fondateur de l’atelier In My Brain, tatoueur depuis sept ans, il a appris le métier chez Johann Clerget, à Bourg-en-Bresse. Ancien professeur de sport, il s’intéresse particulièrement au corps et pratique d’abord un autre type de modification : le percing et l’ajout d’implants. Un jour, Johann lui propose de s’essayer « aux traits » sur un client.
« L’entrainement sur peau de cochon, c’est bien pour prendre en main la machine, mais ça ne l’est pas pour ton résultat final, souligne Bullitt. C’est autre chose de travailler sur un corps, un dos qui saigne et réagit. Une personne qui débute ne peut pas savoir si elle fait les bonnes choses tant qu’elle n’a pas vu ou profité des conseils d’un pro. Certaines erreurs n’apparaissent qu’au bout de deux ans et tu t’apercevras au bout de 24 mois que tu as fait une connerie, que ce n’était pas le bon geste. Si personne ne te guide, tu vas mettre 30 ans à comprendre qu’un remplissage, il faut le faire dans un sens et pas dans l’autre ».
Le bon geste, Alice, ancienne élève d’Art Plastique (Paris 1), l’a appris à Córdoba chez Calavera no chilla, le shop de Trake, un tatoueur argentin qu’elle côtoie pendant trois mois. Aujourd’hui, si elle ne monte pas sa propre boutique, c’est qu’elle considère ne pas avoir terminé sa formation. Ce qui ne l’empêche pour autant pas de pratiquer, suivant l’adage : c’est en forgeant qu’on devient forgeron.
« Pour l’instant, ça se fait comme ça. Si je rencontre, un de ces quatre, un tatoueur qui veut bien continuer à me former et avec qui j’ai un vrai feeling ici en France, je passerai par cette voie. Pour l’instant, je fais les aller-retour en Argentine, cela crée un ancrage avec un lointain où je me sens aussi chez moi ».
« Adoration des lieux interdits, pas super clean »
Pour Bullitt, il existe dans le tatouage une véritable guerre des prix entre professionnels. Si les tatoueurs clandestins ne peuvent pas bénéficier de la visibilité d’une enseigne, ils n’ont pas non plus à se soucier des questions fiscales inhérentes à n’importe quelle structure commerciale et peuvent donc pratiquer des prix attractifs. Ensuite, c’est la loi de l’offre et de la demande. Plus un tatoueur est prisé, plus il pourra augmenter ses tarifs. Mais qu’on tatoue dans une salle stérilisée ou à l’arrière d’un bar, Bullitt ne porte aucun jugement de valeur.
« Il y a toujours un vieux type d’underground dans le métier du tatou avec l’adoration de bosser dans des lieux interdits, pas super clean. D’autres vont bosser de chez eux et maîtriser les mêmes règles d’hygiène qu’un tatoueur qui a une super belle salle. C’est aussi au client de vérifier ce qui se passe autour. C’est sa peau, il faut s’informer ».
Si aujourd’hui n’importe qui peut monter sa structure et devenir tatoueur, les praticiens doivent en effet se soumettre à des règles d’hygiène strictes. Une réglementation sanitaire court depuis 2008, définie par le « décret n° 2008-149 du 19 février 2008 fixant les conditions d’hygiène et de salubrité relatives aux pratiques du tatouage avec effraction cutanée et du perçage, et modifiant le code de la santé publique ».
Les tatoueurs sont contraints de se déclarer auprès de la préfecture et doivent suivre une formation de trois jours obligatoire à l’hygiène. Des contrôles sanitaires sont très ponctuellement organisés et peuvent entrainer des amendes allant jusqu’à 1500 euros.
Mais Alice reste clean sur ces questions et s’inquiète plus du bien-être du tatoué que de la réglementation.
« Ca a été la première chose que m’a apprise Trake au salon, je me suis bouffée une cinquantaine de pages en espagnol rédigées par le ministère de la santé en prime », se remémore-t-elle.
De l’économie souterraine à la TVA à 5,5
Bullitt revient alors sur une légende lyonnaise du tatouage, officiant jadis comme lui dans le quartier de la Guillotière. Référence parmi les références, Leon Lam a réussi à muer le simple geste de percer une peau en de véritables performances artistiques. Il rappelle que l’artiste, aujourd’hui exilé à Hong Kong, « a toujours fait les choses quand il en avait envie, où il en avait envie, sans se soucier de la législation. Il n’a jamais eu le moindre problème et tatoue pourtant depuis une quinzaine d’années ».
