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« A touch of sin » en avant-première avec Pierre Haski mardi 10 décembre

Le cinéma le Comoedia et Rue89Lyon vous proposent de découvrir ce film, dont la projection le mardi 10 décembre 2013, sera suivie d’un débat en présence de Pierre Haski, journaliste spécialiste de la Chine et cofondateur de Rue89. [Article initialement publié le 28 novembre]

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A touch of sin
Image tirée du film « A touch of sin »

Dahai, mineur exaspéré par la corruption des dirigeants de son village, décide de passer à l’action. San’er, un travailleur migrant, découvre les infinies possibilités offertes par son arme à feu. Xiao Yu, hôtesse d’accueil dans un sauna, est poussée à bout par le harcèlement d’un riche client. Xiao Hui passe d’un travail à un autre dans des conditions de plus en plus dégradantes.

Quatre personnages, quatre provinces, un seul et même reflet de la Chine contemporaine : celui d’une société au développement économique brutal peu à peu gangrenée par la violence.

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Entretien avec Jia Zhang-Ke

Pourquoi avez-vous choisi la violence dans la société chinoise comme thème central de votre film ?

Lorsque je parcours l’énorme quantité d’informations à caractère social postées sur Weibo (l’équivalent chinois de Twitter), les comptes rendus d’événements violents – plus précisément d’événements au cours desquels la violence n’aurait pas dû être utilisée – me mettent mal à l’aise. La transformation rapide de la Chine s’est faite au profit de certaines régions mais également au détriment d’autres. L’écart entre riches et pauvres se creuse de plus en plus. Les gens ont le moral en berne car ils sont constamment confrontés à des exemples de richesses mais aussi à l’injustice sociale.

À l’exception de Weibo, notre société manque de canaux de communication. Pour les plus faibles, qui n’ont pas l’habitude de communiquer, la violence peut devenir le moyen le plus rapide et le plus efficace de conserver leur dignité. Face à autant d’incidents violents, j’ai senti qu’il fallait que je parle du problème de la violence dans un film. C’est peut-être le seul moyen de réduire sa place dans nos vies. Je me suis donc lancé dans l’écriture d’un film qui serait une série de portraits de la violence plutôt que l’histoire d’un seul protagoniste. Afin d’illustrer la Chine moderne comme je la comprends, je suis parti de quatre faits divers incroyablement violents et j’en ai fait une oeuvre de fiction.

A touch of Sin - Jiang Wu ©Xstream Pictures Beijing
A touch of Sin – Jiang Wu ©Xstream Pictures Beijing

Avez-vous fait des recherches ? Êtes-vous resté fidèle aux faits ? Quelle est la part de fiction ?

Avant d’écrire le scénario, je me suis rendu sur les lieux des incidents. Je voulais voir où ils s’étaient déroulés et réunir des informations. J’ai aussi interrogé des gens. Ceci étant dit, je n’ai pas hésité à me servir de la fiction, que ce soit lors de l’écriture ou sur le tournage. Je crois que la fiction permet de révéler les facteurs sociaux qui se cachent derrière ces incidents ainsi que les motivations profondes des personnages.

Ce sont des histoires particulièrement dramatiques. Pour les adapter à l’écran, je me suis appuyé sur la littérature chinoise. La tradition du roman historique consiste à partir d’un fait et à construire des personnages et une histoire autour. Pendant que j’écrivais le scénario, j’ai aussi regardé beaucoup d’opéras classiques chinois. Je me suis inspiré de la forme narrative d’un opéra en particulier : La Forêt des Sangliers, un opéra de Pékin qui a été filmé en 1962 par Chen Huaikai et Cui Wei. Les quatre histoires se passent dans différentes régions de la Chine et les comédiens s’expriment dans les dialectes de ces régions. Certains personnages partent à la recherche d’un travail très loin de leur ville d’origine.

Cette diversité géographique est-elle importante à vos yeux ?

En effet, les histoires se passent dans différentes régions de Chine. La première, celle de Dahai, se passe dans le Shanxi, la région où je suis né. C’est une grande province agricole au nord-est de la Chine. La deuxième histoire se déroule dans la ville de Chongqing, au sud-ouest du pays, au bord du Fleuve bleu, près du Barrage des Trois Gorges. La troisième se passe dans le Hubei, en Chine centrale. La quatrième histoire a pour décor Dongguan, une ville de la province du Guangdong, sur la côte du sud-est, dans la « zone économique spéciale ».

Le fait que ces quatre histoires couvrent une si grande partie du territoire me rappelle indirectement les peintures de paysage traditionnelles. Les peintres classiques essayaient de représenter des panoramas de tout le pays. Je partage cette ambition, et j’aimerais que le film soit comme une représentation générale de la Chine.

