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Au cœur de Lyon, des artisans poursuivent l’héritage de la soie

[Lyon au fil de la soie 5/5] Cet été, nous vous proposons de reprendre avec nous le fil de l’histoire de Lyon, à travers celle de la soie. Malgré la crise des années 80, quelques artisans perpétuent encore ce savoir-faire ancestral de la soie lyonnaise.

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Gabriel Kahn et sa collègue, tous deux imprimeurs-coloristes détiennent un savoir-faire unique.
Gabriel Kahn et sa collègue, tous deux imprimeurs-coloristes détiennent un savoir-faire unique.

Au XIXe siècle, Lyon était la capitale de la soie. Mais cet héritage séculaire, dont nous avons retracé le fil, s’est étiolé dans la seconde moitié du XXe siècle. Pourtant, les vestiges de cette histoire perdurent encore dans quelques lieux de la capitale des Gaules. Notamment, près de la place des Terreaux, où se situe un des derniers ateliers lié à l’économie de la soie en France.

Dans ce lieu baigné de lumière, haut sous plafond, les ventilateurs tournent sans relâche, brassant l’air chargé des effluves de peinture. « Personne ne travaille comme nous », s’exclame Gabriel Hahn, imprimeur-coloriste de l’atelier Brochier Soieries, où se perpétue manuellement le procédé traditionnel de l’impression au cadre à la lyonnaise, datant du siècle dernier.

Le dernier atelier d’impression à la lyonnaise 

Gabriel Hahn et deux de ses collègues réalisent cette technique artistique sur des carrés de soie. « Épingler le tissu à la main, cuisiner, préparer les couleurs, fixer le colorant, cadrer le motif et l’imprimer, ce sont toutes les tâches que l’on fait ici », précise Gabriel Hahn, employé dans l’atelier depuis dix ans.  

Entre marmites et pigments, les couleurs sont cuisinées dans cet espace de l’atelier.Photo : MF/Rue89Lyon

Dans la partie « cuisine » de l’atelier, des dizaines de pots de peinture, marmites et récipients sont entreposés pour permettre la préparation et l’assemblage des couleurs destinées aux commandes en cours.

« Aujourd’hui, j’ai acquis suffisamment d’expérience pour reconnaître d’un simple coup d’œil si la texture de la couleur est bonne », confie Gabriel Hahn. 

Les deux imprimeurs-coloristes viennent d’apposer un motif géométrique sur la longue toile tendue. Photo : MF/Rue89Lyon

Sur une table de 50 mètres de long, un tissu blanc épinglé à la main est soigneusement placé. Une fois la couleur prête, deux artisans l’appliquent par un mouvement de va-et-vient, utilisant la pression de leur corps pour imprégner le cœur des fibres. Ce geste est répété autant de fois que le motif l’exige.

Leur activité se destine surtout à la confection d’accessoires (foulards, carrés, écharpes, étoles…) commandés par des galeries, des fondations ou des musées. 

Des tissus en soie présentés au musée Brochier, dans le 2e arrondissement de Lyon.

À leur demande, les impressions sont réalisées soit sur des tissus importés de Chine, soit sur des étoffes locales, fournies par des entreprises telles que Denis et Fils (Loire), où les métiers Jacquard de la maison Brochier ont également pris place, ou encore les Tissages Perrin (Isère). 

Au fil du temps, de nombreux ateliers de tissage ont été délocalisés, comme nous vous l’avions expliqué dans notre précédent épisode.

« Les métiers à tisser faisaient énormément de bruit et provoquaient des vibrations. C’était assourdissant, et donc difficilement compatible avec un environnement très urbanisé comme celui de Lyon », explique Gabriel Hahn.

​​Les gestes de Canuts en héritage

Mais si l’on tend l’oreille, on peut toujours entendre le bruit du bistanclaque (bruit du métier à tisser, ndlr) dans les hauteurs de la Croix-Rousse. Direction la rue Barodet, dans un lieu hors du temps, où la mécanique et les gestes se prolongent depuis le XVIIIe siècle. L’atelier de la Maison Prelle, l’une des plus anciennes manufactures lyonnaises, abrite encore quatre métiers à bras. 

Un métier Jacquard présent dans les locaux de l’association Soierie Vivante.Photo : MF/Rue89Lyon

Là, comme les Canuts d’autrefois, les tisserands manœuvrent le métier Jacquard à la force de leurs corps. Sans équivalent moderne, il offre la possibilité d’entrecroiser les fils, sans jamais faire de nœud.

La spécialité maison : tisser à l’identique les décors destinés aux monuments historiques. En 2020, la maison Prelle a participé à la restauration des loges de l’Empereur et de l’Impératrice au Palais Garnier, ou encore à la réalisation de mobilier pour le musée du Louvre, en 2013.

Si les commandes sont nombreuses en France, la maison Prelle est aussi sollicitée à l’échelle européenne. Dernier exemple en date : en 2019, elle a signé la confection des tentures en velours de soie rouge du château de Dresde, en Allemagne.

L’art du tissage à la lyonnaise au service des besoins industriels 

Aujourd’hui, il ne reste plus qu’une dizaine de maisons de soierie dans la région Rhône-Alpes et certaines d’entre elles se sont adaptées aux exigences de l’industrie moderne.

Créée en 1890, la Maison Brochier « a traversé les époques en innovant dans différents domaines : la mode, l’art, l’industrie et récemment la fibre optique », explique Pauline, médiatrice culturelle au Musée Soieries Brochier.

Après la Seconde Guerre mondiale, Joseph Brochier développe une gamme de tissus d’ameublement ininflammables en tissant de la fibre de verre. Dès les années 1970, la troisième génération de la famille fabrique des matériaux techniques destinés à des secteurs de pointe, comme le tissage de fibres de verre et de carbone enduites de résine, en partie pour l’aviation et la marine.

En 2007, Cédric Brochier fonde Brochier Technologies à Villeurbanne, pour développer des textiles lumineux en fibres optiques. Il applique ce savoir-faire au domaine de la santé, notamment avec une turbulette lumineuse pour traiter la jaunisse des nouveau-nés.

Autant dire que le savoir-faire de la soierie lyonnaise n’est pas près de disparaître.


Depuis les premiers Canuts, la soie a marqué le paysage urbain et social de Lyon. Si aujourd’hui le tissage n’a plus son lustre d’antan, son héritage est pourtant toujours visible dans l’agglomération. Dans cette série en 5 épisodes, on retrace l’histoire d’une industrie 100% gone.

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