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Meurtre d’Agnès au Chambon-sur-Lignon, trois mois après

En novembre 2011, le corps calciné d’une collégienne de 13 ans était retrouvé dans une forêt en Haute-Loire. L’assassin présumé d’Agnès, un lycéen de 17 ans, attendait à ce moment-là d’être jugé pour le viol d’une autre adolescente commis quelques mois auparavant, dans le Gard. Tous deux étaient pensionnaires de l’établissement scolaire du Cevenol. Trois mois après ce « fait-divers » largement exposé dans les médias, deux journalistes de France 3 Auvergne se sont rendus dans la commune du Chambon-sur-Lignon. Ils y ont réalisé un court documentaire, dans le cadre d’un projet télévisuel sur les adolescents, qui leur donne la parole.

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Le tournage au Chambon-sur-Lignon a eu lieu au début de ce mois de février. Températures en-dessous de 0°. Les adolescents portent des pulls, réunis dans un café et ils parlent de leur établissement du Cevenol, placé le temps du drame sous les feux des projecteurs, et dans lequel ils étudient toujours. Ils parlent d’« une surveillance un peu plus stricte dans l’internat ».

« Tout le monde a surmonté. On a chacun une vie, il faut qu’on avance », dit l’un.

« Les filles ont eu plus de mal. (…) Elles se sont dit que ça aurait pu leur arriver (…). Agnès était la plus petite de leur internat. (…) Nous on est des mecs… On était plus solidaires », dit un second lycéen.

Repris par un de ses camarades, il précise :

« On était plus énervés (…) d’avoir côtoyé une personne pendant un an, il était avec nous… Surtout que c’était un ami d’Agnès. »

Dans leur discours, il n’y a pas de peur. Peut-être, comme dit l’un d’eux, parce qu’ils sont des « mecs », mais surtout, comme les trois adolescents s’accordent à le souligner, parce qu’ils ne veulent pas que le « drame du Chambon-sur-Lignon » colle éternellement à l’image de leur établissement. Ils adoptent presque un réflexe de défense, l’un d’eux tente maladroitement :

« Je pense que ça peut arriver n’importe où. On assume ce qui s’est passé, au Cevenol. »

Les parents interviewés par les journalistes de France3 ne s’attaquent pas davantage au lieu qui a abrité la relation d’Agnès et de son assassin présumé. Pour les mères des lycéens, que les journalistes ont aussi réuni autour de la table d’un café, il n’y a pas de quoi s’affoler :

« Le danger est en ville aussi, le risque est le même pour un adolescent. (…) Quand ils sortent au Puy-en-Velay, il peut arriver la même chose. »

A la suite du meurtre d’Agnès et de l’interpellation de l’adolescent suspecté, qui est passé aux aveux au cours de sa garde-à-vue, six familles ont retiré leurs enfants du Cévenol. Mais pour d’eux d’entre elles, d’origine russe, le départ était déjà prévu. Quatre autres adolescents ont été accueillis depuis dans l’établissement, et deux autres devraient arriver à la fin des vacances de Pâques.

 

Le Cevenol sous la menace d’une fermeture

Le Cevenol est une institution, en Haute-Loire et au-delà, un projet d’établissement fondé en 1938 par deux pasteurs, qui voulaient lui conférer une dimension chrétienne et ouverte sur l’international, mais aussi sur la nature, portant un message de paix et une vision individualiste et privilégiée de la formation scolaire. Etablissement privé sous contrat avec le ministère de l’Education nationale, géré par une association, il a donc accueilli depuis sa création des enfants de diplomates ou d’expatriés de passage en France. Mais aussi de nombreux adolescents en rupture avec les cursus scolaires classiques. Un lycée de « la deuxième chance », comme dira l’un des administrateurs du Cevenol qui a reçu France 3 chez lui, à Paris.

Très vite, le documentaire s’attarde sur cette école, cette énorme bâtisse perdue dans un paysage montagnard qui, selon les habitants du Chambon-sur-Lignon interrogés, en est d’une certaine façon le cœur.

Aux journalistes, les portes de l’établissement sont restées fermées. Gérard Rivolier, l’un des deux journalistes de France3, raconte :

« La direction devait nous recevoir, d’abord en dehors des murs du Cevenol, puis ensuite elle a carrément refusé l’interview. Ils nous ont dit que les enfants avaient besoin de se reconstruire en dehors des caméras. »

Le documentaire dessine plutôt les difficultés économiques d’une structure vieillissante, tout autant que la déchéance d’un projet scolaire. Après le fait-divers de 2011, l’inspection générale de l’Education nationale a procédé à une visite au sein de l’établissement et n’a pas jugé nécessaire de mettre fin au contrat qui le lie au ministère. Malgré cela, la menace de fermeture pèse toujours sur le Cevenol, qui pourrait fermer prochainement, notent les journalistes de France 3, s’il ne sort pas de ses difficultés administratives et financières.

 

Un fait-divers… une nouvelle loi

Après le meurtre d’Agnès, la Justice ne mettra pas en cause le Cevenol, qui n’aurait donc pas failli à sa mission d’encadrement. La famille d’Agnès n’a pas été du même avis. Celles des autres adolescents du lycée sont plus apaisées aujourd’hui et n’incriminent pas davantage l’établissement. Mais dans le documentaire, ils continuent de fustiger la Justice ainsi que les experts psychiatres qui ont permis au jeune lycéen de 17 ans qui a avoué le crime, de poursuivre ses études, alors qu’il devait répondre d’un viol commis sur une mineure quelques mois avant, en août 2010, dans le Gard.

Le documentaire passe en revue les épisodes de ce qui a donc été un fait-divers sous l’ère de Nicolas Sarkozy. Le film revient sur son traitement médiatique et sur l’énième débat qu’il n’a pas manqué de susciter, relatif à la prise en charge de, entre autres thèmes, la récidive, la délinquance des mineurs.

Le directeur de l’établissement ne savait pas pourquoi le lycéen faisait l’objet d’une procédure judiciaire, et ce « défaut d’information » tout comme la légitimité ou non de sa mise en liberté, après quatre mois de détention, ont fait l’objet d’une réunion ministérielle. Le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, avait aussitôt parlé de « dysfonctionnement ». Sur le mode habituel du « fait-divers suivi d’une disposition », un projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines a très vite été présenté. Il a été adopté par l’assemblée nationale en janvier dernier, puis par le Sénat le 1er février 2012.

Pour l’un des administrateurs du Cevenol, ancien élève de l’établissement, l’aspect positif de cette loi réside dans la mise en place du « secret partagé », qui consiste dans le partage des informations entre la Justice et l’Education nationale.

Ce documentaire (en ligne sur France 3 Rhône-Alpes) est le premier volet d’une trilogie intitulée « Ados en danger », tournée dans le cadre d’Enquêtes de régions. Un second film court sera consacré au collège du quartier de La Villeneuve à Grenoble ; le troisième, tourné dans l’Ain, se concentrera sur le témoignage d’un adolescent condamné à du sursis, mis à l’épreuve.

 

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