Ludivine ne s’est jamais passionnée pour la politique. Dijonnaise d’origine, elle habite à Lyon depuis que son conjoint, professeur de technologie, s’est fait nommer dans un collège de Villeurbanne. Titulaire d’un master en management et gestion de production, elle est au chômage depuis 6 mois. Avant d’entrer dans la vie active, elle n’a jamais voté, « par désintérêt sûrement ». A la maison, on ne parlait pas de politique.
« Ce n’était pas un sujet tabou, mais ça ne m’intéressait pas spécialement. Je pense que ma mère est de gauche, mon père de droite – le stéréotype du gendarme. Je me souviens que ma mère avait voté Raymond Barre, mais je ne sais même plus exactement quand, ça remonte tellement. D’ailleurs, je ne sais même pas de quel parti politique il est… ».
La première fois que la jeune femme entre dans l’isoloir, c’est à l’occasion des présidentielles de 2007. Au premier tour, elle vote Bayrou, puis elle préfèrera Sarkozy à Ségolène Royal, le coeur plus à droite qu’à gauche. Pour avril prochain, elle pense « malheureusement » à un vote « contestataire », pour Marine Le Pen.
« Non pas que je sois d’accord avec tout ce qu’elle représente… Mais plus pour le côté coup de gueule ».
Sinon, ce sera de nouveau le candidat centriste.
« Le suivi inutile » de Pôle Emploi
Cette attirance pour Marine Le Pen, Ludivine l’a depuis qu’elle est entrée dans le monde du travail. Elle a l’impression qu’elle répond à sa préoccupation première, l’emploi.
« Tout le monde pense qu’un chômeur est sans diplôme, alors que moi j’ai un bac +5, je recherche activement un travail et ça fait quatre ans que je fais des missions d’intérim dans des gros groupes. Le problème, c’est que la France est très frileuse et très procédurière pour l’embauche ».
Elle se dit déçue par la politique de Sarkozy. A la recherche d’un poste stable depuis quatre ans, inquiète par les fermetures d’usines, elle n’a pas apprécié l’idée du référendum sur la formation des chômeurs. Pour la jeune cadre, c’est évident : si la France a un taux de chômage élevé, c’est parce que le boulot est parti ailleurs». Elle fustige le suivi «inutile» de Pôle Emploi :
« A Pôle Emploi, ils sont débordés. Heureusement, je suis tombée sur une conseillère intelligente qui m’a proposé qu’on s’envoie des mails pour faire gagner du temps à tout le monde. Dans mon secteur, on n’a rien à me proposer, ma formation, on ne comprend même pas ce que c’est. C’est un système qui fait perdre du temps et de l’argent à tout le monde – mieux vaut utiliser les offres d’embauche sur Internet ».
L’Etat social en question
Au-delà de ses préoccupations sur l’emploi, la jeune femme voudrait une économie plus « française », avec moins d’exportation et d’importation. En fait, Ludivine et la politique, c’est un tissu de contradictions. Pour le système des retraites par exemple, elle opine que la position de l’UMP « se tient sur une partie : on doit cotiser plus longtemps si on vit plus longtemps ». Mais déclare que ce qui la gêne dans le système français, c’est « l’écart entre les plus riches et les pauvres». Si elle s’estime mieux lotie que les Américains sur ce point (« là-bas, seuls les plus riches ont une retraite »), elle s’interroge sur l’utilité de l’épargne privée :
«Je me demande si, quand moi je serai à la retraite, le système public existera encore… Est-ce que je n’aurai pas cotisé pour rien ? A quel montant sera ma retraite ?»
Sur le volet social, elle regrette des aides sociales « pas toujours bien distribuées , il y en a qui abusent», mais défend avec ferveur la sécurité sociale de l’Etat Providence.
Un souci féministe à géométrie variable
La portée de l’élection présidentielle, elle la relativise. « Est-ce que l’un ou l’autre des candidats va réellement changer les choses… ? Aujourd’hui, la France n’est pas toute seule, il y a l’Europe, l’international… Est-ce qu’un président français, tout seul avec ses petites idées, peut réellement faire avancer le système ? ».
