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Comment la série True Detective a défoncé toute concurrence

Ça y est, la première saison de la série déjà culte s’est achevée hier soir, et les faits sont là : True Detective est une fucking réussite. Les raisons de s’enthousiasmer sont nombreuses, en voici quelques-unes, garanties sans spoilers.

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Comment la série True Detective a défoncé toute concurrence

1. Le show bouleverse le ronron des séries

Elément suffisamment rare pour être souligné, True Detective est l’œuvre de deux hommes : le scénariste / showrunner Nic Pizzolatto et le réalisateur Cary Fukanaga. Le modèle américain standard en la matière, que la France commence à peine à assimiler (trop tard, comme à son habitude), voit un pool de scénaristes plancher collectivement sur les arcs narratifs principaux de la saison, tandis qu’un réalisateur confirmé établit dans le pilote le cahier des charges esthétiques du show, avant de laisser la main ; le tournage commence alors que la saison n’est pas entièrement couchée sur le papier. Nic Pizzolatto, lui, a démarché les networks avec son script bouclé sous le bras. Huit épisodes, pas un de plus, là où une saison en compte normalement entre 12 et 24. Oh, et quel que soit le retour public et / ou critique, l’histoire s’arrête là – la saison 2, d’ores et déjà réclamée à grands cris, partira sur un récit et des personnages différents. Dans un contexte bouleversé par l’avènement des saisons balancées d’une traite à la merci des binge watchers sous l’impulsion de Netflix, il convient donc de saluer la prise de risques de la chaîne HBO (certes amoindrie par la présence de deux têtes d’affiche dans les rôles principaux).

2. Plus qu’une série, True Detective est un film de huit heures

L’autre artisan derrière la haute tenue artistique de True Detective est le réalisateur Cary Fukanaga, très discrètement remarqué avec ses deux longs-métrages Sin Nombre (2009) et Jane Eyre (2011) ; deux productions indépendantes de luxe, où son style efficace mais sans emphase se distinguait avant tout à travers sa direction d’acteurs épatante. A l’instar de Nic Pizzolatto, qui n’avait à son actif que deux scripts pour la version US de The Killing, Fukanaga doit donc faire ses preuves, fortement aidé en cela par une structure pourtant piégée, passant sans cesse d’une époque à une autre, et revisitant à sa façon toute personnelle le principe du cliffhanger : soit des relances de l’intrigue par des coups de force tout sauf artificiels. Le fabuleux plan-séquence de six minutes clôturant l’épisode quatre (la vidéo ci-dessus) est à l’image du travail méritoire accompli par Fukanaga sur toute la série : d’une maestria discrète mais certaine, au total service de son sujet. Allons plus loin : en un seul épisode, le réalisateur exploite mieux l’ambiance de la Louisiane que sept saisons de True Blood.

3. La métamorphose de Matthew McConaughey y atteint son apogée

Jusqu’en 2011, personne n’aurait parié un dollar sur le potentiel dramatique de cet acteur anodin, cantonné à des comédies romantiques insipides (Un mariage trop parfait, Comment se faire larguer en dix leçons, Playboy à saisir) ou à des films d’aventure voués à exhiber son physique avantageux de jeune premier blondinet (Sahara, L’Amour de l’or). Après un jouissif second rôle dans Tonnerre sous les Tropiques de Ben Stiller, Matthew McConaughey disparaît des radars médiatiques. D’aucuns prétendent qu’il aurait voyagé à travers le monde pour se ressourcer, d’autres qu’il aurait juste changé d’agent ; son discours de remerciement aux derniers Oscars laisse même entendre qu’il aurait (re)trouvé Dieu. Toujours est-il qu’il entame une seconde partie de carrière sur les chapeaux de roue avec La Défense Lincoln, puis coup sur coup Mud, Killer Joe, Magic Mike, ou encore Le Loup de Wall Street, où ses dix minutes d’apparition éclipsent tout le reste de la distribution. N’hésitant jamais à esquinter son allant de beau gosse, il récupère surtout l’accent de son Texas natal, qu’il fait chanter comme personne avant lui. Dans True Detective, ses dialogues avec un Woody Harrelson bouffeur de mots donnent lieu à d’hallucinants duos à contretemps, où chacun joue sa partition avec une authenticité rare, quitte à louvoyer parfois dans le véritable défi à l’intelligible – voir à ce titre l’hilarante parodie menée par Joel McHale et Jim Rash de la série Community :

