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Lyon Saint-Exupéry, ce petit aéroport de province

L’aéroport de Lyon Saint-Exupéry est limité dans son développement, par la volonté d’Air France qui continue de privilégier Roissy, son hub parisien. Au grand dam des patrons lyonnais qui n’en finissent pas de pétitionner.

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Aéroport de Lyon Saint-Exupéry depuis la tour de contrôle le 2 mai 2006© Jean-François Marin/Aéroports de Lyon

Un combat rassembleur si l’on en croit les prises de position politiques. Ce vendredi, les chefs d’entreprise mécontents ont reçu le soutien de Laurent Wauquiez, le candidat de l’UMP aux prochaines élection régionales, après avoir aussi reçu celui des socialistes Jean-Jack Queyranne (président de la Région) et Gérard Collomb (président de la Métropole de Lyon).

L'aéroport de Lyon Saint-Exupéry. ©Olivier Chassignole/Aéroports de Lyon
L’aéroport de Lyon Saint-Exupéry. ©Olivier Chassignole/Aéroports de Lyon

Une ultime provocation ? Le 2 avril, le PDG d’Air France-KLM Alexandre de Juniac est venu à Lyon
confirmer que la compagnie porte-drapeau française n’allait pas ouvrir de nouvelles dessertes intercontinentales au départ de Saint-Exupéry. Il l’a dit lors d’une conférence de presse présentant la nouvelle formule de sa filiale Hop!, rapporte l’AFP (via lexpress.fr) :

« Nous pensons que Lyon a intérêt à avoir une desserte régulière des deux grands hubs d’Air France-KLM (Paris et Amsterdam, ndlr) pour être connecté au monde entier ».

Si le patron d’Air France avait voulu remettre de l’huile sur le feu, il n’aurait pas mieux fait. S’il est une question qui réunit tous les patrons lyonnais, c’est bien celle de l’aéroport.

En réaction aux propos du PDG d’Air France, Medef, CGPME et les présidents des Chambres de commerce et d’industrie (CCI) de Lyon et Rhône-Alpes ont exprimé leur colère en envoyant un communiqué le 7 avril (re)demandant « davantage de lignes intercontinentales au départ de l’aéroport Lyon-Saint-Exupéry ».

« Les forces économiques de Lyon et de Rhône-Alpes tiennent à exprimer leur vive inquiétude suite au refus d’Air France d’ouvrir de nouvelles lignes intercontinentales. Cette position constitue un frein pour le développement économique ».

Cette prise de position d’Air France fait suite au refus, en décembre, d’accorder de nouveaux vols vers Dubaï (des droits de trafic, donc) à la compagnie Emirates. Actuellement la ligne Lyon-Dubaï fonctionne cinq jours sur sept. La compagnie emiratie voulait passer à un rythme quotidien.

Les patrons lyonnais dénoncent le « centralisme parisien », qui limite les vols longs courriers au départ de Saint-Exupéry et fait de Lyon un aéroport de seconde zone. Explications.

1. Le quatrième aéroport français très loin derrière Paris

Gérard Collomb rêve Lyon « au même niveau » que les grandes métropoles européennes, comme il l’a redit à Bruce Toussaint sur I-Télé. Les patrons lyonnais se montrent plus pragmatiques et constatent « un déséquilibre sans équivalent » entre les deux aéroports de Paris qui transportent 90 millions de passagers par an et celui de Lyon avec ses 8,5 millions de passagers annuels.

Dans leur argumentaire pour obtenir davantage de vols longs courriers, les responsables de l’aéroport de Lyon ont produit ce graphique intitulé « Paris et le désert français ». Où l’on voit que Lyon est sur la troisième marche du podium des aéroports français. Ce qui n’est pas tout à fait exact puisque les trafics de Roissy et Orly sont additionnés.

Saint-Exupéry se place donc quatrième, derrière Nice et ses 11,5 millions de passagers par an.

