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Avec Forget.me, une start-up lyonnaise se positionne sur le droit à l’oubli

ReputationVIP, start-up basée à Gorge de Loup à Lyon (9è), a lancé il y a deux ans un service en ligne gratuit permettant d’exercer plus facilement son droit à l’oubli, baptisé forget.me. Depuis son lancement, 10 % des demandes totales adressées à Google l’ont été à travers son service. Pas moins.

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Avec Forget.me, une start-up lyonnaise se positionne sur le droit à l’oubli

Pour son patron, envisager de monétiser ce service n’est évidemment pas la plus bête des idées.

« Avec cette décision, pour la première fois Google était pris de vitesse par le législateur. Alors qu’en général Google a plusieurs années d’avance. Ils n’en ont pas l’habitude. »

La décision dont parle Bertrand Girin, patron de ReputationVIP, est celle de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) de mai 2014. La CJUE a reconnu le droit pour les citoyens européens de voir supprimés des liens vers des pages web comportant des données personnelles « inappropriées, hors de propos ou qui n’apparaissent plus pertinentes ». Elle avait été saisie par un citoyen espagnol qui demandait le retrait d’un article de presse évoquant une saisie immobilière suite à des dettes.

Elle reconnaît par là même occasion l’activité des moteurs de recherche comme du traitement de données personnelles.

« Quinze jours après la décision de la CJUE, Google a mis en ligne un formulaire en 27 langues pour adresser des demandes de droit à l’oubli. Alors que Google fait toujours des outils démocratiques et très faciles d’utilisation, là on a trouvé que le formulaire n’était pas du tout facile et pratique. On a décidé de proposer un outil », explique Bertrand Girin.

Un service de droit à l’oubli gratuit… pour le moment

Thomas Nguyen (à gauche) et Bertrand Girin, fondateurs de Réputation VIP © DR
Nicolas Nguyen (à gauche) et Bertrand Girin, fondateurs de Réputation VIP © DR

Il donne lui aussi quinze jours à ses équipes pour mettre en place un service pour faciliter et remplir au mieux sa demande de droit à l’oubli. Forget.me voit le jour et se présente comme une plateforme en ligne et gratuite où en quelques clics vous pouvez éditer votre requête auprès de Google (et de Bing) qu’elle se chargera d’envoyer si vous le souhaitez.

L’outil permet de retrouver facilement les liens des pages web concernant des informations vous concernant (celles contenant vos prénom et nom) référencées par Google et Bing.

Capture d'écran forget.me
Capture d’écran forget.me

Surtout, la plateforme propose une aide pour étayer et justifier votre demande. Vous ne pouvez pas reformuler votre demande a posteriori, alors mieux vaut ne pas vous tromper.

« Pour chaque cas de figure, une réponse type est générée. On a demandé à des avocats de rédiger ces textes. Cela permet de justifier sa demande en des termes précis et d’augmenter ses chances de la voir acceptée par Google », indique le dirigeant.

Capture d'écran forget.me
Capture d’écran forget.me

En trois clics, votre demande est prête à être envoyée.

Capture d'écran forget.me
Capture d’écran forget.me

Atteintes à la vie privée et publications sur les réseaux sociaux

À ce jour (15 janvier 2018, ndlr), Google indique sur son « Transparency report » avoir supprimé 202080 URL émanant de demandes, en provenance de France, depuis le lancement de son service en 2014. C’est moins de la moitié de la totalité des URL concernées par des demandes de suppressions (48%).

« Nous traitons via forget.me 10% de l’ensemble de ces demandes de droit à l’oubli. Google reçoit environ 500 demandes par jour en moyenne actuellement, nous en traitons environ 50 de manière stable. Nous représentons donc une base de données indépendante significative », détaille Bertrand Girin.

Les demandes concernent surtout le déréférencement de pages provenant des réseaux sociaux, des annuaires et sites d’agrégation et de sites d’annonces, d’immobilier, d’e-commerce et autres. Depuis peu, Google a ouvert le champ à sa plateforme de vidéo en ligne Youtube. Les demandes concernant les articles de presse ne représentent qu’une infime partie du flot de requêtes. Une typologie qui correspond donc sans surprise à celle de l’ensemble des demandes reçues par Google.

Capture d'écran de Google Transparency
Capture d’écran de Google Transparency

Droit à l’oubli = déréférencement

Pour l’heure, le droit à l’oubli comme on le qualifie communément se traduit dans la pratique par un droit à la désindexation. Dans le cas où Google accepte une demande, il supprime le lien vers la ou les pages concernées de ses résultats de recherche portant sur votre nom. Il est pour l’instant seul juge en « première instance ».