Ludivine ne s’est pas encore penchée sur le programme de Marine Le Pen, pas plus que sur un autre. Mais l’opération de « féminisation » d’un parti historiquement masculin voire misogyne semble avoir bien fonctionné sur elle. Quand la jeune femme défend les valeurs « françaises » qui lui sont chères, elle évoque le respect de la femme mais aussi le droit à l’avortement. Elle ne sait pas que le Front National reste contre.
Elle s’indigne du cas « atroce » d’une iranienne violée et emprisonnée enceinte, lu dans un magazine. Ludivine, en y repensant, admet que les inégalités hommes-femmes, il y en a aussi dans la société française : « c’est vrai que dernièrement au travail, on m’a demandé de ne pas avoir d’enfant pendant deux ans… ». Elle a choisi de ne toujours pas en avoir, par crainte de l’avenir, et de ses propres perspectives professionnelles.
Pour Ludivine, le vote Le Pen reste un choix « extrême ». D’ailleurs, elle n’est pas convaincue que ce soit le bon. « Mais dans le système français, il faut qu’il y ait un choc pour se faire entendre… Du coup, ce serait un moyen comme un autre de marquer notre désaccord et notre mécontentement ». Pourquoi un coup de gueule à l’extrême droite ?
« En fait, la droite, c’est venu naturellement… Je trouve que Marine Le Pen a plus de charisme que Mélenchon. Moi je ne suis pas trop pour le côté « social-travailleur », je suis plutôt pour «la France aux Français». Concrètement, Marine Le Pen peut mieux réguler l’immigration. Avec un taux de chômage record, on a tout le système français qui se casse la gueule, alors je me dis qu’on ferait mieux de garder l’argent pour nous, plutôt que d’aider les sans-papiers à se loger. »
Le vote contestataire, la jeune femme se le réserve comme une option ; elle se décidera au dernier moment, pour un premier tour seulement, « pour voir ». Mais si Marine Le Pen est présente au second tour, Ludivine assure qu’elle ne votera pas pour elle.

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tout pour moi rien pour les autres...
1) sur cet article précisément : sacrée tocarde ! "Un tissu de contradictions", c'est le moins que l'on puisse dire !
2) sur la série d'articles jusque là : Pierre, vote écolo après avoir voté communiste ; Sonia, vote FN ; Samuel, vote PS après avoir voté extrême gauche et extrême centre ; Bertrand, vote Mélenchon... C'est à se demander comment l'UMP et le PS arrivent à être les partis majoritaires ou à avoir des militants convaincus puisque jusque là on ne voit que des électeurs d'autres candidats ou loin d'être fidèles à leur candidat. C'est une réalité à montrer et chaque article donne la voix précisément à ceux qui ne votent pas pour ces grands candidats que l'on voit partout et que l'on entend trop, chaque article se tient très bien mais, sur l'ensemble de la série d'articles, on se demande à quel point le panel est représentatif de ce qui va se passer dans les urnes.
Ce n'est peut-être pas l'objectif, après tout.
Une deuxième chose, un Bac+5 soit, mais pourrait-on préciser dans quel domaine ? Plusieurs de mes amis, assommés par la réalité du travail, se sont résignés (après 3 à 5 ans d'études supérieures) à se réorienter vers des filières qui embauchent.
Attention, je ne dis pas que c'est une chose louable. Mais faire preuve de pragmatisme ces temps-ci ne peut définitivement pas faire de mal.
Mais je pense qu'il ne faut pas tout mélanger. En quoi voter Marine le Pen est un vote contestataire ? quelles seront les conséquences à part plonger notre pays dans le chaos et diviser les gens ?
Ce genre d'article montre bien que hors les authentiques fachos, il y a une part considérable, pardon de le dire, d'abrutis parmi eux.
Après je pense que Ludivine s'est pas mal retenue sur l'antI-bougnoulisme, la véritable et commune motivation des electeurs FN