un bidonville de l’agglomération lyonnaise, plutôt qu’elle dans le grand appartement chauffé.
Alain, 33 ans, est Français. Il est façadier depuis plus de dix ans, propriétaire de deux appartements sur Lyon et affirme qu’il « gagne bien sa vie ».
Il y a quatre ans, il a commencé à venir en aide aux Roms de l’agglomération, dont ceux installés à Villeurbanne. Un bidonville qui a accueilli une dizaine de familles expulsées de Vaulx-en-Velin au mois d’août.
Aujourd’hui, ce campement accueille plus d’une centaine de personnes. Les conditions de vie y sont absolument les mêmes que dans celui démantelé. Les rats, la difficulté d’accès à l’eau, l’éclairage à la bougie, les bidouillages pour se procurer de l’électricité. Les baraques, construites avec des matériaux récupérés, semblent à peine pouvoir tenir debout. L’air est empli de poussière et le décor chaotique. La cuisine se fait au feu de bois, la vaisselle dans des bassines d’eau.
Du plastique sur le toit pour « l’étanchéité » ; un serrure, pour « sécuriser » la baraque © Nathalie Moga
C’est à Villeurbanne qu’Alain a rencontré Dana, il y a deux ans. Une petite brune de 28 ans, menue, aux cheveux très longs et aux canines en or. Elle est arrivée en France il y a maintenant cinq ans, avec quelques cousines et n’a eu de cesse de faire des allers-retours entre Lyon et le département de Bihor (dans l’est de la Roumanie), jusqu’à ce qu’elle ne rencontre Alain.
La première fois qu’il l’a vue, raconte Alain, elle essayait de trouver de la nourriture dans des poubelles. Il n’a pas supporté, et lui a donné de l’argent pour qu’elle s’achète de quoi se nourrir.
« On lui a dit que je lui avais pris sa liberté »
Aujourd’hui, ils n’ont de cesse de se taquiner, de se rendre jaloux, comme deux adolescents. Malgré « les commérages et les jalousies » dans le bidonville, leur couple tient le coup, explique Alain :
« On a essayé de monter la tête à Dana plusieurs fois. L’an dernier, nous habitions ensemble dans mon appartement. Les autres se moquaient d’elle, en lui disant que je lui avais pris sa liberté. Elle n’a pas supporté. »
Entre confort personnel et vie en communauté, la jeune femme a fait un choix. La vie « normale », à la gadjé, n’a pas su faire son bonheur :
« Seule à l’appartement, je m’ennuyais. Ça ne me plaisait pas, j’avais l’impression d’être en prison. Même si c’est dur, je préfère encore vivre ici, avec les Tziganes, avec mes amis. »
Dana est attachée à son indépendance. Malgré l’aide de son compagnon, elle avoue, à demi-mots, se prostituer occasionnellement :
« Je fais ça quand j’ai vraiment besoin d’argent. Rarement. C’était avant. »
Pour rentrer au pays voir ses deux parents et son frère, de l’argent il en faut. Un « chauffeur » fait des allers-retours incessants entre la Roumanie et le campement, dans ce que Dana appelle « le bus » (un monospace). L’aller depuis Lyon coûte 50 euros, le retour 100.
Mais Dana explique que quand elle rentre, ce n’est que quelques jours, qu’elle ne tient pas longtemps :
« Maintenant que j’ai Alain, je n’arrive pas à rester là-bas ! »
Alain a appris le Romani et aide la population du bidonville sur divers aspects de la vie quotidienne. © Nathalie Moga
« On me prend pour un Rom… »
Au début, leur histoire était compliquée, à cause de la barrière linguistique. Mais Alain apprend très rapidement à parler Romani, la langue tzigane. Ce qui a forcé le respect de tous les habitants du lieu. Dana se débrouille aussi un peu en français, grâce à lui.
