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"Vous êtes seule?" ou le sexisme dans la rue



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Après une marche non-mixte organisée le 26 novembre 2011, un collectif féministe donne de nouveau rendez-vous ce vendredi 8 mars pour une deuxième manif de nuit de femmes. Nous republions notre article paru en novembre 2011.

Des interpellations, insultantes ou pas, des regards insistants, des gestes déplacés. Les femmes qui marchent dans la ville n’ont pas le même mode de déplacement que les hommes. Elles subissent souvent des interactions dont elles se seraient bien passées. C’est pour dénoncer « ces oppressions » et pour se « réapproprier la rue » qu’a été organisée une marche non-mixte de nuit. Témoignages.

 

Par Dalya Daoud et Laurent Burlet

 

Il suffit de demander à n’importe quelle femme. Quasiment toutes ont vécu ce genre d’expérience où elles sont gratuitement prises à partie. Juliette, 30 ans, institutrice, résume assez bien la situation :

« A n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, n’importe où, il y a un type que tu ne connais pas et qui peut entrer en interaction avec toi avec l’une de ces phrases : « tu vas où comme ça ? ». Ce ne sont pas les pires. C’est juste chiant. Surtout que c’est toujours à l’improviste et qu’on n’est rarement préparées à rétorquer. Et puis, quelle que soit ta réaction, le re-lou peut être collant, insistant, voire violent (il t’attrape un bras, il t’insulte). Et perso, ce genre d’épisode a tendance à me tourner dans la tête pendant un trop long moment ensuite, comme n’importe quelle situation humiliante où on refait le film cent fois dans l’espoir que la fin change ».

 

Des mini-stratégies au quotidien



1/ La gymnastique du corps

Pour parer à l’éventualité d’une interpellation qui dégénèrera ou, tout simplement, pour pouvoir marcher tranquillement dans la rue, chacune développe ses propres stratégies. Claire, 27 ans, formatrice pour adultes, parle d’abord de l’importance du regard :

« C’est en fonction de mon état. Si je me sens bien, je vais regarder tout droit de manière décidée. Si je suis moins sûre de moi, je vais regarder par terre ».

Pour Christelle, collaboratrice d’élu de 31 ans, l’objectif est d’effacer toute « qualité physique qui puisse attirer le regard » : « Quand je rentre la nuit je me tiens comme un cow-boy, je mets mon menton en avant pour m’enlaidir. »

Elle se rend compte de sa façon de procéder en nous le racontant, et sourit même d’avoir développé autant de stratégies sans vraiment s’en rendre compte :

« Pourtant je n’ai pas peur, je ne suis pas angoissée. Mais si j’y réfléchis bien, j’ai des automatismes, des codes intégrés auxquels j’obéis, et qui font partie de mon quotidien, notamment pour être prête à la communication avec des inconnus ».

L’attitude globale est aussi adaptable en fonction des lieux et des situations. Claire poursuit :



 »Si j’ai une démarche hésitante ou tranquille, je me ferai plus emmerder. Car les mecs vont considérer que je suis « disponible ». Par contre, dans mon quartier à la Guillotière où je marche de manière plus assurée, je ne me fais jamais emmerder ».

 

2/ Talons-jupes interdits ?

Quant à l’habillement, il est aussi à géométrie variable. Gros pardessus + baskets limiteraient les agressions, jupe + talons attirent l’œil mais le combo peut être aussi un signe de revendication féministe, explique Claire :

« Il est clair qu’on est plus emmerdée quand on porte ce que l’on considère comme les « attributs de la féminité », talons et jupe. Mais, en même temps, quand on est sûr de soi, ça peut vouloir dire : « je vous emmerde, je m’habille comme je veux ».

Christelle, quant à elle, ne se pose même plus la question : elle ne porte collants et talons que si elle sort avec son compagnon, ou avec plusieurs amis.