Nombre de passagers par aéroport. Source : Aéroport de Lyon
Nombre de passagers par aéroport. Source : Aéroport de Lyon

2. Une poignée de liaisons intercontinentales

Le directeur général d’Aéroports de Lyon (la société qui gère Lyon-Saint-Exupéry), Philippe Bernand, a coutume de dire que les lignes intercontinentales « se comptent sur les doigts d’une main ». Ce qui est vrai :

  • Une ligne transatlantique saisonnière (Lyon-Montréal)
  • Quatre liaisons hebdomadaires vers des départements d’outre-mer
  • Cinq liaisons par semaine vers Dubaï

Dans le même temps, l’offre d’Air France se réduit. La compagnie française a supprimé ses vols vers l’Allemagne. Et avec le développement d’EasyJet, Air France a considérablement réduit ses vols nationaux. Par exemple, Les capacités pour Bordeaux ont été réduites : il y a toujours 5 à 6 rotations par jour mais sur un Embraer d’une centaine de sièges alors qu’auparavant, il s’agissait d’un Airbus de 150 places.

Pour se développer, l’aéroport Saint-Exupéry doit donc se contenter actuellement des liaisons des compagnies low cost, avec principalement EasyJet et Vueling. En 2007, c’est à dire avant l’installation de la base EasyJet (en 2008), la part du trafic low cost représentait 3 % du trafic total. En 2014, le low cost en représente 26%.

3. Air France et la stratégie du tout Paris

Air France s’oppose à toutes nouvelles liaisons aériennes en région. Directement, en réaffirmant son refus de créer de nouvelles liaisons intercontinentales ailleurs qu’au départ de Paris. Indirectement, en faisant pression sur le gouvernement pour refuser des nouveaux droits de trafic (lire le point 4 ci-après) à des compagnies concurrentes.

Appliquer à Rhône-Alpes cette stratégie long courrier vise à pousser les passagers à emprunter son hub de Roissy. Soit par une liaison aérienne soit par le TGV.

Pour le directeur de l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry, la compagnie porte-drapeau français commet une double erreur :

  • « La limitation des liaisons intercontinentales d’Air France à Saint-Exupéry n’implique pas que les voyageurs lyonnais montent plus à Paris, affirme-t-il. Les Lyonnais ont tendance à privilégier également Genève, qui est à une heure et demi en voiture de Lyon, ou des connexions par d’autres hubs européens ».
  • « L’arrivée d’une nouvelle compagnie comme Emirates ne se fait pas au détriment du hub national d’Air France. Depuis décembre 2012, 120 000 passagers empruntent annuellement le Lyon-Dubaï. Et dans le même temps le trafic Air France entre Lyon et Roissy a augmenté de 5% entre 2012 et 2014. »

 

Aéroport de Lyon Saint-Exupéry depuis la tour de contrôle le 2 mai 2006© Jean-François Marin/Aéroports de Lyon
Aéroport de Lyon Saint-Exupéry depuis la tour de contrôle le 2 mai 2006© Jean-François Marin/Aéroports de Lyon

4. Face à Emirates et Aéroflot, « protéger le pavillon national »

Depuis deux ans, la compagnie russe Aéroflot souhaite l’ouverture d’une liaison quotidienne Lyon-Moscou. Emirates veut passer de cinq vols Lyon-Dubaï à une liaison sept jours sur sept.

Dans les deux cas, le gouvernement français, via la DGAC (Direction générale de l’aviation civile) a refusé.

Pour Lyon-Dubaï, c’était en décembre dernier. Les patrons de Rhône-Alpes ont alors lancé une pétition intitulée « Libérez le ciel pour nos entreprises » pour demander l’ouverture de droits de trafic.

