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A Lyon, la galère de Renée, 95 ans, pour obtenir son pass sanitaire

Ce mercredi 21 juillet, le pass sanitaire est devenu obligatoire dans de nombreux lieux de culture et de loisirs. Dans le 7e arrondissement de Lyon, Renée, 95 ans dans quelques mois, n’a pas eu son pass sanitaire. Et l’obtenir sans internet est loin d’être facile.

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centre dépistage covid Lyon Gerland

Renée ne fait pas ses 94 ans. Depuis le décès de son mari il y a une quarantaine d’années, elle vit seule dans leur appartement du 7e arrondissement de Lyon, à deux pas des anciens abattoirs où ils ont tous deux fait une partie de leur carrière.

Rendez-vous chez le kiné ou l’ostéopathe, coiffeur, courses, balades au parc de Gerland… L’après-midi est consacré à la lecture, aux informations et aux visites quotidiennes de sa voisine du premier étage, âgée de 88 ans. Renée est une femme très active pour son âge. Alors qu’elle fêtera dans quelques mois ses 95 ans, elle entend bien rester autonome et continuer à vaquer à ses occupations seule.

Mais depuis le début de l’épidémie de coronavirus, elle se heurte à un obstacle insurmontable : la technologie. Pour réussir à obtenir son pass sanitaire, obligatoire dans de nombreux lieux de culture et de loisirs de Lyon depuis ce mercredi 21 juillet, la vieille dame a dû suivre un véritable parcours du combattant.

Une crise sanitaire gérée par internet

Tous les jours, Renée suit de près l’évolution de la situation sanitaire sur les chaînes d’information en continu. Dès que les premiers vaccins ont été disponibles, elle a voulu se faire piquer le plus tôt possible. Mais voilà, comment prendre rendez-vous ? Renée n’a jamais eu d’ordinateur, ne sait pas comment ça fonctionne et connaît encore moins internet. Autant dire que la prise de rendez-vous sur Doctolib était impensable.

Martin, le jeune homme qui occupe l’appartement en face de celui de Renée s’est douté du problème et a proposé de les inscrire au centre de vaccination de Gerland, son amie du premier étage et elle. Vaccinées complètement à la mi-février, les deux femmes avaient retrouvé le sourire derrière les masques à fleurs faits maison qu’elles ont consciencieusement continué à porter.

Ce mercredi 21 juillet, Renée se rend chez le coiffeur du quartier où elle a ses habitudes. Sa coiffeuse lui parle du pass sanitaire et lui explique qu’elle devra le présenter si elle va au cinéma ou au musée par exemple. De retour chez elle, Renée, inquiète, cherche en vain le fameux papier. Mais impossible de mettre la main dessus sans savoir de quoi il s’agit.

« Elle ne sait pas du tout ce qu’est un QR Code »

Elle se résigne à aller solliciter à nouveau son voisin de palier, s’excusant à de multiples reprises du dérangement. Coup de chance, Martin, en congés cette semaine, est chez lui. Il ouvre la porte à une vieille dame très inquiète.

« Elle ne savait pas du tout les démarches à effectuer pour obtenir l’attestation avec le QR code, elle ne savait pas non plus ce qu’est un QR code, ni qui appeler pour avoir des renseignements », raconte-t-il.

Psychologue, lui est vacciné depuis un certain temps. Il montre sa propre attestation de vaccination à la vieille dame, mais le papier ne lui dit rien. Le jeune homme tente de glaner quelques informations sur le site de l’Assurance maladie. Assise à côté de lui dans un fauteuil qui semble disproportionné pour elle, Renée scrute l’écran de l’ordinateur avec circonspection.

Elle extirpe d’un petit sac à main beige plusieurs liasses de papiers, dont une attestation de droits soigneusement rangée dans son portefeuille.

« Perdre mes papiers, c’est ma hantise, explique-t-elle en rigolant. Des fois, je me lève la nuit pour vérifier qu’ils sont bien dans mon sac. »

Il est possible d’obtenir son attestation de vaccination sur le site web de l’Assurance maladie.

