Au démarrage, seuls 432 ouvrages numérisés par Google figurent sur Numelyo, mais Gilles Eboli, directeur de la Bibliothèque municipale de Lyon assure qu’« il y en aura 60 000 fin 2013, puis 200 000 en 2014 et 400 000 en 2015 ».
Ce qui doit faire de numelyo la bibliothèque numérique « la plus importante d’Europe ». Pour lui :
« Le contrat passé avec Google ouvre une nouvelle ère, un nouveau paradigme d’usage, voire une révolution : pour la première fois en Europe la quasi-totalité d’une bibliothèque imprimée (d’ouvrages antérieurs à 1920) sera accessible en ligne ».
Tout aussi emphatique, l’adjoint à la culture de Lyon, Georges Képénékian assure que « nous sommes en train de réaliser cette République des livres accessible à tous » dont rêvaient les utopistes du 19esiècle.
Google pas invité
Sans Google, ce rêve n’aurait pu devenir réalité. Pourtant, le géant californien n’a pas été convié au lancement de Numelyo. Seulement informé. Ce n’est pas que la ville de Lyon n’assume pas ce partenariat. Dans de nombreux domaines, des services ou grands équipements urbains à la culture, le maire socialiste de Lyon, Gérard Collomb, s’est fait le champion du partenariat public/privé, au grand dam de l’aile gauche de sa majorité, parfois inquiète de voir « la ville bradée au privé ». Mais Gérard Collomb revendique ce « modèle lyonnais ».
Au printemps dernier, la Ville avait même imaginé procéder à une célébration un peu symbolique lors de laquelle les représentants de Google lui auraient remis la copie des premiers ouvrages numérisés, soit plus de 250 000 titres – quand la BNF, Bibliothèque nationale de France, en affiche moins de 200 000 ! Mais l’idée semblait peu opportune.
En délicatesse avec le fisc, en conflit avec les patrons de presse français et européens, en butte à l’hostilité d’une opinion publique inquiète de son manque de transparence et de l’instauration d’un traçage voire d’un « flicage » généralisé, Google préfère sans doute la mettre en veilleuse. Et la ville de Lyon remettre la multinationale américaine à sa juste place : celle d’un simple « prestataire ».
« Au regard du droit, Google est un prestataire de service, dans le cadre d’un contrat commercial, comme avec n’importe quelle boîte informatique. On paie Google en lui donnant l’exclusivité commerciale des fichiers numériques sur 25 ans » rappelle Patrick Bazin, directeur de la BPI, bibliothèque publique d’information de Centre Pompidou et qui fut, en tant qu’ancien directeur de la Bibliothèque municipale de Lyon, l’instigateur de cet accord.
Capture d’écran du site Numelyo.
Pacte faustien ou bon deal ?
À la signature du contrat, en juillet 2008, l’accord avait fait couler beaucoup d’encre. À l’époque, la doctrine française était dictée par la BNF de Jeanneney – auteur de « Quand Google défie l’Europe : plaidoyer pour un sursaut » – qui défendait exclusivement une alternative publique européenne. L’accord était taxé de « pacte faustien », d’« atteinte à l’exception culturelle française », voire d’ »eugénisme documentaire« .
À Lyon, l’élu écologiste Etienne Tête s’alarmait que « le patrimoine de la bibliothèque de Lyon devienne, de fait, la propriété de Google » tandis que le Modem Christophe Geourjon jugeait le marché « trop volumineux et insuffisamment évolutif », et la clause d’exclusivité « extravagante ».
Dans les faits, il ne peut y avoir privatisation puisque les livres restent évidemment propriété de la BML et leur contenu est de libre de droit, donc dans le domaine public. Quant à l’exclusivité, elle porte sur le fait que la BML ne pourra pas pendant 25 ans, à compter de l’engagement du marché, commercialiser ces fichiers. Mais il lui est possible de nouer des partenariats publics non commerciaux autour de leur diffusion, comme le précise une lettre adressée par Google à l’adjoint à la culture de Lyon en novembre 2009, revenant sur la clause d’exclusivité.
Aujourd’hui, le soufflé est retombé. Dans l’ensemble, les gens du milieu du livre, jusque dans le saint des saints, la BnF, aujourd’hui présidée par Bruno Racine, donnent raison à la BML. Certains ont même du mal à cacher leur jalousie. Comme Albert Poirot, administrateur de la Bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg :
« Il est extraordinaire que les pouvoirs publics n’aient pas pu déployer les moyens suffisants pour faire ce que nous espérions tous : mettre en valeur nos collections. Et bien le privé l’a fait ! Lyon a eu raison de s’engager dans cette voie. Il faut voir tous les avantages que cela représente pour les lecteurs. »
Lyon fait des jaloux
Si le soupçon demeure sur le fait que Lyon se soit livrée un peu légèrement à Google beaucoup reconnaissent aujourd’hui que l’accord passé avec le géant relève a priori d’un bon deal.