Elle tente de donner une explication au non-apprentissage de la langue française par les Roms de « la place », le surnom donné au bidonville :
« Alain, il est entouré de Roms, c’est normal qu’il ait appris ! S’il y avait quatre ou cinq Français avec nous, on apprendrait aussi… »
Mais selon le jeune homme, « les Français » ne viennent jamais les voir, « mis à part ceux qui passent les insulter » :
« Ils leurs disent de s’en aller et les traitent de tous les noms. Qu’est-ce que tu veux que je réponde à cela ? Ils me prennent aussi pour un Rom (rires)… Je leur dis « oui, vous avez raison, on va s’en aller. » Avec ce genre d’attitude, difficile de s’intégrer ! »
La petit intérieur de Dana. © Nathalie Moga
« Est-ce qu’il aime vivre parmi nous ? »
Dans la baraque de Dana, un poêle pour se chauffer, une toute petite télévision, des peluches, qu’elle appelle « ses enfants ».
Avant, ils s’éclairaient à la bougie, ce qui a d’ailleurs failli causer un incendie, comme en témoigne un trou rafistolé au plafond. Mais maintenant ils ont l’électricité. Quelques familles partagent les frais d’essence d’un générateur : « 2 euros par maison ». Les murs ont été doublés, pour éviter que les rats ne rentrent. Car le soir, ils grouillent de partout.
Alain a déménagé dans le bidonville, il y a un an. La jeune femme se demande sans arrêt pourquoi il a choisi de la suivre ici, dans la misère :
« Est-ce que c’est pour moi ? Est-ce que c’est parce qu’il aime vivre parmi les Roms ? Il a un appartement, tout ce qu’il faut, et il est venu vivre dans ma baraque… demande-lui en Français ! Et dis-moi ce qu’il te répond. Je n’arrive pas à savoir. »
« Quand je ramène un Rom à l’hôpital, je vois très bien le regard des soignants »
C’est pour elle. Il le confirme. Mais l’homme semble se conduire comme un véritable « bienfaiteur » nous disent d’autres habitants du bidonville.
Dès que l’un d’eux a un problème de santé, c’est lui qui se charge de l’emmener à l’hôpital :
« Ça arrive au moins une fois par semaine. Quand je les accompagne, je vois très bien le regard des soignants. Ils réagissent bizarrement. Ça fait un an que je vis avec les Tziganes, et je vois ce qu’il se passe. Médecins du Monde leurs donnent des soins. Mais à part ça, les contacts extérieurs sont rares. Rien n’est concret, il n’y a pas de solution. »
« Je me lave tous les jours, je vais chez Alain »
Ce qu’il apprécie chez eux, c’est la valeur de partage. Un repas ne se prépare jamais pour une ou deux personnes, mais pour proches et voisins. L’accueil qui m’est fait confirme la chose. « Tu as faim ? Tu veux boire quelque chose ? Tu veux une cigarette ? »
On m’ouvre une bouteille d’eau neuve, en m’assurant que personne n’y a touché. On m’offre de l’emmener chez moi. Leur comportement à l’égard d’une gadjic (femme extérieure à la société rom) est plein d’empathie.
Malgré des difficultés flagrantes concernant les conditions d’hygiène, pour Dana, être propre est primordial :
« Je me lave tous les jours, je vais chez Alain. Ici il faut faire très attention avec ça. D’ailleurs quand on fait la vaisselle, on retourne les assiettes, pour ne pas chopper d’infections, avec les rats, les mouches… On essaie de protéger les enfants. Après, pour ce qui est de la propreté, certains nettoient, balaient devant leur porte, d’autres non, ça dépend. Nous sommes tous différents. »
Ce soir là, après avoir photographié des dizaines de personnes se prêtant au jeu avec plaisir, je suis ramenée en voiture jusqu’à mon domicile. Le quartier où j’habite, la Guillotière, est considéré comme « trop dangereux pour une femme seule à cette heure-ci » (21h30).
Plusieurs jeunes filles s’invitent donc dans la voiture, pour me rassurer.
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