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29/03/2024 date de fin
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Prêtre pédophile à Lyon : le cardinal Barbarin acculé à la démission

[Article mis à jour] Après son entretien paru le 11 février dans le journal La Croix, le cardinal et archevêque de Lyon, Philippe Barbarin a vu son horizon sérieusement s’obscurcir. En une semaine, les événements sont allés crescendo jusqu’à cette déclaration du pape François de ce jeudi soir.

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Le cardinal Philippe Barbarin © Pierre Maier/Rue89Lyon

Dans l’avion qui le ramenait du Mexique, il a déclaré :

« un évêque qui se limite à changer de paroisse un prêtre pédophile est un inconscient. La meilleure chose qui lui reste à faire, c’est de présenter sa démission. »

Le cardinal Barbarin a de quoi s’inquiéter.

Le cardinal Philippe Barbarin © Pierre Maier/Rue89Lyon
Le cardinal Philippe Barbarin © Pierre Maier/Rue89Lyon

Dans l’entretien au journal La Croix, l’archevêque de Lyon expliquait être au courant des agissements pédophiles du père Bernard Preynat depuis « 2007-2008 » alors qu’il ne l’a relevé de ses fonctions qu’en août 2015.

Outre leur indignation, les victimes du père Preynat regroupées dans une association ont annoncé le dépôt prochain de plaintes pour non-dénonciation d’actes pédophiles.

Le lendemain, une personne proche du cardinal Barbarin parlait de « démission ». Une semaine après les explications du cardinal, une famille témoignait de faits remontant à 2003, soit un an après la prise de fonction de Philippe Barbarin comme archevêque de Lyon.

1. Quatre plaintes vont être déposées contre le cardinal Barbarin

L’entretien du cardinal Barbarin à La Croix a relancé médiatiquement l’affaire Preynat mais en détournant les regards vers l’archevêque de Lyon.

Dans ce contexte, les membres de l’association des victimes du père Preynat ont annoncé le dépôt imminent de plaintes pour non-dénonciation de faits de pédophilie contre le cardinal Barbarin.

En réalité, le coup était déjà parti : l’avocate d’une des victimes a déposé une note auprès du juge d’instruction en charge du dossier Preynat et du procureur de la République qui doivent dire si ces plaintes seront jointes au dossier ou constitueront une nouvelle affaire qu’on pourrait alors appelée « l’affaire Barbarin ».

Ces plaintes seront déposées par des individus et non pas par l’association qui n’a pas les cinq ans d’existence requis. Quatre victimes vont porter plainte dès la réponse des magistrats. Deux personnes le font à visage découvert :

  • François Devaux, le président de l’association La Parole libérée,
  • Pierre-Emmanuel Germain-Thile, membre de l’association.

Deux autres ne veulent pas s’exposer médiatiquement.

Parmi elles, une personne qui n’a pas encore porté plainte contre le père Preynat mais qui va le faire dans les prochains jours. Ce qui devrait porter à cinq le nombre de faits d’agressions sexuelles pour lesquels le père Preynat est poursuivi.

Les plaintes pour non-dénonciation visent également Régine Maire, qui était chargée par le diocèse de recevoir les victimes et qui est devenue la porte-parole du diocèse sur cette question.

Ensuite, des plaintes pourraient être déposées contre le cardinal Gerhard Ludwig Müller et Luis Francisco Ladaria Ferrer, respectivement préfet et secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi, auxquels le cardinal Barbarin avait écrit à propos de cette affaire. Les victimes lyonnaises font le parallèle avec l’évêque Pican condamné en 2001 pour avoir couvert son abbé.

2. Barbarin lâché par la hiérarchie catholique ?

Outre cette affaire lyonnaise, la pédophilie dans l’église catholique est un sujet d’actualité avec la sortie du film Spotlight sur la principale affaire de pédophilie dans l’église catholique américaine.

Le quotidien anglais The Guardian, a lancé une polémique en révélant le 10 février dernier des instructions surprenantes données par le Vatican en cas d’abus sexuels. Le Français Tony Anatrella, consulteur au Conseil pontifical de la famille, écrit en effet :

« Il n’incombe pas forcément à un évêque de signaler les suspects aux autorités, à la police ou à un procureur s’ils sont informés d’un crime ou d’un acte immoral ».

En réaction, l’association des victimes du père Preynat a écrit au Vatican pour un éclaircissement.

