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Niveau 3 du plan canicule activé à Lyon : « des familles en demande d’asile sont à la rue sans accès à l’eau »

Tribune / Ce mardi 20 juin, c’est la journée mondiale du réfugié. Nous publions le témoignage de Charlotte, une riveraine du 3e arrondissement de Lyon.

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Les affaires des familles albanaises qui montent tous les soirs une vingtaine de tentes sur la friche en face des archives départementales du Rhône. ©DR

Avec d’autres familles du quartier, elle essaye quotidiennement d’aider les Albanais en demande d’asile qui tentent de rester à proximité de l’esplanade Nelson Mandela. Sans accès aux fontaines publiques alors que le niveau 3 du plan canicule a été activé dans le Rhône.

Comme tous les matins, ce lundi à 7h puis à 9h la police est passée pour exiger qu’ils démontent leurs tentes. Ce sont environ 80 Albanais tous demandeurs d’asile, dont une majorité de familles avec des enfants en bas âges, mais aussi des personnes en situation de handicap.

Basés sur la friche face à l’esplanade Nelson Mandela (arrêt de tram des archives départementales), ils survivent dans des conditions ultra-précaires alors même que le niveau 3 du plan canicule vient d’être déclenché par la Préfecture.

Il faut ici souligner que l’eau de la fontaine publique de l’esplanade est coupée.

Sans accès à l’eau et sans hébergement : l’accueil qu’il leur est réservé nous questionne beaucoup en cette journée internationale des réfugiés.

Nous sommes une famille habitante du 3e arrondissement (secteur Dauphiné-Lacassagne) en lien avec ce groupe d’Albanais depuis le printemps 2017.

Nous avons d’abord fait la connaissance en bas de chez nous d’une famille de quatre personnes venue du nord de l’Albanie. C’était la première fois qu’ils stationnaient sur l’esplanade Nelson Mandela, après avoir été expulsés du square du Sacré Coeur.

Les enfants ont sept et trois ans, les mêmes âges que nos propres enfants. Ils sont scolarisés à l’école Paul Bert, proche de chez nous. Le père et la mère sont demandeurs d’asile et à la rue depuis novembre 2016.
Nous avons réussi à échanger dans un français tâtonnant.

Les affaires des familles albanaises qui montent tous les soirs une vingtaine de tentes sur la friche en face des archives départementales du Rhône. ©DR
Les affaires des familles albanaises qui montent tous les soirs une vingtaine de tentes sur la friche en face des archives départementales du Rhône. ©DR

« Les mêmes âges que nos propres enfants »

C’est le week-end de Pâques. Le printemps est hésitant.
Nous sommes touchés par leur demande : ils ont besoin d’une tente. Ils dorment sous les étoiles. Cette seule idée nous est difficile à accepter. Nous leur donnons une tente puis continuons à essayer de comprendre leur situation au gré de nos passages. Un soir ils nous appellent en disant « on a froid, on a faim, c’est trop dur ». Tout comme eux, des dizaines de personnes ont disposé leur affaires relativement discrètement dans le parc.

La police les expulse le lundi de Pâques de l’esplanade Mandela. La famille avec laquelle nous sommes en lien n’ose pas nous alerter en pleine nuit. On découvre rapidement que le groupe s’est déplacé vers le parc Bazin. Les tentes poussent petit à petit pour constituer au final un groupe de 110 personnes. Leurs tentes vertes, regroupées sur deux zones distinctes, se fondent bien sur les pelouses. Le parc est bien plus grand que le précédent, mais seulement un seul sanitaire est ouvert.

« Le début d’un collectif informel d’habitants »

Un jour, nous repérons deux habitants du quartier en discussion avec des Albanais. C’est le début d’un collectif informel d’habitants. Rapidement nous envisageons différentes pistes d’action : aide pour les besoins vitaux (alimentaires, vêtements), appui des demandes administratives et juridiques, plaidoyer médiatique, actions de masse, recherche de squats…

Toutefois nous réalisons très rapidement que nous sommes trop ambitieux pour nos profils néophytes et que d’autres acteurs doivent jouer leur rôle.

Le droit d’asile est en effet très complexe, les prérogatives des acteurs institutionnels sont difficiles à comprendre et les questions de chaque famille très diverses.

