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29/03/2024 date de fin
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Fumier ! Des paysans sont aussi responsables de la pollution des villes

Souvenez-vous, du 7 au 18 mars dernier, une bonne partie de la France -et particulièrement la région Rhône-Alpes- a fait face à un important épisode de pollution.

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Les vaches de l'exploitant bio Olivier Mouton.

On a débattu des causes de cette pollution aux particules fines qui empoisonne les grands centres urbains : le diesel, l’industrie… Sauf que l’essentiel des particules n’a pas été formé par la combustion de biomasse (chauffage au bois, brûlage à l’air libre), ni par le trafic routier, comme quand il fait froid, mais a résulté des épandages agricoles. Autrement dit, la pollution était due, en majorité, à la fertilisation des champs par du lisier, du fumier ou des engrais chimiques.

Il y a quelques semaines, Air Rhône-Alpes (l’organisme en charge de la surveillance de la qualité de l’air) a dressé un bilan très précis du dernier pic important de pollution atmosphérique. Juste après l’épisode qui a abouti à une gratuité des transports en commun – en pleine campagne pour les élections municipales, la mesure était bienvenue. Les particules fines (PM10) ont été multipliées par 5 en l’espace de quelques jours, concentrées dans les agglomérations comme en bordure des grands axes de circulation routière. Et parfois, en milieu rural.

Surtout, les activités agricoles ont joué un rôle notable durant cet épisode. Une première! Dans l’oeil du cyclone, la reprise des épandages d’engrais azotés ou naturels, tels le lisier (mélange de déjections animales et d’urines) et le fumier (mélange de lisiers et de pailles).

Pour récapituler, le facteur agricole, combiné à une situation météorologique anticyclonique (froid et humide le matin, et ensoleillé dans la journée) a favorisé la condensation d’importantes quantités de nitrate d’ammonium. Nitrate d’ammonium qui a représenté plus de 50% des taux de particules PM10.

Ce sont ces mêmes causes qui ont expliqué la pollution du mois de mars dans les autres régions françaises, notamment en Ile-de-France.

 Les vaches font leurs besoins dans la paille. Le bâtiment fait 1 600 m2, 1 000 m2 pour les vaches et la salle de traite, 600 m2 pour le stockage du foin.  Ensuite, un racleur hydraulique dégage la paille souillée dans un bâtiment qui fait environ 250 m2.  Crédit photo: Damien Renoulet/Rue89Lyon

Les vaches font leurs besoins dans la paille. Chez un agriculteur bio de la Loire, Olivier Mouton, le bâtiment fait 1 600 m2. Ensuite, un racleur hydraulique dégage la paille souillée (du fumier) pour être stockée dans un autre bâtiment d’environ 250 m2. © Damien Renoulet/Rue89Lyon

 

Des « agriculteurs pollueurs » informés par la presse

Montrés du doigt, les représentants du monde agricole ne comprennent toujours pas. Etre encore mis en cause pour de la pollution n’est pas chose facile surtout quand on l’a appris par la presse.

Stéphane Peillet est céréalier à Saint-Priest. Il est également membre de la FDSEA du Rhône (branche locale de la FNSEA, principal syndicat agricole). Samedi 15 mars, l’homme roule tranquillement en tracteur. La radio, allumée, débite son lot d’informations. L’agriculteur tombe des nues en apprenant que les activités agricoles seraient l’une des causes du pic de pollution qui étouffe la région depuis le 7 mars.

Jean-Marie Vinatier, chef du service Innovations Agronomiques et Territoriales (SIAT) à la Chambre régionale d’Agriculture du Rhône, raconte  l’étonnement qui règne dans le milieu agricole:

« Quand les agriculteurs de la région ont vu paraître dans les médias que l’épandage était en cause, ils n’ont pas compris ».

Stéphane Socquet Juglard, directeur technique d’Air Rhône-Alpes, reconnaît ce décalage d’informations entre les spécialistes, les différents services de l’Etat (DRAAF, DREAL) et le monde paysan.

« Les agriculteurs, sur le terrain, n’ont pas forcément cette connaissance-là. C’est pour cela que l’on prend actuellement contact avec eux pour leur amener de l’information. Ils doivent être sensibilisés ».

 

« On arrêtera de mettre de l’engrais le jour où ils arrêteront de mettre des voitures sur l’autoroute »

Le sang de Stéphane Peillet n’a fait qu’un tour. Mardi 18 mars, il se rend à la Chambre régional d’Agriculture. Il occupe le poste de vice-président depuis l’année dernière. Il est également en charge du portefeuille « environnement » depuis 7 ans. Un communiqué de presse du Ministère de l’agriculture daté du 15 mars s’affiche sur sa boite e-mail :

« La France connaît depuis plusieurs jours un épisode de pollution aux particules fines avec dépassement dans plusieurs régions des seuils d’information puis des seuils d’alerte.