Le cardinal Seán O’Malley, qui préside la Commission pontificale pour la protection des mineurs, a tenu à faire une mise au point et a indirectement répondu à l’association des victimes.

Celui qui est archevêque de Boston réaffirme que les autorités religieuses ont l’obligation de dénoncer à la justice tout possible cas d’abus sexuels dans une déclaration publiée le 15 février par l’agence de presse du Vatican :

«au-delà des contraintes juridiques, ils assumeront leur devoir moral de signaler aux autorités judiciaires en charge de la protection sociale tout mauvais traitement, même présumé ».

Ce que n’a pas fait le cardinal Barbarin.

Sur Radio Notre-Dame, Tony Anatrella dénonce « un mauvais procès » et une « incompréhension » de la presse anglaise et rappelle de nouveau la ligne en cours dans l’église catholique « depuis 2001 » (à 3’20’’) :

« L’autorité ecclésiastique doit signaler aux autorités civiles les faits de pédophilie qu’elle a pu constater ».

3. La parole du pape sur l’évêque et le prêtre pédophile

Surtout, de retour de son voyage au Mexique, le pape François interrogé sur cette question, s’est montré catégorique, comme l’écrit Radio Vatican :

« un évêque qui se limite à changer de paroisse un prêtre pédophile est un inconscient. La meilleure chose qui lui reste à faire, c’est de présenter sa démission ».

Le pape n’évoque pas directement la situation lyonnaise où le cardinal Barbarin a maintenu en poste le père Preynat avant de le nommer doyen du Roannais.

Selon le journaliste du Figaro présent dans l’avion pontifical, Jean-Marie Guénois, le pape répondait à une question sur l’affaire Maciel, du nom du père mexicain Marcial Maciel, condamné par le Vatican pour pédophilie.

Vendredi, le porte-parole du Vatican Federico Lombardi a tenté de clarifier la parole du pape au micro de Radio Vatican (via La Croix). Pour lui, la déclaration du pape François « ne peut pas se référer à ce cas » :

« Le cas du cardinal Barbarin est complètement différent : il n’a absolument pas pris d’initiatives pour couvrir (les faits incriminés), mais il s’est trouvé face à une situation qui remontait à des années auparavant ».

Mais comme le souligne Le Progrès dans son édition de ce samedi 20 février (payant), « nul ne saurait, mieux que le pape lui-même, exprimer ce qu’il a voulu dire jeudi. »

Cité par l’AFP (via L’Express), l’entourage du cardinal Barbarin souligne que « cette phrase ne vise en aucune façon Monseigneur Barbarin qui a justement suspendu le père Preynat après avoir rencontré une première victime et avoir pris l’avis de Rome, et ce, avant même qu’une première plainte ne soit déposée ».

Ce n’est pas l’avis des membres de l’association des victimes du père Preynat. Pour eux, le cardinal Barbarin est visé par les propos du père Preynat. L’association met toujours en avant le fait que le cardinal était au courant depuis « 2007-2008 » mais qu’il n’a suspendu le père Preynat qu’en 2015.

En voyage en Afrique (Niger puis Burkina Faso), l’archevêque de Lyon a fait une courte déclaration au micro de RCF. Il a de nouveau affirmé qu’il fallait attendre les résultats de l’enquête en cours :

« Une fois que la situation de la justice sera claire et qu’on verra où on en est, alors on prendra la parole. Pour l’instant j’attends de savoir quelle situation la justice française donne à ce problème extrêmement douloureux ».

4. La curée médiatique

Depuis son entretien dans La Croix, l’avalanche médiatique n’encourage pas les soutiens du cardinal Barbarin à se montrer.

Libération raconte qu’après cet entretien, « l’archevêque de Lyon s’est retranché dans un silence total ». Et Pierre Durieux, son directeur de cabinet d’expliquer :

«Il ne parlera pas avant le procès».

Contacté par Rue89Lyon, celui-ci n’a pas souhaité réagir sur les plaintes qui vont être déposées contre son patron.

L’annonce d’un imminent dépôt de plainte est reprise en boucle sur Europe 1 ou Le Figaro pour ne citer que deux exemples. Parfois avec des titres forts :

  • « Le diocèse de Lyon a-t-il étouffé un scandale de pédophilie ? » (l’Obs),
  • « Barbarin a-t-il couvert un prêtre pédophile ? » (Le Point)

Sur France 3, on voit le cardinal traqué esquiver la caméra de France 3.