« La limitation de ces droits implique directement les échanges économiques entre la région et le reste du monde. Elle est un frein pour le développement des entreprises qui se mobilisent aujourd’hui. (…) Ce n’est pas uniquement de la desserte sur Dubaï dont il s’agit, mais de toutes les liaisons accessibles via ce hub puissant, efficace et compétitif vers le Moyen Orient, l’Asie, l’Océan Indien et l’Australie, soit 95 marchés qui ne sont pas, comme Dubaï, desservis par Air France en direct. »

Comme le soulignent les patrons lyonnais dans leur argumentaire, la raison mise en avant par le gouvernement est « de protéger le pavillon national » de la concurrence des compagnies de pays émergents.

5. Paris « la protectionniste », contre Lyon « la libérale »

Ce n’est pas nouveau, Air France, soutenu par le gouvernement français, s’oppose à Emirates en s’appuyant sur l’argumentaire à double détente de la concurrence déloyale.

  • Selon une étude relayée par le Figaro, les trois compagnies du Golfe (Etihad, Qatar Airways et Emirates) ont reçu 42,3 milliards de dollars de subventions au cours des dix dernières années. Selon l’étude, ces subventions prennent des formes différentes : prêts sans intérêts, avances des actionnaires, fournitures non facturées.
  • La DGAC reproche aux compagnies du Golfe outre un manque de transparence financière et des formes de subventionnement de la part des États « des conditions fiscales et sociales avantageuses, un coût réduit d’accès aux infrastructures aéroportuaires et un accès au carburant à prix coûtant », rapporte lyoncapitale. Selon le président de l’Association des professionnels navigants de l’aviation (Apna), Geoffroy Bouvet, cité par Lyon Capitale, même si Emirates « apporte une couverture médicale à ses salariés, elle paie environ 1 000 dollars par mois pour un pilote, quand Air France paie 12 000 dollars en moyenne ».

Le directeur de l’Aéroport de Lyon balaye cet argumentaire. Pour Philippe Bernand, il s’agit de « dogmatisme et de protectionnisme » :

« Le monde du transport aérien est en profonde mutation. Avec les compagnies du Golfe, on nous ressort les même arguments qu’il y a 20 ans pour les compagnies low cost. On reproduit ainsi les mêmes mécanismes : on veut mettre des barrières protectionnistes. Mais aujourd’hui, on est dans un monde concurrentiel, qu’on le veuille ou non ».

Et d’ajouter :

« La seule manière de développer l’aéroport de Lyon est de s’ouvrir aux autres compagnies. »

6. Les droits de trafic au coeur de la future privatisation de l’aéroport

Après l’Assemblée nationale, le Sénat a voté ce samedi la privatisation des aéroports de Nice et de Lyon.
Au début de ce processus législatif, les patrons lyonnais, par la voix du président de la CCI de Lyon Emmanuel Imberton, avaient accueilli favorablement l’annonce de la future privatisation en février dernier.

En ajoutant une contre-partie à cette privatisation : l’ouverture de droits de trafic. Dans un communiqué de presse, le président de la CCI avait asséné :

« La privatisation ne peut pas être abordée indépendamment de la question de l’ouverture des droits de trafic à Lyon. La réponse apportée par Emmanuel Macron, lors du débat parlementaire, est totalement insuffisante ».

Le directeur de la société Aéroports de Lyon essaye de voir également l’intérêt de l’Etat dans cette privatisation :

« L’ouverture potentielle de droits de trafic pèse lourd. Si on développe des longs courriers, l’aéroport va prendre de la valeur pour un futur acquéreur ».

En bout de piste, ce ne sera certainement pas une pétition du monde économique, même signée par « 3350 acteurs » qui fera bouger les lignes. C’est plutôt la diplomatie française qui fera basculer le sort de l’aéroport de Lyon. Le Point rappelait que les diplomates français n’ignorent pas qu’Emirates est le premier client d’Airbus. L’achat d’avions pourrait donc être conditionné à l’ouverture de nouveaux droits de trafic.

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#Aéroport Lyon Saint-Exupéry

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