D’un côté, en signant avec une bibliothèque française, Google accroît son attractivité auprès des internautes et des annonceurs en augmentant le nombre et la diversité des collections présentées sur son programme « Google recherche de livres », riche de 22 millions d’ouvrages. Ce qui vaut bien un investissement évalué à 60 millions d’euros. De l’autre, la BML se dote, en dix ans et gratuitement, d’une bibliothèque numérique qu’elle aurait mis plus de 150 ans à réaliser en s’épuisant à quémander les maigres fonds publics consacrés à la numérisation.
Elle remplit ainsi sa mission de service public de la connaissance : mettre gratuitement à la disposition du plus grand nombre le patrimoine lyonnais et universel.
« On a évoqué une dépossession de notre patrimoine. Au contraire : il est plus que jamais possible de le partager avec tous », résume Gilles Eboli en présentant Numelyo.
Même le rapport Tessier sur la numérisation du patrimoine écrit remis au ministère de la Culture en janvier 2010 a, d’une certaine façon, donné raison à la BML en préconisant des partenariats public/privé équilibrés.
Mais s’il existe d’autres acteurs privés sur le marché de la numérisation – dont Microsoft – il semble clair que Google n’a plus intérêt à contracter avec d’autres bibliothèques françaises : avec la BNL – 2e bibliothèque française par la richesse de ses fonds patrimoniaux – Google a fait le plein. Comme 43 bibliothèques dans le monde, de Harvard à Lausanne et Columbia, Lyon a bénéficié d’une fenêtre de tir qui s’est aujourd’hui refermée.
« Sur la question des livres, le gros boum de la numérisation est passé », reconnaît Nicolas Georges, directeur adjoint chargé du Livre et de la lecture au ministère de la Culture.
Patrick Bazin va même plus loin :
« Aujourd’hui, la problématique du numérique s’éloigne des livres. Elle est de plus en plus liée aux jeux, aux applis, à la réalité augmentée… Le vrai champ de réflexion est sur les pratiques numériques et pas sur les livres numériques. Il faut sans doute penser l’au-delà du texte. »
« De plus en plus, on peut communiquer, penser, s’exprimer autrement que par le texte ; on est à l’orée d’une civilisation multi expressive » poursuit le directeur de la BPI, qui joue toujours les visionnaires.
Google prêt à lever certaines restrictions ?
En détaillant les fonctionnalités de Numelyo, Gilles Eboli s’est attaché à désamorcer toutes les critiques dont la numérisation made in Google a pu être l’objet. Sur la faiblesse du système de reconnaissance optique de caractère (OCR) pour les ouvrages les plus anciens : c’est «de toute façon un problème que personne ne sait dominer ». Sur la piètre qualité de la numérisation : le contrôle qualité exercé par la BML fait ressortir « un taux de fichiers non exploitables faible, de l’ordre de 3% ».
Enfin, il s’est attardé sur les clauses restrictives du marché contracté avec Google. Le contrat permet uniquement le téléchargement à l’unité dans le cadre d’une utilisation individuelle – et non des transferts massifs, qui permettraient de nouer des partenariats avec d’autres bibliothèques ou acteurs publics – et un téléchargement en mode image (format zip ou pdf) et non en mode texte, ce qui est pourtant le cas sur « Google recherche de livres » sur lequel les 270 000 ouvrages numérisés de la BML sont d’ores et déjà accessibles.
« Google n’est pas fermé à nos ambitions d’ouverture », assure le directeur de la bibliothèque de Lyon. « Dans le cadre des sommets Google, auquel nous participons avec la trentaine d’autres bibliothèques publiques sous contrat avec Google, nous observons que Google est à l’écoute des demandes visant à rendre possible le téléchargement en mode texte, et des partenariats. C’est un contrat mais ce n’est pas une porte fermée ; des discussions sont d’ores et déjà engagées » poursuit-il. La BML est notamment en discussion pour reverser ses fonds numérisés sur Gallica, bibliothèque numérique de la BNF et Europenana, le portail documentaire européen.
Numelyo, cathédrale numérique du savoir
Numelyo propose aux internautes d’accéder à une belle diversité de documents (manuscrits, enluminures, périodiques régionaux, livres, etc.) et invite également à partager les contenus. La dimension participative du site, déjà initiée à la BML via les services Guichets du savoir ou Photographes en Rhône-Alpes (base de 22 000 photos, dont 8 000 contributions spontanées de photographes amateurs et professionnels), devrait encore monter en puissance. Enfin, les équipes de la BML travaillent à la mise à disposition prochaine des contenus de Numelyo pour liseuses et tablettes numériques.
Avec Numelyo, Lyon peut se targuer de proposer une bibliothèque numérique qui prendra progressivement une ampleur exceptionnelle. Pour le directeur du Livre et de la lecture au ministère de la Culture cette « nouvelle cathédrale numérique du savoir » est « une contribution de première importance qui sera un terrain d’observation privilégié des usages et des pratiques», un élément « indéniablement structurant dans le paysage français ».
