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Blog du Taulard #42 : « Tous mes réflexes restent conditionnés par l’enfermement »

Voilà lecteur, ça y est, je suis dehors, physiquement. Mais je n’explose pas de joie pour autant. Je n’ai aucune euphorie et je n’ai absolument pas l’envie de m’étourdir dans une fiesta artificielle.

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En prison. Crédit : Sébastien Erome/Signatures.

Bien sûr, il y a un soulagement et je suis un peu étonné de pouvoir aller où je veux, de voir le ciel sans grille et d’admirer les arbres. Mais c’est loin de ce que j’imaginais dans ma cellule. Tous mes réflexes restent encore conditionnés par l’enfermement.

Ceci, d’autant plus, que la colère que je maîtrisais, au regard des conséquences si je l’avais laissée exploser dedans, sent la possibilité de s’exprimer et me fait serrer les poings encore plus fort. La prison est une ogresse qui, lorsqu’elle laisse le corps libre, garde l’âme prisonnière.

Je pense à tous mes potes qui y sont encore

Je pense à tous mes potes qui y sont encore et souffrent de cette ignominie, de cette torture blanche. Selon les heures les images reviennent où je sais qu’ils font ceci ou cela, subissent telle ou telle brimade, gratuite et méchante. Du coup l’arbitraire permanent qui règne en taule resurgit en bouffées de haine contre ces matons qui ne jouissent que dans le zèle sadique de leur volonté d’écraser et de nuire.

Je l’ai déjà dit dans ces chroniques, mais il est bon d’insister et de témoigner des mensonges récurrents de l’administration pénitentiaire sur les prisonniers qu’elle maltraite, sur les familles ou les proches qu’elle malmène quand ils viennent au parloir, en s’enorgueillissant de son pouvoir absolu dans les murs, alors que dans la rue ses agents rasent les murs, pas vraiment intégrés à cause de leur métier de bourreau. Il faut l’affirmer sans cesse, lorsqu’un prisonnier se révolte c’est qu’il a été, dans 98  % des cas, provoqué, énervé, agressé et qu’il n’est que dans la réaction qui est, en vérité, un appel au respect auquel tout être humain a droit.

Je leur en veux de ce qu’ils font à longueur de journée, je leur en veux de me faire connaître la haine alors que je l’ignorais avant eux, je leur en veux de leur discours fallacieux a travers leurs syndicats insultants qui ne fait qu’écrire la victoire des lâches provoquée par un système inique que flics et juges ont initié.

En prison. Crédit : Sébastien Erome/Signatures.
En prison. © Sébastien Erome / Signatures.

Je ne dois pas être là où ils m’attendent

Un nouveau combat, pour moi commence. D’abord à ne pas être là où ils m’attendent, dans la réaction justement, qui accréditerait après coup que je ne suis pas allé en taule par hasard. Il me faut donc réussir à me nettoyer des scories carcérales. Je dois aussi m’éloigner de ce qui les agite et les stimule, à savoir, leur volonté de vengeance. Il faut encore ne pas prendre au pied de la lettre cette indifférence générale au scandale de la prison et tolérer cette apathie globale où s’est engluée la lutte des classes et où les pauvres sont encore appauvris.

Imagine, lecteur, ce que je peux ressentir quand j’entends le député Élie Aboud (Les Républicains), de Béziers, il n’y a pas de hasard, (suivez le Ménard), se faire une publicité ignoblement démagogique en proposant que les prisonniers participent aux frais de détention.

J’ai indiscutablement l’envie de lui cracher dessus. Même les esclaves ne payaient pas leur gîte et leur couvert. Lorsqu’on sait qu’à peine un prisonnier sur cinq a la possibilité de bosser, à un tarif en dessous de la dignité et en dehors de toute loi du travail, que pour ceux là, gagner juste de quoi cantiner est avant tout une arme au chantage et à la soumission de la part de l’administration pénitentiaire, et où la Sodexho et autres Eurest se font des couilles en or, sans parler des entreprises sous traitantes, qu’on ne vienne pas me dire ensuite que c’est moi qui suis dans la violence.

Pourquoi, là aussi, au même titre que dans les coursives de la rate, faut-il que l’agressé soit taxé de violence quand il ne fait que se défendre ?

Comment veux tu, lecteur, que je sois insensible lorsqu’au journal télé j’entends que Woerth a été blanchi, oui, comme l’argent sale, de toutes les procédures qu’il avait au cul, y compris celle de Bettencourt et que je n’ai pas de colère devant cette justice, qui n’en a que le nom, protégeant les riches et massacrant les pauvres : Pasqua pour des millions prend deux ans avec sursis et un gamin pique des écouteurs de walkman à même pas 10 euros prend un mois ferme. Je ne parle même pas des flics de Clichy relaxés et des rebondissements de l’affaire Kerviel.

Quatorze mois supplémentaires à cause d’une conditionnelle révoquée

Alors je me dis, pour endiguer ma révolte que je ne suis pas le plus malheureux des taulards. J’ai des amis autour de moi qui ne se sont pas enfuis comme une volée de moineaux en apprenant mon incarcération.

J’ai retrouvé mon appartement, mes affaires d’avant, y compris ma bagnole alors que beaucoup d’autres sortent en n’ayant plus rien, ni toit ni bouffe et affrontent, seuls, le regard méprisant de tous les bien-pensants, y compris dans les services de l’administration censés les aider. Quelle blague cette histoire d’avoir payé sa « dette » ! Taulard un jour, taulard toujours !

J’arrive, heureusement, à ne pas laisser mes réactions prendre le dessus et j’ai eu du plaisir à compléter ma bibliothèque personnelle avec tous les livres qu’on m’a offert pour m’aider a tenir le choc pendant ces quatorze mois supplémentaires à cause d’une conditionnelle révoquée. J’ai même pu rire en lisant sur ce blog les commentaires du facho de service tant l’utilisation du nombre limité de ses neurones est ridicule, l’amenant au point où il ne se rend même pas compte combien il n’est qu’une caricature bête et méchante de son idéologie puant le brun. Face à sa pantomime je ne peux qu’avoir pitié.

Alors, tant que Rue89Lyon me permettra de m’exprimer, je ne vais pas lâcher ma liberté de parole et tu peux compter sur moi, lecteur, pour continuer à te faire partager mes indignations et à dénoncer ce système inique. Qui sait, peut-être me croiseras-tu, sans le savoir, dans un débat ici ou là. Plus que jamais, la phrase de Lucie Aubrac : « résister se conjugue au présent », me sert de phare pour ne pas être un simple indigné devant son écran d’ordinateur, de liker sur Facebook, et me renvoie à la lumineuse Louise Michel afin de poursuivre le combat en sifflotant « bella ciao ».

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#Prison

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