Rusty Cohle est un personnage passionnant, tant dans ses évolutions que dans sa logique intrinsèque. L’écrin parfait pour un Matthew McConaughey au sommet de son art, au point qu’on peut se demander si ce rôle n’a pas joué dans son obtention de l’Oscar pour Dallas Buyers Club

4. De l’importance de la distinction entre manipulation et foutage de gueule

Dès le premier épisode, à l’aide d’apparents faux raccords qui se révéleront en fait des changements de temporalité et d’espace, True Detective brusque le regard du spectateur, l’amène à s’interroger sur la frontière entre la véracité de ce qui est raconté et l’authentique déroulé des événements. La force du show réside en partie dans son intégration dénuée de roublardise du principe de double lecture, non pas pour se jouer du spectateur en lui montrant que les créateurs de la série ont un coup d’avance sur lui, mais pour orienter son regard vers d’autres possibles. La séquence la plus emblématique de cet élément crucial de la narration se trouve dans l’épisode 5, lors du raid des deux détectives dans l’antre de Reggie Ledoux – la voix off contredit en tout point ce qui se passe à l’écran, jusqu’à ce que les images nous fassent comprendre le pourquoi d’un tel parti pris. La scène choque autant par sa brutalité que par ce paradoxe narratif brillamment orchestré, et plonge le spectateur dans la psychologie des personnages. L’épisode suivant sera ainsi une longue variation détournée de ce principe, aboutissant sur la mise en cause de Rusty Cohle par les détectives Gillbough et Papania : ce qui aurait pu donner lieu à un cliffhanger classique se retrouve dès lors détourné par l’assimilation de cette double lecture, subtilement rappelée par le faux témoignage de Maggie. True Detective est de ces séries qui reposent sur l’intelligence du spectateur – une denrée rare qu’il faut à tout prix chérir.

5. Le nihilisme est le plus puissant des mindfuck

« Je me considère comme un réaliste, mais en termes philosophiques, ça fait de moi un pessimiste (…) Je pense que la conscience humaine est un tragique faux pas de l’évolution. Nous sommes des choses qui se meuvent sous l’illusion du soi (…) Certains linguistes pensent que la religion est un virus du langage, qui fraie jusqu’au cerveau et inhibe la pensée critique ». Les fameuses tirades de Rusty Cohle sur le non sens de la vie dévoilent autant sa personnalité et les traces pesantes de son vécu que le projet dramatique de la série : dépeindre touche par touche un monde où Dieu est mort et où tout un chacun se ment pour subsister. Un monde où face à la corruption généralisée, l’ultime soupçon d’humanité réside dans l’acharnement d’une épave physique dotée du sens de l’honneur. L’honneur d’honorer ses dettes, plus que de démontrer le vide de toute chose : c’est ce qui sauve in fine Cohle du nihilisme absolu, qu’il avait atteint en début d’épisode 6 avec son « conseil » à une infanticide. True Detective expose sans fards les abîmes vertigineux de la pensée nihiliste, mais sans pour autant nous la jouer lettré qui aurait tout compris ; bien au contraire, sa remise en perspective dialectique face aux contradictions du personnage campé par Woody Harrelson, et surtout face à la paradoxale pulsion de vie de Rusty Cohle, introduit le doute dans la notion de doute elle-même. True Detective est l’avènement à la conscience d’une « chose » dont les visions narcotiques lui donnent l’impression que, parfois (pour reprendre la réplique finale de l’épisode 2), il se « shoote à la vérité secrète de l’Univers ».


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