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Aux États-Unis, les locataires de Grand Lyon Habitat refusent des « charges abusives »

Dans le quartier des Etats-Unis (Lyon 8e), les locataires de Grand Lyon Habitat dénoncent des régularisations de charges « abusives ».

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Devant l'agence de proximité des Etats-Unis de Grand Lyon Habitat, à Lyon 8e. ©OM/Rue89Lyon

Ce jeudi 2 novembre, des éclats de voix ricochent sur les murs décrépits des hauts bâtiments de la cité jardin Tony Garnier, dans le quartier des États-Unis (Lyon 8e). Une cinquantaine de personnes est massée à l’entrée de l’un d’entre eux. Des personnes âgées qui habitent le quartier depuis plus de vingt ans, des familles qui ont emmené leurs enfants avec elles, des jeunes femmes élégantes aux yeux dissimulés par de larges lunettes de soleil… Toutes et tous ont comme point commun d’être locataires de Grand Lyon Habitat, le bailleur social qui détient la majeure partie des immeubles du quartier des États-Unis.

S’ils se sont réunis à cet endroit précis, c’est que c’est là que se trouve une des agences de secteur de Grand Lyon Habitat. En mocassin et costume usé, un vieux monsieur agite furieusement la cause de cette mobilisation : le courrier postal que ces locataires ont toutes et tous reçus dans leur boîte aux lettres, annonçant une régularisation de plusieurs centaines d’euros de charges. Ce mercredi, ils sont venus demander des comptes à leur bailleur, pour des charges qu’ils jugent abusives.

Devant l'agence de proximité des Etats-Unis de Grand Lyon Habitat, à Lyon 8e. ©OM/Rue89Lyon
Devant l’agence de proximité des États-Unis de Grand Lyon Habitat, à Lyon 8e.Photo : OM/Rue89Lyon

Plusieurs centaines d’euros réclamées aux locataires des États-Unis

« D’habitude, ils nous rendent de l’argent. Cette année, on a reçu dans nos boîtes à lettres des régularisations de charges sans explication. C’est du vol ! »

Armande est locataire d’une barre d’immeubles de la rue Tavernier depuis 2012. Sur le courrier qu’elle sort d’une pochette bien ordonnée, on peut lire que le bailleur social lui réclame précisément 117,76 euros. Sans plus d’explication. 

Un vieil homme édenté, locataire depuis 1989, explique difficilement qu’on lui réclame 160 euros. « C’est la première fois en plus de trente ans », s’indigne-t-il. À côté, un quinquagénaire en parka rouge et sa voisine comparent leurs courriers sans comprendre : on leur réclame 280 euros chacun alors qu’elle a un deux-pièces et lui plus de 100 mètres carrés. Certaines familles parlent de plus de 500 euros.

Fatima et Pascale, locataires respectivement depuis 30 et 22 ans, annoncent d’ores et déjà qu’elles ne paieront pas les sommes réclamées par Grand Lyon Habitat.

« J’ai une petite retraite de 800 euros et je paie déjà 300 euros de loyer, explique Fatima. Je ne peux pas faire de miracles. »

« Rue Tavernier, on est restés 48 heures sans eau ! »

Et les problèmes ne s’arrêtent pas là. Au-delà de l’augmentation de leurs charges, les habitants se demandent tout bonnement pourquoi ils en paient alors que les défaillances de chauffage et d’entretien sont fréquentes dans les bâtiments des résidences « Viviani » (rues Tavernier et Berty Albrecht), « Leynaud » (rue du Professeur Beauvisage) et « Bonnefond » (rue Ludovic Arrachart), construites dans les années 50 et 60. « Rue Tavernier, on est restés 48 heures sans eau ! La société d’astreinte n’a même pas su trouver le local », explique Mejdi, fonctionnaire de police de 24 ans et locataire depuis 2018 d’un petit appartement de la résidence « Grange rouge » (rue du Professeur Beauvisage). Face aux défaillances du chauffage, il explique avoir dû recourir à un chauffage d’appoint pour passer l’hiver :

