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29/03/2024 date de fin
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Dialogues désaccordés : Le Monde de Sophisme

Au gré d’une promo rêche et systématiquement expéditive sur le fond, Eric Naulleau n’a cessé de se justifier d’avoir osé approcher Alain Soral, personnification chauve et « virile » de la bête immonde. Pourtant, la leçon à tirer de cet essai est éclatante : oui, il faut se confronter, débattre, encaisser la mauvaise foi, en un mot, dialoguer pour faire jaillir en toute transparence les mécanismes et automatismes de cette façon de penser.

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Dialogues désaccordés : Le Monde de Sophisme

Le traitement médiatique des Dialogues Désaccordés, tout en évitements et regards détournés, est malheureusement symptomatique du malaise de l’intelligentsia critique française face à la montée de l’extrême-droite dans toutes ses acceptions, et de la stratégie contre-productive consistant à se dire que si l’on survole le problème et que l’on refuse de lui donner de l’importance, il disparaîtra de lui-même. Les derniers résultats d’élection comme la montée en puissance de l’épiphénomène Soral donnent entièrement tort à ce qui ressemble désormais à une lâcheté complice.

 

Applaudissons Naulleau… pour le principe

Oui, cette France existe, elle prospère sur le net sous le déguisement de la « dissidence », et elle se fédère en attendant son Grand Soir ; fermer les yeux ne fait que l’entretenir dans ses fantasmes malsains de domination occulte. Le principe selon lequel donner de l’exposition revient à faire de la publicité gratuite n’est ni plus ni moins qu’une insulte à l’intelligence du grand public et, surtout, une fuite. C’est pourquoi, ne serait-ce que sur le seul principe, il faut applaudir Eric Naulleau d’avoir accepté l’invitation d’un échange épistolaire avec Alain Soral ; même si l’une des leçons de l’ouvrage est qu’engoncé dans ses certitudes, ce dernier refuse paradoxalement la notion de dialogue – tout en se plaignant de son bannissement des plateaux télé qui lui manquent apparemment beaucoup.

Le gros problème de la dialectique selon Alain Soral est tout entière résumée par l’évolution de ses fameuses vidéos du mois sur le site Egalité & Réconciliation : dans les premiers temps, le sociologue autoproclamé se prête bon gré mal gré au jeu de l’interview par l’un des membres de son association (ou tout du moins, quelqu’un qui aime bien l’appeler « président » avec une manifeste révérence). Puis, quelques mois plus tard, la voix de son interlocuteur disparaît, et le montage ne garde plus que les interventions d’un Soral soliloquant en plan fixe.

L’évocation des sujets d’actualité devient satellite de sa propre personne ; le “président“ évoque en priorité ses déboires judiciaires, les infinies cabales à son encontre, sa traque des méchants, méchants trolls du web qui lui veulent du mal – Alain Soral EST l’actualité, comme peut en témoigner son impérieux besoin de parler de lui à la troisième personne. La mention négative de son nom par Manuel Valls, dans un discours prononcé en août dernier, lui a notamment offert de la matière pendant plusieurs mois et une caution inespérée.

 

« Soral n’est pas là pour débattre mais pour monologuer »

Depuis trois ans, Soral refait littéralement le monde de son canapé rouge. Un monde régi par « l’oligarchie mammonico-atlantico-talmudo-sioniste » (« l’Empire », téléguidée par « la communauté que l’on n’a plus le droit de nommer »), dans lequel sa « virilité helléno-chrétienne » serait le dernier rempart contre « le Nouvel Ordre Mondial d’inspiration sataniste ». Cette vision se défend à grands coups de paradoxes de très haute volée, de contradictions (parfois dans une même phrase), de victimisation et de jeux sur les mots (ainsi, il ne serait pas antisémite mais « judéo-critique », ce qui change tout, n’est-ce pas).

Alain Soral « fait le boulot, hein », il « mouille le maillot ». Concrètement ? Il lit des livres, passe beaucoup de temps sur le web, se nourrit de tout ce qui conforte de près ou de loin son discours – un point salutairement soulevé par Eric Naulleau lors de leurs échanges. Son sophisme originel est imparable : quiconque s’intéresse un minimum à la marche du monde est forcé d’arriver aux mêmes conclusions que lui, et ses contradicteurs sont soit des imbéciles, soit des « salopes vendues à l’Empire ». Soral réfute toute alternative.

