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« Mon mari étranger risque de perdre son travail à cause de la préfecture »

Depuis la fin août 2014, les étrangers ne sont plus obligés de dormir devant la préfecture du Rhône pour leur demande de titre de séjour.

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File d'attente Saxe - Préfecture du Rhône. Crédits Axel Poulain/Rue89Lyon


Pour remédier aux trop longues files d’attente, le préfet à mis en place un système de prises de rendez-vous sur Internet. Mais le diable se cache dans les détails : pour ceux qui ont déjà un titre de séjour, ce nouveau système peut aboutir à la perte de leurs droits, notamment au travail.

C’est le cas d’Igor. Ce Camerounais de 24 ans est marié à une Française, Agathe. Elle témoigne.

File d'attente Saxe - Préfecture du Rhône. Crédits Axel Poulain/Rue89Lyon
File d’attente devant le service dédié aux étrangers de la préfecture du Rhône en février 2015, avant l’entrée en vigueur de la prise de rendez-vous sur Internet. ©Axel Poulain/Rue89Lyon

« Avant, c’était la queue à partir de 2 heures du matin »

Nous nous sommes mariés en 2013 au Cameroun. Je suis française et nous nous sommes rencontrés il y a huit ans, l’année de nos 16 ans lors d’un voyages d’échange d’expériences entre lycéens camerounais et français.

Nous avons vécu au Cameroun quelques mois en 2013, puis nous avons décidé de nous marier pour que mon mari rencontre ma famille et mon pays.

En février 2014, il arrivait en France avec un visa et titre de séjour « vie privée et familiale/conjoint de français », après déjà de longues démarches auprès de l’Ofii.

En décembre 2014, nous faisions la queue à 2 heures du matin avec notre dossier de renouvellement de titre de séjour : 7 heures d’attente en plein centre-ville chic de Lyon.

Sous la pluie, avec le stress que le dossier ne soit pas complet.

« Je redoutais de passer une nuit dehors en novembre »

Cette année, nous nous préparions pour recommencer. Aux alentours du mois de septembre 2015, on s’est dit « Bon, préparons les dossiers pour aller a la préfecture dans les prochains mois ». C’est là que mon mari (qui est peintre industriel) a parlé avec un collègue de travail.

Ce dernier l’a informé que dorénavant la préfecture organisait des rendez-vous et qu’il ne fallait plus faire la queue à la préfecture.

Nous étions contents car je redoutais déjà de passer une nuit dehors en novembre comme l’an passé. Je suis allée sur Internet début octobre pour réserver un rendez-vous et, surprise, plus de date disponible avant début février 2015, soit 7 jours après l’expiration du titre de séjour d’Igor.
7 jours de carence, cela voulait dire :

  • l’arrêt de son contrat avec son entreprise d’interim
  • la fermeture de son compte en banque
  • l’arrêt de ses droits Pôle emploi
  • et au pire, il peut être expulsé!

J’ai quand même réservé un rendez-vous sur le site de la préfecture puis j’ai appelé tout de suite le service des étrangers. Je suis tombé sur une employée très sympathique à qui j’ai fait part de mon inquiétude :

« – Oui, oui, c’est normal ne vous inquiétez pas.
– Êtes-vous sûre ? Vous pouvez m’assurer qu’il n y aura pas de complication avec les papiers ?
– Oui, oui, je vous assure. Je ne vous le confirmerai pas sinon. La confirmation de rendez-vous vaudra pour récépissé.
– Êtes-vous vraiment sûre ? Car vous savez j’ai souvent des informations fausses de vos services depuis mon mariage. Je me méfie.
– Oui, faites-moi confiance ».

« Il expliquait, expliquait, mais personne ne comprenait »

Nous avons alors continué notre vie normalement jusque fin décembre. Et là, nous avons reçu la convocation au rendez-vous (voir ci-dessous) qui explique d’un côté que les contrats de travail peuvent continuer et de l’autre que cette convocation ne vaut ni récépissé ni titre de séjour.

Quelques jours plus tard, premier appel de sa boite d’intérim : ils voulaient le récépissé car ils veulent faire un contrat à Igor jusqu’en juillet ; ils ont besoin de ces nouveaux droits. Puis, appel de la banque : « Nous avons besoin de vos papiers ». Mon mari s’est exécuté avec la convocation en expliquant tant bien que mal les problèmes de dates.

Le jour suivant, l’interim m’a appelée : impossible de faire un contrat, leur service juridique n’accorde aucune valeur à la convocation.