En ce moment, la société chinoise est bouleversée par les mouvements de migration intérieure. Les gens quittent leur ville d’origine pour trouver du travail, à la recherche d’une vie meilleure. De nombreux jeunes originaires du centre du pays travaillent maintenant dans les usines « internationales » de Dongguan. L’afflux de population a créé de nouveaux liens sociaux. J’espère que le film montre que des gens très différents entretiennent des relations secrètes même sans se connaître.

 

A touch of Sin - Wang Baoqiang ©Xstream Pictures Beijing
A touch of Sin – Wang Baoqiang ©Xstream Pictures Beijing

Le film montre le mécontentement individuel sous plusieurs formes. Est-ce un sentiment général ?

Le mécontentement est un sentiment très répandu. C’est d’ailleurs souvent un facteur de progrès. La Chine a été coupée du monde pendant de nombreuses années et durant cette période, le collectivisme régnait en maître. Les gens manquaient de conscience individuelle. Les réformes entreprises ces trente dernières années ont éveillé chez certains une nouvelle conscience d’eux-mêmes. Par ailleurs, les trois dernières décennies ont vu s’accumuler de nouveaux problèmes sociaux, et s’accroître les inégalités et la corruption. Ces problèmes n’ont pas été traités à temps. Le cumul des problèmes sociaux et une conscience grandissante de la liberté individuelle ont créé un climat dans lequel les chinois ont de plus en plus d’attentes à l’égard des changements à l’oeuvre dans le pays.

Dans quelle mesure le film fait-il référence au genre wuxia (film d’arts martiaux) ? Vos personnages décident de passer à l’action pour changer leur vie. Votre travail prend-il un tour plus politique ?

Dès le début, j’ai su que le film raconterait des histoires très difficiles : des conflits d’intérêt entre personnes, des conflits entre des gens et leur environnement et aussi des personnages en conflit avec eux-mêmes. En écrivant le scénario, j’ai pensé à certains acteurs professionnels. Jiang Wu, qui interprète Dahai, a joué dans Vivre ! de Zhang Yimou et dans Shower de Zhang Yang. Wang Baoqiang, qui interprète San’er a joué dans Blind Shaft de Li Yang. Zhao Tao, qui interprète Xiao Yu, a joué dans plusieurs de mes films. Par contre, l’acteur qui joue Xiao Hui n’a que 19 ans ; je l’ai découvert dans une école d’art dramatique du Hunan.

J’ai une prédilection pour une esthétique de type documentaire. J’ai travaillé avec beaucoup d’acteurs non-professionnels repérés lors des cinq mois de tournage à travers la Chine. J’espère que mon film parvient à faire surgir une forte émotion des conditions de vie quotidiennes que nous avons filmées.

Xiao Yu - Zhao Tao © Xstream Pictures Beijing
Xiao Yu – Zhao Tao © Xstream Pictures Beijing

Le titre anglais évoque le film A Touch of Zen de King Hu…

J’aime beaucoup les films de King Hu. En effet, le titre anglais, A Touch of Sin, est un hommage à son film A Touch of Zen (en chinois Xia nü – La Dame chevalier – Cannes 1975). Dans le mien, l’histoire de Xiao Yu (jouée par Zhao Tao) et les vêtements du personnage font directement référence à l’actrice Hsu Feng dans A Touch of Zen. À la fin du film, la scène d’opéra est extraite de « Su San qi jie » (L’interrogatoire de Su San). C’est l’histoire d’une jeune femme arrêtée pour meurtre qui finit par retrouver la liberté. C’est un opéra très connu en Chine.

King Hu en a fait son deuxième film (Yu Tangchun – 1964). Je m’en suis servi parce qu’il représente l’idée que la même histoire peut se répéter à différentes époques et dans des contextes différents. Il y a de nombreux parallèles entre les difficultés auxquelles les Chinois font face aujourd’hui et les situations qu’ils vivaient il y a des siècles. Pour moi, il est naturel d’associer cette perception aux oeuvres littéraires et aux films chinois qui ont abordé ces sujets par le passé. La différence, c’est que je travaille à l’ère de l’Internet, des jets privés, des trains à grande vitesse. A une époque aussi où les gens se sentent plus proches les uns des autres sur Weibo que dans la vraie vie. C’est pourquoi je voulais que les quatre histoires s’entremêlent. Je veux comprendre comment nous évoluons, comment les gens « restructurent » leurs vies et saisir comment nous établissons des liens dans le monde que nous construisons.

 

 

 

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