« Toutes nos lignes sont actuellement occupées »

A l’aide du numéro de sécurité sociale de la vieille dame, Martin essaie de lui créer un compte sur le site de l’Assurance maladie. Mais voilà, le code confidentiel d’accès est habituellement envoyé par mail. Inutile de préciser que Mme Rive n’a pas et n’a jamais eu de boîte mail. Il entreprend de téléphoner au standard de l’Assurance maladie pour trouver une solution.

Mme Rive pointe du doigt ses appareils auditifs :

« Je préfère que ce soit vous qui appeliez. Moi, je n’entends pas très bien ce qu’on me dit au téléphone. »

Son voisin compose le numéro, mais une voix mécanique lui répond rapidement que « toutes les lignes sont actuellement occupées ». Il a alors l’idée de téléphoner aux Hospices civils de Lyon, et tombe sur le standard. Une femme lui explique qu’elle n’a aucune idée de la démarche à suivre pour obtenir le pass sanitaire dans ces cas-là, et conseille à Renée de se rendre directement au centre de vaccination où elle a reçu ses injections. Celui de Gerland (Lyon 7e) en l’occurrence.

Le centre de dépistage et de vaccination du Palais des sports de Gerland, Lyon 7ePhoto : OM/Rue89Lyon

Renée connaît bien le Palais des sports qui a servi de centre de dépistage covid-19, et qui est uniquement dédié désormais à la vaccination des Lyonnais·es. Elle y a travaillé comme secrétaire, à la fin de sa carrière, et connaît le chemin par cœur. À 94 ans, impossible pour elle de parcourir le kilomètre qui sépare son domicile du Palais des sports. Impossible également de trouver un taxi qui accepte de se déplacer pour un kilomètre de course. Pour le vaccin, c’est la fille de son amie du premier étage qui avait emmenées les deux vieilles dames.

« Ce trajet, je le faisais quatre fois par jour avant, se souvient-elle avec regret. Je faisais beaucoup de montagne aussi. Mais maintenant, c’est impossible pour moi, surtout avec cette chaleur… »

Le standard des Hospices civiles de Lyon communique à Martin le numéro du centre de Gerland, qui aura peut-être plus d’informations sur le pass sanitaire. Mais en appelant ce numéro, il tombe encore une fois sur une voix mécanique, qui lui propose de taper 1, 2, 3 ou 4 selon sa demande. Il essaie toutes les combinaisons possibles, à la fin, la réponse est toujours la même : « toutes nos lignes sont actuellement occupées ».

« Le numéro qu’on nous donne pour les personnes n’ayant pas internet, on le trouve où ? Sur internet ! »

Le jeune homme ne se décourage pas :

« Je suis psychologue donc je connais le fonctionnement des administrations. Je savais que j’allais finir par trouver quelqu’un qui pourrait nous répondre mais que ça allait être long. C’est inadmissible, toutes les personnes qui ne maîtrisent pas l’informatique sont laissées de côté. C’est dangereux, ces personnes peuvent se retrouver isolées, dans un état d’angoisse important. Si Renée avait été toute seule, je pense qu’elle se serait découragée et résignée à ne pas sortir de chez elle. »

Il épluche le site web des Hospices civils de Lyon, dans l’espoir de trouver des informations sur le pass sanitaire ou un autre numéro de téléphone. Mais le seul numéro qui figure est celui qu’il a déjà testé précédemment.

En bas de la page, une ligne précise : « Pour les personnes n’ayant pas d’internet, il faut contacter l’assistance « Tous Anti Covid » par téléphone au numéro suivant : 0800  0871 48 ». Martin assure à Renée qu’ils finiront bien par trouver une solution et compose ce nouveau numéro. Une nouvelle voix automatisée lui répond, en anglais cette fois-ci, que le correspondant demandé n’est pas disponible.