5. Des soutiens tournés en ridicule sur les réseaux sociaux

Le hashtag #JeSuisBarbarin lancé par des soutiens est aujourd’hui davantage utilisé par les contempteurs de l’église catholique.

Il y a ceux aussi qui prennent une sorte de revanche contre le cardinal Barbarin et sa prise de position contre le mariage pour tous au nom du bien-être des enfants, lors de sorties médiatiques très remarquées.

6. Son entourage évoque la démission

Puisqu’il a fait vœu de silence, c’est l’entourage du cardinal Barbarin qui s’exprime.

Dans un reportage de TLM Régine Maire évoque la démission. Le mot qu’il ne fallait pas employer.
Selon la membre du conseil épiscopal en charge de l’écoute des victimes dans cette affaire, Barbarin « est prêt à assumer jusqu’au bout… ».
Le journaliste le relance : « c’est à dire ? ».
Réponse : « démission peut-être ». A voir à à 1’21’’

Au cabinet du cardinal, on répond que c’est un sentiment personnel. Comme dans les pages que Le Progrès consacre au sujet dans son édition du 17 février avec à la « une » ce titre « Le cardinal Barbarin face au scandale ».

Contacté par Rue89Lyon, son directeur de cabinet, Pierre Durieux, réaffirme :

« Il s’agissait d’un sentiment personnel et d’une question qui n’est pas aujourd’hui à l’ordre du jour ».

C’est sa seule déclaration. Sur le dépôt de plainte pour non-dénonciation d’actes pédophiles ou le témoignage de 2003, il ne veut pas réagir.

Bertrand Virieux, le secrétaire de l’association La Parole Libérée fait ce commentaire :

« Le cardinal Barbarin n’a pas assumé son rôle de berger alors qu’il y avait un loup dans la bergerie. Est-il dès lors légitime pour rester un guide spirituel ? Nous répondons que non ».

Dans son édition du 17 février, Le Progrès a interrogé des prêtres lyonnais. S’ils rejettent les appels à la démission du cardinal Barbarin, ils ne lui apportent pas un soutien massif et évoquent des « failles évidentes qu’il faut analyser » à l’intérieur de l’église.

7. Un témoignage de 2003 qui fragilise encore la ligne de défense du cardinal

La pression est encore montée d’un cran ce jeudi 18 février avec la diffusion sur RMC du témoignage d’une famille de Cours-la-Ville (Rhône) où officiait le père Preynat en 2003.

Le père et la mère ont raconté une scène de confession pour le moins particulière. En 2003, leur fille de « 10-11 ans » a suivi les cours de catéchisme du père Preynat à l’école privée Saint-Charles de la commune. Et la veille de sa communion, elle a raconté à ses parents cette scène que raconte aujourd’hui sa mère :

« Je récupère ma fille à la sortie de la retraite de communion et là elle me dit que tous les enfants de la classe avait été placé dans une grande pièce. Derrière un paravent se tenait le père Preynat, il l’a prise sur les genoux et il l’a serrée très fort contre lui ».

La mère ajoute :

« A ce moment-là, elle a eu une réaction assez violente parce que nous, à la maison, nous avions souvent expliqué que personne ne devait les toucher et les approcher. Elle s’est donc sauvée et était très en colère. Elle ne voulait plus faire sa communion, ni revoir le père Preynat ».

La famille n’a pas porté plainte en 2003 et ne compte pas le faire 13 ans plus tard mais les parents disent ressentir « colère et incompréhension ».

Bertrand Virieux, le secrétaire de l’association des victimes, n’est pas surpris par ce témoignage :

« Ce témoignage a de nombreuses similitudes avec ce qu’on a vécu scouts avec le père Preynat. Cela laisse penser que cette confession très particulière a pu s’accompagner de faits plus graves. »

Ce genre de témoignage est d’autant plus gênant pour le cardinal Barbarin qui était alors archevêque de Lyon depuis an.

Or, aujourd’hui, il affirme qu’il n’y a pas eu de nouveaux actes de pédophilie depuis 1991, date des derniers faits pour lesquels une instruction judiciaire a été ouverte. Une ligne de défense très risquée.

> Article mis à jour le 19 février à 14h30 avec le tweet du journaliste du Figaro spécialiste des questions religieuses à propos de la déclaration du pape.

> Mis à jour le 20 février à 12h avec les propos du porte-parole du Vatican et de l’entourage du cardinal Barbarin, suite aux déclarations du pape.

 

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