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« Les grandes chasses stressent les poissons du Rhône »

[Série] Chaque printemps, on ouvre tour à tour les barrages du Rhône pour éviter au lac Léman de déborder. Causant des dommages à la biodiversité.

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Le Rhône à Vernaison. Photo Unsplash par Le sixième rêve.

Les travaux d’artificialisation du Rhône ont commencé dans les années 1890, d’abord pour obtenir une voie navigable sécurisée jusqu’à la Méditerranée, puis pour y bâtir des barrages hydroélectriques.

Aujourd’hui, le Rhône a été altéré sur presque toute sa longueur, faisant obstacle au développement d’une biodiversité équilibrée, capable de s’autoréguler. Différents acteurs associatifs et institutionnels se mobilisent depuis plusieurs années pour donner une nouvelle respiration au fleuve.

Dans un premier volet, Rue89Lyon s’est penché sur les différentes pollutions du Rhône : pesticides en provenance du Beaujolais, microplastiques ou encore les substances pharmaceutiques qu’on avait du mal à déceler jusqu’à récemment. Un second volet a été consacré à l’impact des barrages sur la biodiversité dans le Rhône.

De l’artificialisation et de l’édification de barrages sur le Rhône a résulté un autre phénomène qui inquiète beaucoup. Il s’agit des « grandes chasses ». L’appellation peu scientifique désigne l’ouverture successive des barrages du fleuve pour laisser passer l’eau qui menace de déborder du Lac Léman, en Suisse. Les « grandes chasses » ont la plupart du temps lieu au printemps, moment de la fonte des glaces et des giboulées.

On pourrait croire qu’elles ré-autorisent temporairement le transit naturel des sédiments -qu’habituellement les barrages empêchent-, mais d’après Jean-Pierre Faure, président de la Fédération de pêche du Rhône, il n’en est rien :

« C’est violent, les grandes chasses libèrent tout d’un coup. Les vases, les limons et les argiles sont en suspension, ils n’ont pas le temps de se poser naturellement. »

Quand une trop grande quantité de sédiments est en suspension, cela peut irriter les branchies des poissons par exemple. Jean-Pierre Faure reprend :

« On se pose encore beaucoup de questions. Dans le département du Rhône, on est loin des zones d’ouverture des barrages, on ne va pas observer beaucoup de morts. En revanche, on voit des turbidités prolongées, une influence sur la production de plancton, du stress sur la faune. »

fleuve Rhône Vernaison poissons
Le Rhône à Vernaison. Photo Unsplash par Le sixième rêve.

Il donne un exemple :

« En 2016, on a vu le ralentissement des migrations des poissons dans le Rhône. Cette année là, l’ouverture des barrages a fait l’effet d’une tempête de sable pour les espèces. C’est une observation ponctuelle, on n’a pas encore beaucoup de recul. On peut observer de la croissance qui ralentit, mais on n’a pas d’éléments de recherche qui prouve que c’est à cause des grandes chasses spécifiquement. »

En 2021, 4000 m3 d’eau ont transité par le fleuve contre 800 m3 en 2020

En 2021, on a observé des débits historiques lors des grandes chasses du Rhône. Cependant, il ne faut pas tirer de conclusion hâtive : celles de l’année précédente (2020) ont, au contraire, enregistré des débits extrêmement bas.

Paul Monin est directeur du Centre d’observation de la nature, à l’île du Beurre, une réserve naturelle située à une quarantaine de kilomètres au sud de Lyon, il détaille :

« Généralement, on voit passer 800 m3. En 2021 on n’est pas passés loin des 4000 m3. Il y a eu beaucoup d’eau, qui venait des pluies comme des fontes de glace. »

Paul Monin pondère les conclusions qu’on pourrait en tirer :

« On peut parler de trois « lâchés de barrages » en 2021. Ce qui est vraiment ennuyeux pour la biodiversité, ce sont ceux tardifs : quand il y a un courant trop fort, ça peut décrocher les œufs de là où ils ont été pondus. »

Paul Monin n’a pas les moyens d’observer une variation de populations de poissons en aval de Lyon, en revanche, il a pu admirer trois redécorations successives de sa réserve naturelle :

« Dès qu’il y a une crue, on a des guirlandes de déchets plastiques dans les arbres sur des kilomètres et des kilomètres, à un ou deux mètres de hauteur. Parfois même, nous récupérons des cumulus [chauffe-eau] ou des frigos. »

Blasé, il conclut :

« On attend la crue d’après, c’est tellement régulier qu’on ne se donne pas le mal de les enlever. On est bien conscient que ça n’est pas en nettoyant la partie visible du site, que nous allons faire changer les choses. »

« Avant 2012, on ne coordonnait pas nos ouvertures de barrages »

Pour Eric Divet, directeur régional de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) – concessionnaire du Rhône pour la production d’hydroélectricité, le transport fluvial et les usages agricoles -, le système des « grandes chasses » n’est pas parfait, mais il a le mérite d’être bien plus pensé qu’il y a une vingtaine d’années :

« En 2012, une directive s’appuyant sur la Convention d’Espoo a obligé la Suisse à s’harmoniser avec nous. Concrètement, ça a pris la forme d’un comité de pilotage où on coordonne nos ouvertures de barrages. Avant, on ne se coordonnait pas du tout. »

De la même façon, le taux de matière en suspension maximum a aussi été imposé uniformément aux deux pays voisins en 2016 :

« On ne doit pas laisser passer plus de cinq grammes par litre de matières en suspension dans le fleuve. On essaye d’en stocker le plus possible dans le barrage de Génissiat [l’un des premiers ouvrages hydroélectriques après la frontière suisse, ndlr]. Il est arrivé qu’avant, on compte entre 30g et 50g par litre à la frontière. »

Eric Divet ajoute :

« Notre enjeu pendant les grandes chasses est surtout de protéger le vieux Rhône. On va faire transiter le flux par nos usines par exemple, on travaille avec les fédérations de pêche : on fait des pêches de sauvegarde, on aménage aussi des zones de refuge où l’eau est claire. »

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