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Bertrand Badie  : « C’est de la société que viennent les actions les plus progressistes »

Bertrand Badie est professeur des universités à Science Po Paris, spécialiste des relations internationales.

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BERTRAND BADIE AU FESTIVAL LA CHOSE PUBLIQUE UN EVENEMENT LA VILLA GILLET ET RES PUBLICA - NOVEMBRE 2017 ©Bertrand Gaudillère / Collectif Item

Dans son ouvrage « Nous ne sommes plus seuls au monde : un autre regard sur l’ordre international » (éditions La Découverte, 2016), Bertrand Badie appelle à repenser les relations internationales du fait notamment de l’émergence de nouveaux acteurs citoyens et non étatiques. Entretien pour plonger dans ce propos dense.

BERTRAND BADIE AU FESTIVAL LA CHOSE PUBLIQUE UN EVENEMENT LA VILLA GILLET ET RES PUBLICA - NOVEMBRE 2017 ©Bertrand Gaudillère / Collectif Item
BERTRAND BADIE AU FESTIVAL LA CHOSE PUBLIQUE UN EVENEMENT LA VILLA GILLET ET RES PUBLICA – NOVEMBRE 2017 ©Bertrand Gaudillère / Collectif Item

Rue89Lyon : L’Aquarius, bateau de l’ONG SOS Méditerranée avec à bord plus de 600 migrants secourus en mer, n’a pas pu accoster en Italie où le gouvernement ayant refusé de l’accueillir. L’Espagne a finalement proposé de le faire. Cet évènement montre-t-il que des acteurs non étatiques peuvent peser sur les relations internationales ?

Bertrand Badie : L’Aquarius est un bon exemple. La question de la migration devient un sujet dominant et les états utilisent pour beaucoup un mode répressif en réponse. Alors même qu’il faut avoir un regard nouveau sur ce phénomène qui ne va cesser de se développer et qui est irrépressible. Sur ce sujet il y a un défaut de l’action politique.

Alors, ce sont les acteurs sociaux qui font bouger les lignes. Ce qui est particulièrement remarquable c’est qu’ils contraignent les états à se positionner : soit en devenant plus répressifs comme l’a montré le nouveau gouvernement italien soit en les obligeant à sortir du bois pour la France.

Jusqu’ici le gouvernement s’était bien gardé de dire quoi que ce soit.

Est-ce que ces actions d’ONG ou d’acteurs civils pèsent réellement sur le cours des choses. Est-ce qu’elles modifient l’action des états ?

Bien sûr que ça les gêne. La force diplomatique autrefois se faisait dans le secret. Aujourd’hui, du moins là où la presse est libre le contrôle échappe.

Bien sûr que la France dans l’affaire de l’Aquarius a été embarrassée. Elle a été mise face à ces contradictions et ça complique la tâche du gouvernement face à son opinion publique.

Ces acteurs non étatiques et sociaux sont un élément de contrainte. Les états doivent moduler leurs attitudes ou leurs actions. Il s’agit davantage de diplomatie publique. Par le passé on a vu que les opinions publiques étaient lassées des guerres coloniales et ça a eu un effet sur les gouvernements. L’opinion américaine a par exemple rejetait la guerre au Vietnam.

Les états laissent-ils volontairement des terrains qu’ils ne veulent pas occuper politiquement à des initiatives citoyennes où sont-ils dans la réaction ?

Aujourd’hui, c’est de la société que viennent les actions les plus progressistes. Au contraire des États qui adoptent presque toujours des attitudes ou des postures conservatrices.

Il faut faire bouger les lignes en matière de lutte pour les droits de l’homme, de luttes sociales, de luttes environnementales. Ce sont des acteurs sociaux et citoyens que viennent les changements.

Dans l’époque récente des grands mouvements de contestation citoyens ont marqué l’histoire. Le printemps arabe, les Indignés qui ont connu une émanation politique en Espagne en sont des exemples. Hier, ce furent les mouvements altermondialistes. L’initiative populaire et citoyenne connaît-elle une nouvelle phase aujourd’hui ?

C’est une nouvelle phase, aujourd’hui. Ces mouvements sociaux sont un phénomène qui se développe, qui accompagne finalement le multilatéralisme quand les états sont en général prudemment unilatéraux. Ils poussent à aller plus loin.

Je suis frappé par l’opposition entre ce qui ressort de grands sommets comme le dernier G7, une photo finale et des communiqués assez creux généralement, et la société civile qui s’exprime. Le 15 février 2003, au moment du débat au conseil de sécurité de l’ONU concernant une possible intervention militaire en Irak, 15 millions de personnes sont sorties dans la rue pour manifester. Il y a une prise de conscience de l’international dans les mouvements sociaux. Cette mobilisation, même si elle n’a pas pu empêcher l’intervention en Irak, lui a donné par son ampleur une coloration et l’a en partie délégitimée.

« C’est un combat citoyen de ne pas sceller l’avenir des conflits »

Qui pèse le plus aujourd’hui dans les relations internationales venant du monde civil ?

Il y a une pression des ONG. Une organisation comme Amnesty International épingle des gouvernements démocratiques qui ont des relations trop étroites avec des dictatures. L’opinion publique jouera davantage sur ces derniers dans une relation de chantage à la réélection.

Mais les ONG agissent aussi à travers leurs actions sur cette opinion publique. Elles peuvent aussi peser sur les états en saisissant des juridictions internationales.

N’est-ce pas malgré tout encore difficile de pouvoir penser influer sur le cours des rapports internationaux à l’échelle d’une initiative citoyenne ?

Avec les progrès fulgurants des communications, l’information circule. Les citoyens sont de plus en plus informés et contrairement à ce que l’on croit, ont du goût pour l’international.

C’est de la responsabilité des médias également de parler de l’international. Au journal télévisé de 20 heures, l’international est très peu traité. Le 14 mai dernier, les grands médias parlaient de la mort de Johnny Halliday ou du futur sommet de Singapour entre Trump et Kim Jong-Un mais pas des 60 Palestiniens tués dans des conditions épouvantables à Gaza.

C’est important de rompre avec cette vision parce même si les télévisions ont besoin d’image et donc de spectacle, c’est justement le spectacle des poignées de mains ou de sommet comme celui entre Trump et Kim Jong-Un qui est le moins significatif en relations internationales. La guerre au Yémen par exemple n’est quasiment jamais relatée dans les grands médias.

C’est un combat citoyen de ne pas sceller l’avenir des conflits.

 


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