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Rodéos à Lyon : rencontre avec de jeunes passionnés de moto-cross

Depuis le mois d’avril, les rodéos débarquent dans le centre-ville de Lyon, faisant couler beaucoup d’encre. Le phénomène semble se multiplier, à la grande exaspération des habitant·es. Rue89Lyon est allé à la rencontre de ces jeunes passionnés de moto-cross.

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rodéos Lyon

 

Place Bellecour, à Lyon, les moteurs d’une poignée de moto-cross rugissent, troublant le calme d’un samedi après-midi confiné. A toute allure, les pilotes font se cabrer leurs engins et sillonnent la place sur une seule roue, laissant des marques sans équivoque sur le gravier. Depuis leurs balcons, les riverain·es filment la scène, exaspéré·es par ces « rodéos » à motos qui se répètent depuis la mi-avril dans le centre-ville de Lyon.

Le phénomène a fait couler beaucoup d’encre dans la presse locale. Sur les réseaux sociaux, on évoque l’insécurité du centre-ville ou les nuisances sonores. Comme Rue89Strasbourg l’été dernier, Rue89Lyon est allé à la rencontre de ces jeunes adeptes des rodéos et wheelings en ville. Pourquoi font-ils ça ? Souhaitent-ils se mettre les Lyonnais·es du centre-ville à dos ?

Un wheeling à moto-cross près de Lyon.Photo : Leo

« La bécane, c’est un autre monde. »

« Mais pas du tout ! On ne va pas se faire chier à acheter des bécanes pour faire chier les gens ! » rétorque Adam*, un adolescent de 17 ans habitué des virées en moto-cross sur le périphérique lyonnais.

Le garçon parle d’une véritable passion, d’un investissement financier non négligeable et surtout de sensations grisantes qui le poussent à rouler toujours plus vite sur sa moto : 

« La bécane, c’est plus qu’un amusement, c’est un autre monde. On va où on veut, c’est la liberté ! »

Dès qu’il a un moment de libre et que le temps le permet, l’adolescent sort sa moto-cross et rejoint des copains et d’autres motards pour des rodéos sur le périphérique de Lyon. De quelques années plus âgé, Fabien, 23 ans, a fait ses premières roues arrières à 17 ans, à l’âge d’Adam*. Depuis, il vit par et pour la moto-cross, entouré d’un groupe de motards dont il est devenu très proche et qu’il qualifie de « famille » :

« C’est une passion qui rassemble, de simple rencontres sont devenues de très bons amis. Je vois ça comme la possibilité de rencontrer des gens supers qui partagent la même passion, avec qui on peut s’améliorer, rigoler… Vivre, quoi. J’ai même initié ma copine. »

C’est grâce à la moto que Fabien a croisé la route de Leo, 24 ans. Depuis, les deux jeunes hommes roulent régulièrement ensemble, avec une bande d’amis. Au-delà des amitiés qui se sont créées sur le bitume, Leo estime que la moto peut aussi être un bon échappatoire pour les jeunes :

« Les gens font ça pour l’adrénaline, pour s’amuser, mais aussi pour s’échapper. J’ai certains amis qui préfèrent faire ça pour passer le temps et éviter de tomber dans le trafic de drogue par exemple. »

Leo fait de la moto-cross depuis ses 16 ans. Huit ans plus tard, sa passion prend beaucoup de place dans sa vie :

« Je travaille beaucoup, je suis gestionnaire de stock en CDI dans un très grand groupe. Je bosse 2 semaines de nuit par mois, j’en profite pour faire de la moto la journée. Le reste du temps, je travaille de 6h à 18h et je sors vers 19h, quand je rentre. C’est très important pour moi, des fois je me dispute avec ma copine car je sors trop selon elle. »

Les roues arrières : prouesse technique et délit

Comme Adam*, Fabien et Leo s’exercent régulièrement à rouler en équilibre sur la roue arrière de leur moto. Un exercice difficile appelé « wheeling », précise Fabien, pédagogue :

« L’intérêt, ce sont les sensations quand on arrive au point d’équilibre, c’est-à-dire la hauteur à partir de laquelle si on ne freine pas on tombe en arrière. C’est la même sensation que sur un gros manège où l’on sent ses fesses se décoller du siège. La moto devient toute légère, c’est une sensation incroyable. »

Le jeune homme constate que les roues arrières sont en train de devenir une véritable mode chez les motards :

« On voit de plus en plus de monde faire des wheelings, que ce soit les chaînes YouTube qui s’ouvrent ou le monde présent lors des rassemblement. C’est un phénomène en plein expansion. Il est de plus en plus en vogue, donc forcément plus de gens font ça mais ce n’est pas nouveau. C’est juste qu’on en parle plus maintenant. »

