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Boul’Dingue, bouquiniste à Lyon : les mercenaires de la librairie 4/5

Figure emblématique d’une profession qui tombe en désuétude, le bouquiniste résiste. À Lyon, ils sont encore une vingtaine à refourguer livres, comics et autres BD d’occasion. Comment ces vendeurs d’une autre époque s’adaptent-ils au marché ? À travers une série de portraits, nous plongeons dans un quotidien fait d’arrangements, de désillusions et d’idées pour survivre. Serge Boissat ouvre les portes de sa librairie Boul’Dingue, dans le 5e.

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Hugo Lautissier/Rue89Lyon

« Je n’ai ni le brevet ni le bac, j’ai même raté ma première communion »

Serge Boissat, 58 ans, a ouvert la librairie Boul’Dingue en 1974. Ce qui fait de lui le deuxième plus ancien bouquiniste lyonnais encore en activité, derrière la librairie Diogène, situé à quelques dizaines de mètres de là.

C’est un parfait autodidacte. Il est parti de chez lui à 17 ans, il a pas mal bourlingué et commencé à travailler dans une boutique de luxe. Rapidement, son patron lui propose de prendre la direction de trois magasins du groupe, en multipliant son salaire par cinq. Mais Serge refuse :

« Je n’ai ni le brevet ni le bac ni le permis de conduire, j’ai même raté ma première communion. J’étais dans un trip soixante-huitard, j’avais les cheveux longs jusqu’aux fesses et le job ne collait pas vraiment avec mes idéaux de l’époque. »

15 jours plus tard, bien aidé par le patron de la librairie Diogène, il ouvre sa boutique avec 5000 francs, l’équivalent de quatre mois de salaire à l’époque.

« Imagine aujourd’hui, ce serait inconcevable. Refuser un boulot en or et ouvrir sa boutique dans la foulée avec trois fois rien, on ne peut plus se le permettre. Le pas-de-porte coûtait 500 balles. J’ai fait les étagères avec des planches chourées sur des chantiers et avec des cagettes récupérées sur le marché. »

Au départ, Serge réunit dans sa boutique toutes ses passions: le cinéma, le polar, la science-fiction, la musique et la BD. Rapidement, il revend ses stocks à des amis libraires pour se concentrer sur la bande dessinée et la musique.

Lorsqu’il s’est installé, au début des années 70, le quartier du Vieux Lyon n’avait rien du quartier touristique et piéton que l’on connait aujourd’hui.

« La seule chose bien qu’a fait Michel Noir, c’est de retaper le Vieux Lyon. Dans les années 70 le quartier était complètement destroy et glauque, avec des squats partout, aucun touriste et des voitures au large. Je me suis installé là par ce que je n’avais pas le permis et que je ne voulais pas être trop loin de chez moi pour bosser. »

En 40 ans, le quartier a bien changé. Pourtant, cet essor du tourisme ne profite pas directement aux boutiques. Il y a quatre ans, le propriétaire de Serge a voulu multiplier par 3 son loyer, prétextant l’arrivée du métro, de la rue piétonne, et le développement du tourisme. Serge a retourné un à un tous ses arguments pour finalement obtenir gain de cause trois ans plus tard.

« Un Coréen par exemple, qu’est ce que tu veux qu’il m’achète comme BD ? Tous les jours j’entends « Oh c’est la caverne d’Ali Baba ici ! » Les touristes voient la boutique comme une curiosité, mais au final ce ne sont pas eux qui vont acheter. »

 

Celui qui cherche le premier exemplaire de Fantax… et le trouve

Hugo Lautissier/Rue89Lyon

Serge revendique une clientèle large, de 7 à 77 ans, de tous les horizons sociaux. Du prolo au collectionneur friqué en passant par le banlieusard fan de rap à la recherche de bon cds. Vérification en direct quand une jeune femme de 27 ans, bien habillée achète un vinyle de Divine, le travesti, égérie du réalisateur underground culte John Waters dans les années 70.

« Vous êtes une fan de John Waters? Vous me sciez, vous avez à peine trente berges ! »

Mais dans une plus large mesure, le propriétaire de la librairie Boul’Dingue regrette la clientèle qu’il avait dans les années 70. D’après lui, les passionnés étaient plus nombreux et moins spécialisés.

« Aujourd’hui il y a tellement de choses différentes que les gens sont beaucoup plus enfermés dans un style. Un lecteur d’Astérix ne lira jamais une BD alternative américaine et inversement. »

Dans un contexte de crise économique, le collectionneur s’avère être un client de choix et fidèle.

« En 1975, alors que je venais d’ouvrir ma boutique, un client m’a demandé si j’avais le premier exemplaire de Fantax, une BD lyonnaise des années 40 qui a entraîné la loi sur la censure de 1949. Je lui ai trouvé il y a six mois. »

« Une boutique aujourd’hui doit être gérée avec internet »

Serge le reconnait aisément, l’informatique s’est imposée comme un outil indispensable pour gérer les stocks de plus en plus importants. Pourtant, il n’a pas encore passé le cap. Le site internet de la boutique affiche invariablement le même message depuis 10 ans « Découvrez très prochainement notre catalogue de vente en ligne ! ». Comme un rappel sans suite.

« C’est un travail colossal. Quand Carrefour répertorie un album de Tintin, c’est une ligne. Mais pour nous, c’est trente lignes. Il faut trier par édition, par années. Pour les vinyles je t’en parle même pas ! »

Concernant le développement de l’offre sur internet et du livre numérique, Serge ne semble pas spécialement effrayé. Les bandes dessinées en vente sur Leboncoin ou Ebay sont d’après lui soit sous-cotées soit surévaluées, mais en tout cas rarement dans la norme du marché.

« Les collectionneurs continuerons à acheter, ils aiment le contact avec le libraire et toucher l’objet de leur envie. Ils ne se satisferont pas d’un livre virtuel. »

« Personnellement, je cherche une série de BDs depuis 12 ans, et malgré internet, je ne l’ai toujours pas trouvée. »

Selon une étude de GfK diffusée à la veille du 40e Festival d’Angoulême, cette année 37 millions de BDs ont été vendues en France. Boul’dingue a encore de beaux jours devant elle.

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