Et encore un appel : Pôle emploi cette fois. Même eux s’y sont mis. Plus de droit au chômage pour Igor s’il n’amène pas un justificatif valable. Igor se débattait auprès de tout le monde, tandis que je commençais à m’impatienter :

« Explique-leur ! La dame de la préfecture m’a bien dit que c’était bon. Il faut expliquer ».

Mais je me rendais vite compte qu’il expliquait, qu’il expliquait, mais que personne ne comprenait ou que tout le monde s’en foutait !

Depuis l’arrivée d’Igor, je déteste ces situations où je dois m’impliquer dans ses papiers : je trouve ça insupportable que l’accès à l’information ne soit pas accessible à tous. Igor ne connait pas tous les rouages mais il a de plus en plus le sentiment d’être mal-aimé dans le pays de sa femme.

« Nous sommes dans quel siècle ? »

Bien forcée de m’impliquer, nous avons donc fait front tous les deux. Je l’accompagne à la boite d’interim, rien n’y fait. Malgré la bonne volonté de la responsable, l’agence ne peux pas faire un contrat mais me fait une lettre de recommandation pour aider à faire pression sur la préfecture, pour qu’ils avancent le rendez-vous. Igor a aussi téléphoné à la Direction du travail (Direccte), qui nous a apporté de l’aide.

Pour la Direccte, la préfecture est en tord mais refuse de le reconnaître. Du coup, elle les met dans une situation compliquée car, comme nous, des centaines de personnes contactent la Directte pour des arrêts de contrat.

Une personne de la Direccte a quand même pris contact avec l’agence d’interim qui a une nouvelle fois répété qu’ils n’ont pas besoin d’explications mais d’un titre de séjour valable (récépissé ou le titre de séjour lui-même).

De mon coté, début janvier, j’ai appelé à nouveau la préfecture dans le but de m’indigner. J’étais à bout de nerf ce jour là et c’est vrai que j’ai été très agressive avec la personne que j’ai eu au téléphone.

Elle m’a répété : « Venez a la préfecture à 13h ou envoyez un courrier ».

J’ai demandé vainement : « Passez moi votre responsable, je ne peux pas venir à 13h. Je travaille ».

Oui, j’étais énervée : jamais dans ce service des étrangers je ne suis parvenue à avoir de l’information par téléphone ou par le net ! Nous sommes dans quel siècle ?

La dame m’a demandé de baisser d’un ton en me disant que ce n’était pas sa faute. Bien malheureusement, je le sais. J’ai rappelé trois fois, avant de tomber sur un nouvel interlocuteur qui m’a accordé enfin une réponse différente : « Appelez demain entre 14h et 15h ». Bon. Contraignant, mais j’avais déjà obtenu un nouveau créneau.

« J’ai contacté la députée de ma circonscription »

Pour mettre toute les chances de notre côté, j’ai contacté le cabinet de la députée de ma circonscription, en l’occurrence Dominique Nachury (Les Républicains, ndlr). Très réactive, son attachée parlementaire m’a demandé de venir dans leur bureau rue de Créqui pour évoquer mon problème.

Elle m’a reçu en me disant que je n’étais pas la première personne à venir la voir sur le sujet. Même si elle ne s’est pas positionnée, elle a pris mon dossier pour tenter de faire au mieux.

J’ai aussi contacté la Cimade qui s’est proposée pour appeler l’intérim.

Et puis, miracle, le 6 janvier à 14h. J’ai rappelé la préfecture. Et comme par magie, au nom de famille d’Igor, nous avons obtenu un rendez-vous le 21 janvier avant l’expiration de son titre de séjour ! La salariée de la députée m’a confirmé à demi-mot que c’était sans doute son intervention qui avait fait bouger les choses.

Du coup, je reste très frustrée pour les autres personnes dans la même situation que nous et qui n’ont pas bénéficié d’un coup de pouce.

J’ai surtout une rage énorme qui monte à la suite de toutes ces démarches et paperasses infligées à Igor. C’est très dangereux pour un couple.

Ce n’est déjà pas simple d’être loin de chez soi mais ça l’est encore plus lorsqu’on est impuissant ou qu’on a l’impression d’être rejeté par le pays d’accueil. Nous pensons de plus en plus à repartir au Cameroun. Cette politique est médiocre. Aucun autre pays n’est aussi en retard en matière d’accueil des étrangers qui sont en droits de rester en France.

Je suis de moins en moins fière de nos administrations et je n’ai aucune confiance en la préfecture du Rhône. Je plains énormément tous les employés qui payent aussi les décisions de leurs supérieurs.

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