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Municipales 2014 à Grenoble, laboratoire d’une « autre gauche »

Après 19 années aux commandes de la ville et trois mandats successifs, le député-maire socialiste de Grenoble, Michel Destot, passe la main. À l’heure d’écrire une nouvelle page de la capitale des Alpes, la gauche est divisée, la droite érodée et le centre isolé. Pas moins de sept candidats sont actuellement en lice.

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Grenoble. Crédit : Victor Guilbert/Rue89Lyon.

Grenoble. Crédit : Victor Guilbert/Rue89Lyon.
Grenoble. Crédit : Victor Guilbert/Rue89Lyon.

1 – Le bras de fer des gauches

Les différends entre écologistes et socialistes étaient trop marqués pour trouver un terrain d’entente dès le premier tour. En 2008, Michel Destot avait choisi une alliance avec les centristes du Modem pour porter un projet de grandes infrastructures (Rocade Nord, candidature aux Jeux Olympiques de 2018…), pas du goût de ses précédents alliés écologistes déjà offensés par la construction d’un grand stade au cœur du plus grand parc urbain de la ville. Depuis cinq ans, c’est donc sur les bancs de l’opposition que siègent ces derniers. Durant tout le mandat, ils ont pris leur nouveau rôle à cœur en parvenant notamment à l’abandon du projet de rocade et à l’annulation de programmes d’urbanisme.

Deux listes se feront donc face à gauche le 23 mars prochain. La première, débarrassée des désormais centristes solitaires, reconduit la majorité sortante (PS, PC, Cap21, Go Citoyenneté) sous l’égide de Jérôme Safar, premier adjoint sortant – notamment en charge de la sécurité et des finances – et donc prétendant naturel à la succession.

Jérôme Safar, candidat PS à Grenoble. Crédit Nils Louna.
Jérôme Safar, candidat PS à Grenoble. Crédit Nils Louna.

La seconde liste agglomère autour des écologistes des formations politiques locales (Ades & Réseau citoyen), des anticapitalistes (GA & les Alternatifs), mais aussi le Parti de gauche, délié des communistes pour ce scrutin. Ce rassemblement sera conduit par le conseiller régional Eric Piolle, convaincu que « l’alternance à Grenoble, ce sont les écologistes ».

Eric Piolle.
Eric Piolle, candidat écologiste à Grenoble. Crédit Nils Louna.

Le premier tour grenoblois prendra ainsi la forme d’un laboratoire politique national. Ce rassemblement unitaire d’une partie de la gauche sera-t-il capable de devancer les socialistes sortants et leurs alliés ? Sur le plateau de Laurent Ruquier le 1er février dernier, Jean-Luc Mélenchon ne cachait d’ailleurs pas son attention pour cette commune.

« Grenoble va être une ville très intéressante pour les municipales. A Grenoble, on peut passer en tête de la gauche au premier tour… », espérait le co-président du Parti de gauche.

Portés par une base électorale historiquement forte aux pieds des Alpes, les écologistes aussi touchent du bois. L’entre-deux-tours s’annonce caustique. Chacune des listes se disant prête à fusionner, mais en évoquant seulement un scénario électoral favorable à son propre rassemblement.

 

2 – La droite en quête d’un leader

Si la bataille se joue à gauche, c’est aussi parce que la droite leur laisse ce boulevard. En 1995, la mairie devenait socialiste suite aux « affaires » d’Alain Carignon, ayant provoqué la condamnation de l’ancien maire de Grenoble à cinq ans de prison et autant d’années d’inéligibilité pour corruption, abus de biens sociaux, et subornation de témoins. Depuis cette date, l’UMP grenobloise peine à se redresser. Deux groupes s’y affrontent. Les partisans du maire déchu et ceux du renouveau.

En octobre, l’organisation de primaires ouvertes de la droite devait désigner un leader légitime. Elles n’auront finalement été que le théâtre de cette désunion avant d’être suspendues et annulées. Fin novembre, la commission nationale d’investiture (CNI) de l’UMP a tranché. Matthieu Chamussy, chef de l’opposition au conseil municipal dirigera la liste. Mais la présence d’Alain Carignon, membre de la CNI, lui a aussi été imposée. L’ancien maire apparaît en 9ème position, éligible même en cas de défaite.

Matthieu Chamussy, candidat UMP à Grenoble. Crédit Nils Louna.
Matthieu Chamussy, candidat UMP à Grenoble. Crédit Nils Louna.

L’explosion du processus des primaires a également mis en orbite des candidats satellites à droite. Jusqu’à trois candidatures dissidentes ont existé dans les premiers temps de la campagne. Il n’en reste aujourd’hui qu’une seule. La liste « Nous Citoyens » de Denis Bonzy, proposant un droit de révocation du maire comme gage d’efficacité.

 

3 – Une métropole, mais pour quoi faire ?

Le 1er janvier 2015, la communauté d’agglomération de Grenoble deviendra une métropole après avoir atteint cette année les 400 000 habitants nécessaires. Ce changement de statut territorial redistribuera inévitablement les compétences des collectivités locales. Le scrutin municipal de Grenoble, la ville centre de l’agglomération, pourrait redessiner la majorité politique et donc les orientations de l’agglomération en devenir. Pour la première fois, les futurs conseillers communautaires seront fléchés sur les listes. Une manière d’intéresser davantage les habitants à cet échelon territorial qui ne passionne pas les foules, malgré ses enjeux.