Face à ce phénomène, le Ministère recommande aux agriculteurs de restreindre ou de reporter les épandages de fertilisants minéraux et organiques ainsi que les travaux du sol ».

Le céréalier de Saint-Priest veut en savoir plus. C’est la première fois qu’il entend parler d’un possible lien entre activité agricole et pollution atmosphérique. Il en profite pour interpeller le jeudi 27 mars un membre d’Air Rhône-Alpes à la fin d’une réunion du Coderst (Conseil de l’Environnement et des Risques sanitaires et technologiques). Ce dernier lui confirme l’information :

« Les activités agricoles ont joué un rôle sur le dernier pic de pollution. En raison de la perte par volatilisation d’ammoniac lors des épandages d’engrais azotés ou naturels, de type lisiers ».

Stéphane Peillet n’en croit pas ses oreilles. Pour lui, c’est clair : le monde paysan est une nouvelle fois pointé du doigt. Et finit par s’emporter:

« Quand va-t-on nous laisser travailler? On arrêtera de mettre de l’engrais le jour où ils arrêteront de mettre des voitures sur l’autoroute » .

La pollution atmosphérique due aux épandages n’est pas nouvelle

L’influence des activités agricoles sur la qualité de l’air n’est pas une nouveauté. En tout cas, chez les spécialistes qui se penchent sur la question depuis une dizaine d’années. Stéphane Socquet-Juglard, directeur technique d’Air Rhône-Alpes :

« Dans des documents de l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie), on retrouve des informations sur les contributions possibles du milieu agricole sur la pollution atmosphérique ».

A la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), on met surtout en avant les récentes avancées en matière de connaissance précise de cette pollution. Christophe Deblanc est chef de service adjoint au sein du service « Prévention des pollutions » :

« La question n’est pas nouvelle mais la précision avec laquelle on peut déterminer la part du secteur agricole, si. Désormais, on arrive à avoir un retour d’expérience beaucoup plus précis et beaucoup plus rapide ».

Par exemple, le site de Lyon centre d’Air Rhône-Alpes s’est doté de nouveaux capteurs, appelés « black carbon ». Ces engins, plus performants, ont pu mesurer en continu le rôle joué par l’épandage. Ce qui a été confirmé quelques jours plus tard par les analyses réalisées au laboratoire central de surveillance de la qualité de l’air.

 

Les effets pervers de la directive nitrate

Certains agriculteurs désigne un coupable : la « directive nitrate », signée en 1991 par les chefs d’Etat et de gouvernements européens. Elle a un double objectif : réduire la pollution des eaux provoquée ou induite par les nitrates à partir de sources agricoles et prévenir toute nouvelle pollution de ce type. Un point fait particulièrement débat :  les fameuses périodes qui interdisent tout épandage d’engrais azotés ou naturels (en rouge sur le tableau ci-dessous) :

Interdiction-periode-épandage-1
source : DRAAF
Interdiction-periode-épandage-2
source : DRAAF

L’agriculteur de Saint-Priest, Stéphane Peillet, trouve ce calendrier aberrant. 

« Une fois l’interdiction levée, les agriculteurs sortent en même temps pour épandre. C’est l’une des absurdités de cette directive ».

Olivier Mouton est un agriculteur bio de 25 ans. Son exploitation est basée à Châteauneuf (42), petit village de 1400 âmes Il perçoit cette directive avec une certaine ironie.

« Le jour où tu as le droit d’épandre, il ne faut surtout pas faire une analyse de l’air ou de la rivière ».

En luttant contre la pollution de l’eau, la directive nitrate pourrait jouer un rôle négatif sur la qualité de l’air. C’est à rien n’y comprendre.

Le bio pollue aussi

Certification bio oblige, Olivier Mouton n’utilise ni produits phytosanitaires (désherbants), ni azotes chimiques. Ses épandages s’effectuent uniquement par le biais d’engrais naturels, contrairement au céréalier de Saint-Priest. Ils sont minutieusement inscrits sur un cahier, une sorte de registre. L’agriculteur doit le montrer à chaque contrôle effectué par Bureau Veritas Certification France, organisme indépendant de certification et de contrôle en agriculture biologique (logo AB). 