Pour l’heure, Google a accepté de désindexer au niveau européen environ 57% des pages ayant fait l’objet d’une demande mais à peine plus de la moitié (50,9%) pour celles provenant de France. Des chiffres qui diffèrent chez forget.me :

« Aujourd’hui, Google refuse environ 70% des demandes qui passent par chez nous. Au départ, c’était inversé, il en acceptait environ 60%. Il refuse par exemple celles concernant des articles de presse à 80%. »

Un fort débat a agité la mise en place de ce droit à l’oubli, certains, comme Jimmy Wales le fondateur de Wikipédia, s’inquiétaient qu’un droit à la censure se cache derrière cette disposition. Pour le patron de ReputationVIP, il n’en est rien.

« On le voit bien, les demandes concernant les articles de presse et encore plus les pages Wikipedia sont très faibles. Ce n’est pas un droit à la censure. C’est un vrai besoin pour les citoyens et ce n’est pas anodin pour eux de voir certaines informations mises dans l’ombre. En plus, la grande majorité des demandes est simple à traiter et ne pose pas de questions éthiques donc c’est une bonne loi », estime-t-il.

Google, toujours opposé à un droit à l’oubli mondial

Pour l’heure, la désindexation d’URL par Google ne concerne que les versions européennes de son moteur de recherche, ce droit à l’oubli n’étant valable que pour les citoyens européens. Sur ce point, Google ne veut rien savoir et se refuse à appliquer ce droit à l’oubli au niveau mondial.

Pour lui, c’est déjà largement suffisant et en l’état quasiment tous les internautes européens n’ont pas accès aux pages désindexées, comme son directeur Europe le disait à Rue89 :

« On touche ainsi 97% des internautes européens. A la demande de plusieurs autorités européennes, nous avons ensuite appliqué le « géoblocage » [le filtrage géographique des internautes du même pays que le plaignant ne pouvant accéder aux pages déréférencés, sur tous les noms de domaine, pas seulement européens, ndlr]. On touche alors 99,9% des internautes européens. »

La Commission Nationale de l’Informatique et des libertés (CNIL) lui demande pourtant de le faire. Elle menace même le géant américain d’une amende pouvant atteindre 150 000 euros. Une paille. Google avance pour sa défense que l’organisme n’a pas de légitimité extra-territoriale. La solution se trouve peut-être au niveau européen (voir par ailleurs).

« Google se battra très fort du coup pour que ça reste en l’état », juge Bertrand Girin.

Google l’a redit en novembre 2017 à travers le blog de Kent Walker son directeur juridique. Selon lui, interdire l’accès à ces pages déréférencées pour les internautes européens à l’ensemble des autres internautes irait « à l’encontre des principes de base du droit international ».

Et il donne même des leçons (traduction assurée par Numerama) :

« Aucun pays ne devrait pouvoir imposer ses règles aux citoyens d’un autre pays, notamment en ce qui concerne les liens vers des contenus licites. L’adoption d’une telle règle encouragerait d’autres pays, y compris des régimes moins démocratiques, à essayer d’imposer leurs valeurs aux citoyens du reste du monde. »

L’entreprise assume pour l’heure le traitement et donc le coût des demandes de droit à l’oubli. Google n’a donc pour l’heure aucune raison d’aller plus loin dans l’application de ce droit. D’ailleurs, faites le test et recherchez le formulaire de demande sur Google, vous verrez que le moteur de recherche ne l’a même pas indexé !

Un service gratuit au centre d’un futur gros business ?

Pour le fondateur de forget.me, il y a pourtant des pistes pour mieux faire appliquer ce droit.

« On a fait un sondage auprès des utilisateurs de notre service dont la demande a été refusée par Google et la grande majorité ignore qu’il y a des recours possibles. On peut saisir la justice évidemment mais on peut aussi saisir la CNIL pour les citoyens français. La CNIL fait des recommandations à Google qu’il suit en général », explique Bertrand Girin.

Des services qui pourraient cette fois être monétisés ? Quand on lui fait remarquer, le patron sourit.

« Il faut bien gagner sa vie à un moment. Mais forget.me tel qu’il est aujourd’hui restera toujours gratuit. »

Il voit aussi une autre source de business : une application mondiale du droit à l’oubli. Selon lui, « il y a une énorme demande hors d’Europe ».

« On a eu beaucoup de demandes de la part d’Américains qui ne comprenaient pas au début pourquoi ce n’était pas possible pour eux de profiter de ce droit. Sachant qu’ils peuvent en bénéficier s’ils résident dans un pays européen puisque c’est le lieu de résidence plus que la nationalité qui compte. Si le déréférencement s’applique aussi aux Etats-Unis, il va y avoir un énorme business. »

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