Dans la continuité de son action, la majorité socialiste entend notamment s’appuyer sur la métropole pour amplifier le développement économique de l’agglomération dans ses spécialités : nanotechnologies, recherche fondamentale et pré-industrialisation de brevets. Autre intérêt pour eux, la métropole permettra à Grenoble de s’affirmer territorialement par rapport à Lyon dans la rivalité historique. Michel Destot, cheville ouvrière du passage en métropole, le répète à qui veut l’entendre :

« Grenoble sera la seule métropole à ne pas être capitale régionale ».

Une vision que ne partagent pas les écologistes, qui reprochent aux métropoles leur manque de représentativité démocratique et leur captation des richesses, au détriment du reste du territoire. Cette nouvelle entité territoriale pourrait en revanche être un atout pour l’application d’une politique d’urbanisme intercommunal, prévue par Cécile Duflot dans la loi Alur. L’occasion de « lisser » le niveau de densité urbaine entre Grenoble l’étouffante et sa périphérie plus aérée.

Pas de rivalité avec Lyon pour la droite grenobloise, qui souhaite plutôt un rapprochement avec la voisine afin de former une « mégapole française », pesant sur le marché mondial. La première concrétisation de cette alliance serait pour eux la création d’une ligne ferroviaire grande vitesse reliant l’aéroport de Saint-Exupéry à Grenoble. Un remède pour « déboucher la cuvette » que Matthieu Chamussy souhaiterait coupler avec le développement du transport par câble dans l’agglomération, compétence locale bon marché souvent évoquée par la majorité sortante, mais jamais aboutie.

 

4 – Rythmes scolaires : précipitation ou « esprit pionnier » ?

Bon élève du gouvernement, la municipalité sortante a fait le choix de mettre en place la réforme des rythmes scolaires dès la rentrée 2013, conservant ainsi son image de ville pionnière et innovante du secteur socio-éducatif. Cela a en revanche nécessité un effort budgétaire d’environ 3 millions d’euros (220 euros pas enfants en moyenne) et le recrutement d’environ 450 animateurs. Une fois passée la confusion des premières semaines d’application et le report des activités périscolaires au mois d’octobre, le taux de 60% de participation volontaire des écoliers à ces ateliers s’annonce encourageant.

La droite grenobloise critique une mesure « précipitée ». Elle souhaite une requalification des programmes pédagogiques et des ateliers périscolaires ainsi qu’une meilleure formation des animateurs, composés à 45% d’étudiants et recrutés rapidement pour honorer le calendrier d’application de la réforme.

Les écologistes réaffirment leur solidarité gouvernementale sur cette mesure, ils soulignent cependant « un manque de concertation » avec les parents sur sa mise en place « bâclée » à Grenoble. Relayant les revendications du collectif « collège de proximité » et les revendications de certains parents d’élèves très actifs, ils promettent également « la construction de nouveaux équipements scolaires dans les quartiers sous dotés ». La municipalité sortante n’ayant pas anticipé, selon eux, l’évolution démographique suite à la construction de nombreux logements dans des secteurs de la ville déjà sous tension.

 

5 – Sécurité : quel rôle pour la ville ?

Délinquance, braquages à main armée, émeutes, règlements de comptes parfois mortels, Grenoble souffre de cette image de ville gangstérisée. Si la sécurité est une compétence régalienne, difficile pour les têtes de liste de passer outre ce problème régulièrement relayé par les médias nationaux, parfois maladroitement. Une zone de sécurité prioritaire couvre les quartiers sud de l’agglomération depuis mars dernier. Pour compléter ce dispositif les principaux candidats prévoient quelques aménagements.

Le socialiste Jérôme Safar fait d’abord valoir son bilan d’augmentation de 40% de l’effectif de la police municipale depuis 2008, atteignant 103 agents aujourd’hui. Pour répondre à la réclamation des agents et pour s’éviter tout reproche d’immobilisme, faisant usage du pouvoir de police du Maire, l’exécutif sortant a adopté, sans délibération du conseil municipal et en toute fin de mandat, l’armement nocturne des policiers municipaux, hors ZSP et l’augmentation de la vidéosurveillance (74 caméras au total).

Un manque de transparence qui ne satisfait pas l’opposition écologiste. Pour déminer cette question sensible, une commission d’évaluation de la vidéosurveillance avait été nommée durant le mandat. Ses conclusions n’ont fuité que la semaine dernière, révélant qu’une majorité de Grenoblois s’opposait à l’installation de nouvelles caméras. Côté solutions, les écologistes – régulièrement considérés comme naïfs en la matière – refusent de se substituer à l’Etat. Prenant l’exemple de la ville de Montreuil, sous exécutif écolo, ils travaillent sur un dispositif de police municipale de proximité et de médiation citoyenne, qui mobiliserait les habitants et les unions de quartiers à travers des formations.

Le candidat centriste Philippe de Longevialle, soutient l’idée d’une « équipe d’intervention anti-bruit ». Dans un élan sécuritaire, le candidat UMP-UDI promet la reconquête de « l’ordre républicain ». Il prévoit de doubler l’effectif de la police municipale sur le prochain mandat, de l’armer 24h/24 et dans tous les quartiers de la ville et d’adopter un arrêté municipal anti-mendicité. La vidéosurveillance n’est pas en reste, chaque sortie d’établissement scolaire sera équipée.

 


#Alain Carignon

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