« Aujourd’hui, Engie me demande une régularisation de 380 euros, et Grand Lyon Habitat 120 euros, en plus des 37 euros que je paie chaque mois pour rien. »

Une femme d’une petite quarantaine d’années, Fatima également, est locataire depuis quatre ans. Elle explique que pas une année n’a passé sans qu’il y ait un souci dans son logement : 

« À partir du 6e étage, on n’a plus de chauffage ni d’eau chaude. Je paie toute l’année 30 euros par mois de chauffage pour ne pas en avoir ! L’hiver dernier, il faisait 13 degrés dans mon appart. »

Alors, quand le gouvernement demande à ce que le chauffage soit réglé sur 19 degrés, Fatima et Mejdi rient jaune. 

« Je suis restée six mois sans eau chaude, j’allais prendre ma douche à la piscine », abonde une autre locataire. « Moi c’était deux mois, je faisais chauffer de l’eau à la cocotte-minute », rebondit sa voisine. « Moi ça fait deux ans que le chauffage de ma salle de bains ne fonctionne pas », leur rétorque un petit monsieur. 

Un vieil homme qui habite dans la résidence de la rue Tavernier depuis 1998 affirme partager son appartement avec des punaises de lit depuis plus de deux ans. 

« Il y a aussi des rats, des cafards, précise Fatima. L’entretien n’est pas fait, les caves sont pleines d’urine… »

« J’ai l’impression que le secteur des États-Unis est laissé à l’abandon »

Ils sont plusieurs à avoir alerté à de nombreuses reprises Grand Lyon Habitat, par courriel ou par lettre recommandée. Pendant plusieurs mois, Mejdi a décidé d’arrêter de payer le loyer de son appartement, espérant ainsi faire réagir le bailleur social. En vain. 

« J’ai demandé par lettre recommandée à Grand Lyon Habitat le remboursement de mon loyer au motif qu’il n’y avait pas de chauffage, pour pouvoir payer ces deux régularisations. Je n’ai eu aucune réponse. »

Il parle d’un sentiment d’abandon dans le quartier. 

« J’ai l’impression que le secteur des États-Unis est laissé à l’abandon. Il n’y a même pas de directeur dans cette agence. Quand on voit les logements sociaux de Grand Lyon Habitat dans le 3e, c’est autre chose ! »

« Mais vous faites quoi, à part encaisser le loyer ? »

Mejdi a vu les affiches annonçant le rassemblement dans l’ascenseur. Il ne pensait pas s’y rendre, jusqu’à ce qu’il reçoive lui aussi le courrier de régularisation de charges. « J’étais en repos ce matin, donc je suis allé y faire un tour. Je ne pensais pas que ça allait prendre cette ampleur. »

Et de fait, c’est désormais une soixantaine de personnes qui est massée devant l’agence de Grand Lyon Habitat. À tel point que les professionnels décident de les recevoir, au beau milieu d’une réunion. 

« On ne savait pas que vous alliez venir… », bredouille Olivier Dakessian, le directeur financier de Grand Lyon Habitat descendu du siège de la Part-Dieu pour l’occasion. À ses côtés, Myriam Bernard, coordinatrice de l’agence de proximité des Etats-Unis et d’autres professionnels de Grand Lyon Habitat qui se présentent chacun leur tour.

Impossible de faire rentrer tous les locataires en colère dans la salle de réunion de Grand Lyon Habitat. ©OM/Rue89Lyon
Impossible de faire rentrer tous les locataires en colère dans la salle de réunion de Grand Lyon Habitat.Photo : OM/Rue89Lyon

Une élégante femme d’une trentaine d’années, perfecto rose et lunettes de soleil sur le nez, leur coupe la parole.