Oui, mais voilà, épandre naturellement a aussi un impact sur la pollution atmopshérique. C’est écrit noir sur blanc dans le document de l’ADEME, sur les émissions de particules dans l’air. Les engrais naturels (fumier, lisier) émettent bien de l’ammoniac. Par contre, si l’on pousse le débat plus loin,  l’influence de l’épandage naturel par rapport à l’épandage chimique n’est pas encore connu, selon Air Rhône-Alpes.

Olivier Mouton tient à jour un cahier d'épandage qu'il doit montrer en cas de contrôle. Crédit photo: Damien Renoulet/Rue89Lyon
Olivier Mouton tient à jour un cahier d’épandage qu’il doit montrer en cas de contrôle.                      Crédit : Damien Renoulet/Rue89Lyon

 

Une communication en panne

Stéphane Peillet apprécie très peu la manière dont il a appris l’information. Par la radio et sur son tracteur. Il aurait préféré l’apprendre autrement, et surtout bien avant.

« Le Ministère aurait dû faire remonter ça avant. Pas au moment d’un épisode comme celui-ci où on nous dit que les agriculteurs sont en partie responsables ».

Christophe Deblanc, qui dirige le service de l’Etat en charge de la prévention de cette pollution atmosphérique (DREAL), concède ce manque de communication.

« Ce qui  a sans doute manqué, c’est un effort de pédagogie et de communication vers les exploitants agricoles. Ça fait partie aussi du retour d’expérience qu’on peut collectivement dresser sur un situation d’épisode de pollution ».

 

Quelles solutions ?

Le fossé semble important entre les spécialistes, les services de l’Etat, d’un côté et le monde agricole, de l’autre. Le défaut de communication l’en atteste. Tout ce beau monde se retrouvera le 14 mai prochain à la cité administrative autour d’une table. Il sera notamment question du bilan du dernier pic de pollution. Quant à de nouvelles réglementations, elles interviendront plus tard selon Christophe Deblanc de la DREAL :

« On commence à programmer nos réunions de travail. L’objectif, c’est d’avoir un arrêté inter-préfectoral révisé avant le début de l’hiver « .

Jean-Marie Vinatier, de la chambre régionale d’agriculture, veut promouvoir les bonnes pratiques agricoles :

« Certaines, comme l’enfouissement des lisiers, vont déjà dans le bon sens.  De plus en plus d’agriculteurs le font, pas uniquement pour des raisons de pollution, mais aussi pour des raisons d’odeur et d’efficacité ».

L'enfouissement du lisier serait l'une des solutions.
Source: AGRIDEA

Dans ce mic-mac, Stéphane Peillet espère y voir plus clair une fois la réunion terminée. Le plus important pour lui: un retour au « bon sens paysan » :

« Les gens qui nous donnent des conseils, feraient bien d’écouter les autres. Certaines choses qu’ils préconisent ne sont pas applicables ».

Le céréalier cite notamment les systèmes à pendillards.

« Si au mois de mars, les agriculteurs sont générateurs de pollution avec les lisiers par exemple, il faudra leur trouver des aides pour investir des systèmes à pendillards. Ce n’est pas un outil qui nous rapporte de l’argent. Il est là pour éviter l’évaporation d’azote à un moment donnée. Les trucs à 500 euros, ça n’existe pas dans le monde agricole ».

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Source: AGRIDEA

 

« De nouvelles règles ne vont pas faire baisser la pollution »

Le céréalier de Saint-Priest a déjà bénéficié d’un coup de pouce. Il a reçut une aide de 40% grâce au plan végétal d’environnement pour l’achat d’une bineuse. Son prix neuf: 10 000 euros. Mais attention, cette machine ne sert pas à la protection de l’air :

« On m’a attribué cette aide pour protéger l’eau. Ce qu’il faudrait aujourd’hui, ce sont des aides pour protéger l’air. On n’en est pas encore là ».

Le technicien de la chambre d’agriculture, Jean-Marie Vinatier, confirme que les instances agricoles françaises partent presque de zéro :

« C’est un phénomène nouveau. On a beaucoup travaillé sur la qualité de l’eau et du sol. Les sources de pollution aérienne restent encore relativement peu connues ».

Olivier Mouton, l’agriculteur bio de la Loire, se montre définitif : ajouter de nouvelles réglementations ne servira à rien. Pour lui, le problème est ailleurs.

« Ce ne sont pas les règles qui vont faire baisser la pollution. Par contre, si l’on supprime les dix produits phyto sur le marché, la pollution serait sans doute diminuée. Malheureusement, ces fabricants de produits, des multinationales, ont le bras long. »

 

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