 

La théorie du complot comme fonds de commerce

A ce stade, de toute façon, le dialogue n’est même plus utile. Ses dernières interventions chez Frédéric Taddéi, tout en éructations, coupages de parole et insultes larvées sont cristallines : Soral n’est pas là pour débattre mais pour monologuer, imposer ses arguments par la force. Sa disparition des plateaux télé s’explique à la fois par ce caractère ingérable et par l’autocensure gauchement assumée des animateurs – tant mieux pour lui : à l’instar de son camarade Dieudonné, ce statut d’infréquentable et la théorie du complot selon laquelle on voudrait l’empêcher de parler lui servent de fonds de commerce, et expliquent en partie le succès croissant rencontré par ses vidéos et son site.

Soral a en effet conquis une véritable armée de fidèles, prodigieusement organisés sur le web : à chacune des attaques de leur maître à penser dans des vidéos ou dans des articles éditoriaux, ils envahissent les commentaires en reprenant point par point le discours du “président“, dont le syndrome de persécution se retrouve de fait renforcé. Les soraliens se sont ainsi rués sur tous les sites de vente en ligne pour clamer à quel point leur héros sort vainqueur par KO de la joute l’opposant à Eric Naulleau dans Dialogues Désaccordés, pour mieux infléchir la réception du lecteur lambda qui découvrirait Alain Soral pour la première fois. Il n’en est bien évidemment rien. Entre le silence des médias critiques et l’avalanche orientée des fans de Soral, il convient de rétablir la réalité de cet essai.

 

Homophobie, misogynie et complot juif…

La forme choisie par l’éditeur apparaît de fait comme la seule viable : lors d’un échange de mails, Soral n’a nullement le loisir d’interrompre son interlocuteur, de le noyer sous ses vociférations jusqu’à le rendre inaudible. Quand bien même les incessantes références littéraires d’Eric Naulleau ont une fâcheuse tendance à forcer la légitimité de ses arguments, ces derniers imposent leur évidence face aux élucubrations hallucinées d’Alain Soral, dont la ligne de défense ostensiblement sophistique se résume pour l’essentiel à répéter « je le sais » et « tout le monde le sait », comme preuves absolues de ses raisonnements à l’emporte-pièce.

Du haut de sa violence décomplexée comme jamais – et grossièrement masquée sous le voile de « l’humour » – Soral ne prêche que ses fidèles convaincus. Les lecteurs qui découvriront le bonhomme pour la première fois devront encaisser son homophobie (même s’il réfute le terme, du moins son étymologie) patentée et sa misogynie insidieuse, son obsession quasi pathologique pour le grand complot juif appliquée à toutes les strates de nos sociétés ; et ils devront démêler les nœuds de son habileté rhétorique pour mettre en lumière ses contradictions dévorantes.

Grand pourfendeur devant l’éternel des procès d’intention, Alain Soral prête ainsi de l’intelligence à son contradicteur (une grande première) et prétend incidemment, selon sa logique toute personnelle, qu’il se ment à lui-même pour conserver sa place médiatique. Quand il ne traite pas Naulleau de commentateur sportif (insulte suprême !) pour noyer le poisson et tenter, bien maladroitement, de le rabaisser. Soral est le prophète de sa vérité absolue, tellement évidente qu’elle ne saurait souffrir contestation ou développement de sa part.

Dialogues Désaccordés a l’immense mérite d’exposer la pensée d’Alain Soral dans toute sa crudité, et de lui opposer en contrepartie des réfutations pertinentes qu’il n’attendait même plus. Le discours de Soral est l’écho d’une réalité politique qu’on ne peut plus fuir ou ignorer. L’ouvrage démontre qu’il faut se coller au débat, même si la discussion semble impossible – de fait, la négation soralienne de l’autre, faille majeure de sa doxa soi-disant humaniste, n’en apparaît que plus évidente. N’étant plus spécialement fan d’Eric Naulleau depuis son émancipation du duo littéraire qu’il formait avec le génial Pierre Jourde, je lui reconnais néanmoins l’intégrité intellectuelle de s’être attelé à une telle tâche. Dans un monde parfait, ce serait la moindre des choses. Aujourd’hui, c’est du courage.

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