« On va arrêter les présentations, on est pas venus pour ça ! lance celle que les habitants surnomment Amel et qui a grandi dans le quartier. On est venus pour faire respecter nos droits ! »

Aussitôt, les récriminations fusent : charges, problèmes de chauffages, d’eau chaude, d’eau tout court, nuisibles, absence d’écoute, service client inexistant… Les habitants sont locataires des résidences Viviani, Leynaud, Bonnefond, Grange rouge, Millon… C’est une bonne partie du quartier des États-Unis qui essaie de rentrer tant bien que mal dans la petite salle de réunion de Grand Lyon Habitat. « Mais vous faites quoi, à part encaisser le loyer ? » résume un homme d’un ton perplexe.

« On a certainement à balayer devant notre porte », confirme Myriam Bernard pour tenter de calmer les esprits. « Et pas qu’un peu, on peut même vous donner un aspirateur si vous voulez ! » lui rétorque une dame chic d’une soixante d’années. « C’est du blabla tout ça, c’est des escrocs », tranche un quinquagénaire de la rue Tavernier, avant de tourner les talons.

« Si les locataires des États-Unis vont en justice, Grand Lyon Habitat va perdre, avance Mejdi. Il y a une vraie colère qui est en train de monter entre tous ces problèmes et la dégradation du service clientèle. »

Rapidement, le mot d’ordre circule : aucun de ces locataires ne paiera ces régularisations de charge jugées abusives. 

Un collectif d’habitants du quartier qui « chauffe les locataires depuis deux ans »

Là-dessus, Myriam Bernard n’a pas d’explication. Elle avance la possibilité que cette régularisation soit liée à l’augmentation des dépenses énergétiques, sans conviction. Par ailleurs, les habitants expliquent que les charges ont déjà été augmentées en juin « en prévision de l’inflation » et que le chauffage n’a pas encore été allumé. Coordinatrice de proximité de l’agence des Etats-Unis depuis 22 ans, Myriam Bernard affirme que c’est la première fois qu’une telle mobilisation des locataires a lieu. D’après elle, ce sont « les jeunes avec les drapeaux » qui sont responsables de la situation.

« Ils chauffent les locataires depuis deux ans, et ça ne fait pas que du bien ! »

Créé il y a deux ans, le CPES est constitué d'habitants des Etats-Unis et plus largement de Lyon 8e. ©OM/Rue89Lyon
Créé il y a deux ans, le Comité populaire d’entraide et de solidarité (CPES) est constitué d’habitants des États-Unis et plus largement de Lyon 8e.Photo : OM/Rue89Lyon

Les individus visés sont les membres du Comité populaire d’entraide et de solidarité (CPES) du quartier des États-Unis, qui portent en effet un drapeau rouge avec leur logo. Créé à l’occasion des distributions de nourriture organisées pendant la crise sanitaire, ce collectif d’habitants du 8earrondissement a décidé de prendre les choses en main face à l’inaction de Grand Lyon Habitat. On y trouve des locataires de Grand Lyon Habitat, des pères et mères de famille aussi bien que des jeunes d’une vingtaine d’années comme Thibault :

« Si Grand Lyon Habitat respectait ses engagements, on aurait pas besoin de ‘chauffer’ les habitants, mais on les chauffera tant qu’il faut ! » 

Contactés par Rue89Lyon en début d’année pour évoquer des problèmes d’insalubrité, Grand Lyon Habitat avait annoncé un vaste plan de réhabilitation de son parc social, à partir de 2023 :

« Aujourd’hui, les besoins d’intervention sur le patrimoine sont nombreux, reconnaissait le bailleur social. Des réhabilitations ou interventions sont programmées. C’est un total de 409 millions d’euros qui seront investis entre 2020 et 2029, sur le patrimoine, dont, évidemment, une partie des résidences du quartier des États-Unis. »

« Oui oui, j’en entends parler depuis 2018, il y a même un permis de construire affiché sur mon bâtiment », soupire Mejdi qui n’y croit pas.

En attendant, lui va retrouver son petit appartement vers Viviani – une « boîte » comme il le décrit – et brancher cet hiver aussi son chauffage d’appoint. En revanche, pour lui comme pour Fatima, Pascale, Amel et les autres, hors de question de payer cette régularisation. Le bras de fer avec Grand Lyon Habitat devrait donc se poursuivre. 

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