Certain-e-s d’entre nous passent beaucoup de temps sur le terrain tout en cherchant la bonne posture et la juste place. L’émotion face aux situations est parfois difficile à accueillir, surtout quand on voit arriver une famille avec une petite fille de 4 mois…

Malgré tout, les rencontres sont très belles et simples. Nous échangeons dans toutes les langues français, allemand, anglais et italien.
Jamais nous ne nous sommes sentis en insécurité. Nous y allons même régulièrement avec nos propres enfants pour amener de la légèreté. Des courses de vélo ou des parties de foot s’organisent.

« Une quatrième expulsion et une fontaine coupée »

Vendredi 5 mai 2017, je suis allé au tribunal administratif. Le juge prononce l’expulsion du Parc Bazin. La Ville de Lyon a mis en avant le droit à la propriété en s’appuyant sur une quarantaine de plaintes de riverains Montchatois.

Mardi 6 juin 2017, la peine est exécutée. A 6h du matin, nous recevons un appel. Les 110 personnes sont chassées du parc. Zéro relogement proposé. C’est l’élue du 3e à la tranquillité public qui est sur place. Elle s’appuie d’une part sur les plaintes des habitants, mais aussi sur le fait que ce seraient des mafias qui les auraient amenés ici. Ce à quoi nous répondons que ce n’est pas ce que nous avons observé sur le terrain. Nous constatons que le groupe est peu, voire pas du tout organisé et que les parcours d’arrivée sont très divers.

Une journée durant les Albanais errent par petits groupes dans la ville de parcs en parcs où ils trouvent systématiquement des vigiles et la police. Ils finissent par se rassembler sur la friche face à l’esplanade Nelson Mandela au milieu des crottes de chiens et de plants d’ambroisie.
La fontaine est coupée le jour même et les toilettes sont hors services. Un riverain interpelle le maire du 3e Thierry Philip qui fera ouvrir deux jours plus tard les sanitaires… qui sont de nouveau hors service ce mercredi.

Depuis le début de l’année 2017, c’est déjà le quatrième espace public fréquenté par les demandeurs d’asile albanais et dont ils se font chasser. Ils ont successivement été expulsés du square Jugan, du square Baraban, puis de l’esplanade Nelson Mandela et enfin du parc Bazin.

Deux de ces parcs restent encore partiellement fermés aux habitants du quartier. Nous nous sentons directement pénalisés car nous fréquentons régulièrement l’ensemble de ces parcs avec nos enfants.

La fontaine publique à sec de l'esplanade Mandela. ©DR
La fontaine publique à sec de l’esplanade Mandela. ©DR

« La police harcèle les familles albanaises »

Les jours et les nuits passent. La police les harcèle en permanence pour éviter que les tentes ne restent montées au delà d’un délai de 48h, au-delà duquel la mairie doit de nouveau saisir le tribunal administratif pour une nouvelle expulsion.

Dans ces conditions, les Albanais se sentent comme des chiens alors même qu’ils sont demandeurs d’asile avec des droits inscrits dans la Déclaration des droits de l’homme et dans la Convention de Genève : droit à la dignité, droit à l’accès à l’eau, droit à l’hébergement, droit à la scolarisation.

Ce n’est pas pour le plaisir que des familles vivent dans des conditions aussi précaires avec des enfants. Si l’Albanie est déclarée pays sûr par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA, en charge de traiter les demandes d’asile), les récits de vie que nous entendons sont ceux de personnes prises dans des logiques de vendetta et de violences dans un pays corrompu à tous les niveaux. Certain-e-s ont peur pour leur vie s’ils rentrent au pays.

Ils sont tous demandeurs d’asile, la plupart en demande OFPRA, d’autres en recours CNDA. Aucun débouté du droit d’asile contrairement à la communication faite par la Préfecture.

Nous sommes à Lyon sur un « petit Calais ». Ce n’est pas la politique migratoire qui pose problème (les immigrés ne représentent que 3% à 4% de la population), mais bien la politique d’accueil des migrants. En tant qu’habitants nous dénonçons cette politique, mais aussi le manque de coordination et de pilotage des ONG sur le terrain.

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