 

3/ Choisir son parcours



Les femmes qui nous ont livré leur témoignage mettent en avant le fait de devoir envisager le tracé de leur parcours. Quelques unes des féministes à l’origine de la Marche de nuit détaillent les lieux les plus problématiques, de façon prévisible :

« Les jeudis, vendredis, samedis soir au centre ville de Lyon, sur les quais du Rhône et de la Saône, dans le métro et dans les rues où il y a des bars. L’alcool aide à délier les langues même s’il ne fait pas tout. Le printemps et l’été aussi, les mecs sont en rut ».

Pour Christelle, le problème ne vient pas en effet d’une « catégorie de mecs » mais plutôt des lieux où les attroupements sont la règle, les bouches de métro, les gros nœuds de transports plus globalement, les terrasses des cafés…

 

DSK, encore lui

Elle estime qu’il est important de s’intéresser à ces questions, mais elle ne sait pas encore si elle ira marcher samedi soir.

« Je ne sais pas si ces choses-là sont de l’ordre de la revendication, parce qu’il s’agit aussi de la névrose générale, provoquée par l’interaction sociale normale… Par exemple ça doit être emmerdant aussi d’être un enfant dans l’espace public. Mais c’est vrai que pour les femmes c’est particulier : regardez deux minutes tout ce qui se passe quand une fille passe, les regards derrière elle, les accroches, on se rend compte très vite qu’on lui met la pression tout le temps. »

Les organisatrices de la Marche, féministes radicales, vont plus loin dans le discours, et partent de ce constat de violences sexistes, « qui se passent partout et tout le temps » pour dénoncer un « système d’oppression machiste ». La dernière marche de ce type a eu lieu en 1999 :

« Le traitement médiatique de l’affaire DSK a fait ressortir tout le machisme de notre société. En effet le langage des dirigeants était jusqu’alors plus policé et à cette occasion la parole machiste, raciste et classiste s’est libérée. »

Selon le collectif, on parle de ce type de violence uniquement pour des raisons sécuritaires, stigmatisantes voire racistes : « la mise en place de vidéosurveillance, les tournantes dans les banlieues, mais rien pour dénoncer les mécanismes sexistes ».

 

Prise en charge des filles par elles-mêmes, comme des grandes…

La marche sera « no-logo » et « non-mixte ». Il s’agit de s’opposer à la victimisation des femmes pour au contraire montrer « une réponse collective » à des agressions individuelles. Les organisatrices ne mâchent pas leurs mots :

« Souvent il est déconseillé aux femmes de sortir la nuit, et si c’est le cas on leur demande plutôt de raser les murs. L’idée est de se rassembler à plusieurs centaines et d’occuper des rues entières.
 On a fait le choix d’une non mixité « meuf », « gouine », « trans » car on a besoin de se réapproprier les insultes et d’en faire des identités positives. « Gouines » car on veut visibiliser l’homophobie au sein des agressions sexistes. « Trans » parce que les hommes qui sont devenus des femmes (mtf) vivent des oppressions sexistes et/ou homophobes. Pour les femmes qui sont devenues des hommes (ftm), ils ont un vécu commun de sexisme avec les femmes biologiques »

Pour les militantes du collectif, l’infantilisation de la femme est tout aussi navrante, et omniprésente dans les techniques d’accroche employées par les hommes :

« Nous ne sommes pas seules quand nous sommes sans des gars. Car il nous arrive souvent, même quand nous sommes plusieurs meufs à marcher dans la rue, que l’un d’eux nous apostrophe en nous demandant si nous sommes seules. Nous ne les attendons pas pour traiter des problèmes qui nous concernent. Oui les meufs peuvent s’organiser entre elles. »

« C’est une stratégie d’empowerment », ajoutent-elles. C’est-à-dire de prise en charge de l’individu par lui-même. Pour une femme en 2011, à Lyon, il semble être temps.

 

Un extrait du film de Sofie Peeters « Femme de rue » dans un reportage diffusé par la télévision belge RTBF  sur ce qu’on nomme désormais le « harcèlement de rue »

> Marche non-mixte du 8 mars : au départ de la place Antonin Poncet (Lyon 2e) à 20 heures

> Article actualisé le 3 août à l’occasion de la diffusion sur la télé belge VRT (flamande) du film « Femme de rue » de Sophie Peeters la semaine précédente.

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