D’un point de vue plus politique, Lyon voudrait par ce biais s’affirmer comme grande métropole européenne des savoirs.
Lyon accueillera en juin 2013 le congrès de l’Association des bibliothécaires de France, puis en août 2014 celui de la Fédération internationale des associations de bibliothécaires, deux évènements lors desquels la Ville et la BML auront à cœur de vanter le fameux « modèle lyonnais ».

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Pourquoi google ? Eux seuls avaient, je crois, acceptés de photographier les livres de manières non destructives (les autres coupent la reliure et passent les pages dans un chargeur à documents)
Donc entre des palabres de parisiens (qui ont à ce jour pas fait grand chose) et google, ben.... on peut comprendre ce choix.
@Matthieu
Exactement. Et voici donc encore une occasion manquée de créer de l'emploi et dynamiser la France. Ni la ministre de la culture, ni la ministre des PME, de l'innovation et de l'économie numérique, ni le ministre de l'Éducation... n'auront eu le réflexe de s'interroger sur une telle dépendance et un tel manque d'entrepreneuriat !
Car les Français savent numériser sans abimer les reliures, et en masse, cela a très bien fonctionné pour la numérisation des registres paroissiaux et d'état-civil en Alsace. Car la BM de Lyon (on ne dit plus médiathèque ?) aurait pu profiter de l'occasion pour y associer le monde universitaire (savoir-faire), le Conseil Général (financement), le Fonds européen d'investissement, les fonds d'innovation des entreprises françaises, et autres, c'est-à-dire transformer cette bête tâche en action de développement et d'innovation.
Faut quand même pas exagérer, on sait financer des conneries comme les projets soviétiques de l'aéroport Notre-Dame-des-Landes. Alors une campagne de numérisation... Mais non, ce serait trop simple. On préfère encore une fois rester assis, faire un appel d'offre et attendre.
D'abord : SI, Numelyo aurait vu le jour sans Google. Parce que la BML (Bibliothèque Municipale de Lyon) numérise ses fonds depuis 1993. Numelyo ce n'est pas Google. Numelyo comprend la numérisation effectuée par Google pour la BML, mais toute la presse locale, ce n'est pas Google ; les manuscrits mérovingiens et carolingiens, ce n'est pas google ; les affiches, ce n'est pas Google ; les estampes, toujours pas Google ; les photographes en Rhône Alpes ou les photographies d'artistes, devinez quoi, ce n'est toujours pas Google. Google ça sera, à terme, un volume sans comparaison. Mais en attendant, c'est peanuts dans Numelyo : même pas 500 bouquins alors qu'il y a d'ores et déjà 200 000 documents.
Pourquoi Google s'est collé à la tâche ? Demandez non pas à l'Etat ou à la ville, mais aux concurrents. Il y a marché, appel d'offre, on s'attendait à avoir des réponses de France Télécom, de Microsoft ou même de Jouve, mais rien du tout : seul Google à répondu à l'appel. Et quand on voit le travail de Jouve à la BnF, on ne peut que remercier le ciel d'y avoir échappé. Et on peut aussi rappeler que la clause d'exclusivité n'a pas été imposée par Google, mais est à l'initiative de la Ville !! Google n'a rien demandé de ce côté là !
Numelyo est un site conçu de A à Z par les équipes de la BML, sur la base d'outils OpenSource, en conception adaptative (responsive design) et prenant en compte les bonnes pratiques d'accessibilité pour les publics handicapés, notamment malvoyant. C'est un coup de force technique réalisé entièrement en interne. Plutôt que de pleurer sur l'implication du salaud de géant américain et regrette l'inaction des pouvoirs publics, peut-être que vous pourriez saluer le travail des fonctionnaires de la bibliothèque. Je le redis : le contenu de Numelyo ce n'est PAS que Google ; le site en lui-même ce n'est PAS DU TOUT Google.
J'ajouterai sue le site est entièrement ouvert à l'indexation par n'importe quel robot : en d'autres termes, les livres ne seront sur Google Books uniquement QUE si les autres moteurs de recherche, sites ou particulier ne font pas l'effort de moissonner Numelyo. Le moteur libre Yacy a déjà commencé à indexer. On retrouve des documents de la BML dans Gallica, dans Européana et même dans Rosalis (la bibliothèque numérique de Toulouse - 60 000 documents). Ces documents sont libres (sauf photos encore sous droits). Chacun est libre de les choper, la BML demande juste de préciser qu'elle est la source de ces documents.
Je m'énerve un peu, mais c'est agaçant de voir dans tous les médias qui traitent du sujet Google martelé dans tous les sens alors que c'est actuellement un point très minoritaire. Moi je retiens une mise en valeur des opérations de numérisation menées depuis 17 ans par la BML et un travail entièrement effectué en interne. Mais c'est sûr que c'est plus vendeur de mettre Google dans le titre :(
Donc, en effet, un titre contenant le terme "Google" semble particulièrement approprié. Vendeur, si vous voulez, mais surtout approprié.