« Le numéro qu’on nous donne pour les personnes n’ayant pas internet, on le trouve où ? Sur internet ! On parle beaucoup de l’isolement des personnes âgées depuis la crise sanitaire, qu’il faut les protéger, mais le système les met dans des situations d’incompréhension et d’angoisse. Depuis un an et demi, le climat est très anxiogène et beaucoup de personnes âgées se sont retrouvées isolées de leur familles suite aux différentes restrictions, ce qui a eu des conséquences psychologiques sur elles. Là, on les remet dans des situations qu’elles ne maîtrisent pas et ne comprennent pas. Certaines personnes âgées peuvent se sentir impuissantes, dépassées, ce qui va alimenter leur angoisse. »

« C’est pas grave, de toute façon je ne vais pas au cinéma. Je ne sors plus beaucoup de chez moi alors… »

Sur son fauteuil, Renée s’affaisse un peu plus à chaque appel avorté. Et se résigne :

« C’est pas grave, de toute façon je ne vais pas au cinéma. Je ne sors plus beaucoup de chez moi alors… »

Martin tente de la rassurer et essaie à nouveau de joindre l’Assurance maladie. Cette fois-ci, une femme en chair et en os répond au bout de quelques sonneries. Il lui expose le problème de la vieille dame. Mais l’employée de l’Assurance maladie n’a pas de solution à lui proposer. Elle met l’appel en pause, le temps d’aller se renseigner. De la musique classique jaillit du micro du téléphone portable de Martin. Renée lance un regard noir au smartphone :

« Mais enfin, il aurait mieux valu qu’ils y réfléchissent avant aux solutions, non ?! Toute seule, je ne sais pas comment j’aurais fait… »

L’employée de l’Assurance maladie reprend la ligne, et propose une demie-solution :

« C’est normal que vous n’ayez pas d’attestation, il n’y en avait pas quand vous avez été vaccinée. Vous pouvez vous rendre au centre de vaccination où vous avez reçu le vaccin, ils vous donneront une attestation. Ou alors vous pouvez attendre votre prochaine consultation avec votre médecin traitant qui peut vous la donner aussi. »

A ces mots, le visage de Renée s’éclaire. Mais l’employée de l’Assurance maladie douche aussitôt son enthousiasme.

« Je vous conseille d’aller au centre de vaccination directement. Pour l’instant, votre médecin traitant peut vous donner l’attestation de vaccination, mais avec le covid, on ne sait jamais si ce qui est vrai aujourd’hui le sera encore demain… »

« Tout est devenu tellement compliqué avec internet »

Devant l’inquiétude manifeste de Renée, Martin décide de régler le problème au plus vite. Il attrape ses clefs de voiture, son masque et propose à la vieille dame de se rendre directement au centre de vaccination de Gerland (Lyon 7e) pour récupérer son pass sanitaire.

Une fois sur place, ils se dirigent vers le vigile posté à l’entrée du centre de vaccination qui les oriente sur un guichet. Là-bas, une employée prend le numéro de sécurité sociale de Renée et lui imprime aussitôt deux exemplaires de l’attestation de vaccination qui servira de pass sanitaire à la vieille dame.

Martin se dit « agréablement surpris » par l’efficacité du centre de vaccination, mais l’absence de prise en compte par le gouvernement des personnes incapables d’utiliser internet l’agace :

« Bizarrement, quand on peut s’adresser à des êtres humains, on trouve des solutions. Je travaille en mission locale et certains patients sont dans la même situation que Renée avec internet. Et pourtant ils ont 20 ans. Ce ne serait pas tant un problème s’il y avait des personnes pour les accompagner dans leurs démarches, mais là au téléphone on tombe sur des robots. C’est complètement déshumanisant et la perte de lien qui en découle laisse les plus fragiles seuls. »

Derrière son guichet, l’employée affirme elle aussi que Renée est loin d’être la seule dans ce cas-là. Elle dit voir défiler beaucoup de personnes âgées, mais aussi des gens qui n’ont pas souhaité télécharger l’application Tous Anti Covid et qui ont tout simplement perdu leur attestation papier.

Sur le chemin du retour, Renée est soulagée. Mais cette expérience lui a violemment rappelé ses faiblesses.

« C’est pas si simple de demander de l’aide, soupire-t-elle. J’ai toujours peur de déranger. Et puis j’ai toujours été une femme indépendante. Avoir besoin des autres, ça me rappelle le fait que je vieillis et que je peux faire moins de choses qu’avant. Je me sens dépassée par les nouvelles technologies. C’est aussi pour ça que je ne sors plus beaucoup, tout est devenu tellement compliqué avec internet. »


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Photo : OM/Rue89Lyon

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