Pourtant, la prouesse est largement critiquée, particulièrement ces derniers jours où de jeunes motards ont cru bon de venir s’exercer sur la place Bellecour, en plein centre de Lyon. Leo se désole que tous les motards soient mis dans le même sac :

« Les personnes qui sont allées à Bellecour, je sais qui c’est, et c’est pour provoquer la police. Je ne cautionne pas ce genre de choses. Surtout qu’ils ne se feront jamais choper, et que derrière c’est nous qui allons prendre, ce qui pousse certains à rouler sans plaques. A cause de ça, une simple roue arrière est considérée comme un rodéo maintenant. » 

Virée à moto dans les rues de LyonPhoto : Leo

Pratiquer la moto-cross à Lyon, « le jeu du chat et de la souris »

En quête de cette sensation de liberté et d’adrénaline, ou pour travailler ses wheelings en paix, chacun a sa technique. Du côté d’Adam*, un groupe hétéroclite d’adolescents et jeunes adultes des quartiers de la banlieue lyonnaise se donnent rendez-vous pour une sortie à moto très encadrée, sans en avoir l’air :

« On se rejoint en bécane n’importe où mais pas en ville. Il y a de tout, des motos-cross, des grosses motos, des scooters et des motards de tous âges aussi. Il y a des gamins de 13 ans, des hommes de 30 ans. Ils viennent de Vénissieux, Vaulx, Gerland, Saint-Priest, Rillieux-la-Pape… On peut être 5 comme 20, ça varie. Un gars choisit le meilleur itinéraire sur les grosses routes comme le périphérique ou l’autoroute. Ensuite, chacun fait ce qu’il veut en vrai. Il faut juste faire attention aux decks [policiers, ndlr] et aux autres voitures. Généralement, on a un grand qui suit le groupe en voiture avec des bidons d’essence au cas où. Ensuite, on rentre chacun de notre côté. »

Fabien, Leo et leurs amis ont longtemps roulé aux abords du stade de Gerland, quand ils ne sillonnent pas les bois et campagnes environnantes. Pour s’exercer, ils ont investi depuis peu une piste d’auto-école désaffectée, non loin de l’aéroport de Bron, explique Fabien :

« C’est le seul endroit à 30 kilomètres à la ronde où on est à peu près tranquilles. Quand la police vient, en général on a droit au contrôle de nos papiers. Certains policiers nous comprennent et nous disent que tant que l’on reste ici, ça va. Dès que l’on se fait chasser, on retourne presque tous sur la voie publique. C’est le jeu du chat et de la souris. »

« C’est extrêmement compliqué de pratiquer la moto-cross à Lyon »

Les deux motards se montrent très critiques vis-à-vis des rodéos sur la place Bellecour. Pour eux, ce genre de démonstration entretient la mauvaise image qui colle à leur discipline. Le problème, c’est que pour pratiquer la moto-cross à Lyon, ce n’est pas si simple, explique Leo après un instant de réflexion :

« C’est extrêmement compliqué, il n’y a pas ou très peu de terrain. J’en connais un à Lyon, et il faut une licence qui est chère. Avec des amis, on va dans les bois. Les gamins qui roulent en ville, c’est souvent sur des moto-cross non homologuées qui n’ont pas le droit d’aller sur la route. Pour aller en faire à la campagne ou en forêt, il leur faudrait un véhicule. » 

Leo utilise aussi sa moto comme moyen de transport au quotidien, dès que le temps le permet. Il en a donc acheté une déjà homologuée, pour la modique somme de 4000 euros, « une bonne affaire » selon le jeune homme. Une moto-cross classique coûte environ 2000 euros pour les premiers prix. Mais la faire homologuer n’est pas à la portée de tout le monde : il faut débourser l’équivalent d’un SMIC.

Pour Leo, si les pouvoirs publics veulent mettre fin à ce phénomène de rodéos en ville, il va falloir mettre la main à la poche :

« En fait, d’un côté l’Etat se plaint de la situation mais rien n’est fait pour l’améliorer. Pour s’entraîner à faire des roues arrières, par exemple, il n’existe aucune structure en France. Mettre en place des structures légales serait bien plus efficace que d’envoyer la police, dont plus personne n’a peur aujourd’hui.  »

Depuis son dernier rodéo, Adam* compte tout de même faire profil bas quelque temps avant de ressortir sa bécane. Fabien, Leo et leurs amis, eux, attendent avec impatience le prochain rayon de soleil pour filer dans les bois. Malgré les risques, aucun d’entre eux ne compte se mettre à respecter le Code de la route, ni troquer sa moto contre un vélo ou la remiser au garage.


#Banlieue

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