Pour Bullitt, dans l’hexagone, il n’existe pas d’école de référence et les tatoueurs se transmettent bien souvent leur savoir de maître à apprenti. Pour s’assurer du sérieux d’un salon, le client doit essentiellement se fier à sa réputation. Car aujourd’hui avoir pignon sur rue n’est pas forcément un gage de qualité et certains débutants, peu regardant sur le matériel, peuvent trouver des kits du petit tatoueur amateur pour moins de 200 euros. Depuis 2003, le Syndicat National des Artistes Tatoueurs (S.N.A.T) défend une certaine vision du tatouage vu comme un art à part entière avec la fiscalité qui pourrait aller avec :
« L’art du tatouage est pratiqué en France par plus de 2000 professionnels créatifs, pourtant considérés par l’Etat comme de simples prestataires de services, assujetties à de lourdes charges et à une TVA à 19,6% » au lieu de 5,5% auxquelles seraient soumises un artiste qui vendrait ses œuvres ou ses droits d’auteur. »

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http://koikoikoi.com/2011/11/xoil-tattoos/
Si les tatoueurs clandestins n’ont pas à se soucier des questions fiscales inhérentes à n’importe quelle structure commerciale, ils n'ont pas non plus à se préoccuper des conditions sanitaires de leur pratique car n'étant pas déclarés ils ne sont pas directement susceptibles d'être contrôlés. Or ils peuvent bénéficier d'une grande visibilité sur Internet, et lorsqu'ils choisissent de faire une publicité ouverte de leur pratique, ils mettent en défaut tous les efforts des vrais professionnels, qui ont fait l'effort et d'importantes dépenses pour mettre aux normes leur pratique.
Personne ne peut nier l'existence du tatouage amateur, clandestin ou autre, et on sait bien que la plupart des tatoueurs ont commencé chez eux ou en tatouant des amis, mais que ces personnes aient la décence et le respect d’œuvrer discrètement sans faire une publicité éhontée de leur pratique au rabais est la moindre des choses.
Cet article présente des faits sans cohérence apparente, et bien qu'on ne puisse exiger de l'auteur qu'il prenne position, j'aimerais bien comprendre ce qu'il a voulu exprimer ici...
Je pensais pourtant que les propos de Bullitt étaient explicites. Ils reflètent assez bien mon avis sur la question d'ailleurs. On peut tatouer dans son salon et respecter à la lettre les règles d'hygiène. C'est d'ailleurs le cas d'Alice qui est très à cheval sur la question. J'ai vu des shops beaucoup moins clean à Lyon. Il y a tellement d'enseignes aujourd'hui que les contrôles ne sont pas si fréquents. Pour rependre ses propos : « Il y a toujours un vieux type d’underground dans le métier du tatou avec l’adoration de bosser dans des lieux interdits, pas super clean. D’autres vont bosser de chez eux et maîtriser les mêmes règles d’hygiène qu’un tatoueur qui a une super belle salle. C’est aussi au client de vérifier ce qui se passe autour. C’est sa peau, il faut s’informer ».
L'article avait pour but de parler de ces gens qui tatouent chez eux tout en donnant la parole à un "professionnel" susceptible de nous alerter sur les risques de se faire piquer chez un "amateur". Bullit a été très nuancé sur la question. La qualité et le talent, ce n'est pas qu'une question de structure administrative.
Quand on parle de "coiffeur à domicile" ou de "soins esthétiques à domicile", ne comprend-on pas naturellement "au domicile du client" ?
Pourquoi n'est-ce pas la même chose avec le tatouage ?
Or, le tatouage au domicile des clients est incompatible avec les exigences réglementaires en France depuis 2008.
Un tatoueur qui tatoue "chez lui", dans des locaux adaptés et dans des conditions d'hygiène strictes, j'appelle ça un studio privé, à la différence d'un studio ayant pignon sur rue. Et si les règles sont respectées, c'est parfaitement licite.
Un tatoueur "à domicile" est une personne qui se déplace chez les gens, et c'est précisément ce que le SNAT dénonce.
Je déplore grandement le fait que les termes ne soient pas compris de la même manière pour un tatoueur que pour d'autres activités dites "à domicile" lorsqu'il s'agit de prestations personnelles.
Quoi qu'il en soit, merci beaucoup pour ta réactivité et tes précisions à mon commentaire !