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Plongez dans les entrailles du fort de Loyasse, les souterrains les plus politisés de Lyon

[En photos] Construit au XIXe siècle pour protéger l’entrée nord de Lyon, le fort de Loyasse, entre Vaise et Fourvière, est à l’abandon depuis de nombreuses décennies. Aujourd’hui, ses souterrains abritent de nombreuses galeries recouvertes de graffitis, où des groupes de militants politiques jouent au chat et à la souris. Immersion.

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Plongez dans les entrailles du fort de Loyasse, les souterrains les plus politisés de Lyon
L’une des entrées du fort de Loyasse.

En escaladant la montée de l’Observance, les teintes noircies de ses pierres dorées se dressent comme une muraille infranchissable. Le fort militaire de Loyasse (Lyon 9ᵉ), déclassé en 1920 puis abandonné depuis les années 50, dépérit comme un paquebot échoué au-dessus de la Saône, au cœur du quartier Gorge-de-Loup.

Sur la façade du lieu, que Google Maps référence comme « l’antre du petit tatou velu », plusieurs panneaux de la ville de Lyon affichent la couleur : « Danger – accès interdit ». Partout autour de l’enceinte, d’imposantes grilles barrent la plupart des entrées et des larges ouvertures du bâtiment. Des piques ont même été rajoutées sur certaines d’entre elles.

Ces aménagements sont récents. Car l’ouvrage militaire, construit entre 1836 et 1840 à quelques pas du cimetière de Loyasse pour protéger Lyon d’invasions autrichiennes (ou de révoltes populaires ?), puis rapidement devenu obsolète, est l’un des plus importants sites d’urbex de la ville.

De nombreux adeptes d’exploration urbaine s’y faufilent une fois la nuit venue. Et ça, la Ville n’en veut plus, notamment après qu’un adolescent a été gravement blessé dans les souterrains, à l’été 2023.

Loyasse, un fort souterrain

« Ils ont tout barricadé », constate Philippe (prénom modifié), notre guide du jour. Le jeune Lyonnais, qui n’était pas revenu à Loyasse depuis cinq ans, prévient : « Pas de photos des entrées. » L’attrait du fort, semi-enterré pour s’adapter à la topographie des pentes de Fourvière, ne se situe pas autour de ses murs extérieurs, mais dans ses galeries souterraines.

En pénétrant dans l’enceinte (nous ne dirons pas « comment » cela est possible), on plonge dans un havre de nature en pleine ville. Envahi par les ronces, mûriers et genévriers, le site ne laisse deviner son emplacement qu’à travers le bruit lointain de la circulation lyonnaise et l’ombre de la tour de la Vigie.

Dans les galeries du bastion sud-ouest, la plupart des accès sont barricadés, notamment celui menant à l’ancien magasin de poudre. À l’intérieur, certains planchers sont effondrés. Sans guide, impossible de se repérer dans cette jungle urbaine. Mais partout, les graffeurs ont laissé des traces de leur passage. Un peu plus loin, en s’enfonçant dans cette canopée lyonnaise, des messages inscrits au sol et un escalier de fortune indiquent l’entrée d’un nouveau souterrain.

Une vie très active dans les entrailles du fort de Loyasse

En se contorsionnant un peu, on parvient à la partie enterrée des fortifications, qui font sa particularité. En slalomant dans les couloirs, on observe entre les fresques des salles aménagées en espace détente. Preuve que ces galeries anciennement foulées par des canonniers sont toujours visitées, malgré leur délabrement. Ce qui n’est pas sans risque.

Les entrailles du fort dévoilent un univers plus sombre, dans tous les sens du terme. Aux dessins enfantins représentant Tintin ou des formes fantastiques succèdent des slogans politiques. Quelques symboles antifas, d’abord. Puis, dans les méandres du fort, des croix celtiques, un symbole païen repris par la nébuleuse néofasciste.

Encore plus bas, on repère plusieurs slogans et messages signés du mouvement de la jeunesse catholique de France, un groupe intégriste proche de la fraternité sacerdotale Saint-Pie X, habituée des actions coup de poing. Certains tags ont été recouverts, avec plus ou moins de bon goût, par des antifas.

Dans le fort de Loyasse, un affrontement très politique

À quelques encablures de là, le bastion nord fait face aux célèbres tours du Belvédère, visibles depuis les quais de Saône. « C’est mon endroit préféré, il y a des fresques incroyables », sourit Philippe. Entre galeries et escaliers à rampes, qui servaient autrefois pour le transport des canons, on découvre un véritable palais des curiosités.

Des tags, partout, et même une étonnante structure réalisée avec des barrières de chantier. « C’est dommage, ils ont tout recouvert », remarque notre guide du soir en référence à d’anciennes fresques remplacées par des graffitis.

En y regardant de plus près, les indices de la présence de l’extrême droite sont fréquents. Outre un slogan haineux visant la Jeune Garde, un groupe antifasciste récemment dissous, on retrouve également des signes SS, des inscriptions « Lyon Faf », et, encore, de nombreuses croix celtiques.

C’est dans ces souterrains que le groupuscule néofasciste lyonnais Audace, émanation du Bastion social, a refait surface en juin dernier. Dans une vidéo relayée sur le réseau social Instagram, une dizaine d’hommes, visage flouté, se filment en train de taguer le fort de leur logo. Sur celui-ci, un phénix, accompagné notamment d’une Algiz, une rune germanique utilisée dans la mystique nazie et réutilisée par plusieurs groupuscules depuis.

Cette résurgence d’un groupuscule lyonnais d’extrême droite, saluée par une flopée de militants nationalistes locaux, fait craindre un retour d’associations radicales actives, après la dissolution, en juin dernier, de Lyon populaire. La fresque d’Audace a depuis été recouverte par des antifas, eux aussi nombreux à laisser leur signature dans ces lieux abandonnés. Preuve que les guerres de territoire ne se jouent pas que dans les rues lyonnaises.

Le fort de Loyasse est probablement le plus délabré de l’ancienne place forte de Lyon. Malgré plusieurs projets de réhabilitation qui surgissent depuis des décennies comme autant de serpents de mer, la Ville n’envisage pour l’instant pas de restauration.

« Transformer le Fort de Loyasse nécessiterait des travaux de sécurisation et d’aménagement très conséquents et coûteux », a répondu la mairie à un citoyen qui avait proposé de transformer le lieu en parc urbain, dans le cadre du budget participatif 2024. En attendant un éventuel renouveau du fort, la collectivité tente par tous les moyens d’en empêcher l’accès. Mais les souterrains de Loyasse restent bien vivants.


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