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Demandeurs d'asile : la violence des files d'attente devant la préfecture à Grenoble

La préfecture de l’Isère connaît actuellement une situation exceptionnelle en France : l’attente des demandeurs d’asile dure plusieurs nuits d’affilée. Engelures, blessures liées au froid, mais aussi marché noir pour avoir de meilleures places dans le rang, la situation est violente et vient justement d’être dénoncée dans un rapport de la Coordination française du droit d’asile. Reportage.

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Victor Guilbert / Rue89Lyon

Il neige sur Grenoble. C’est la première fois que Yannick, silhouette fantomatique sous sa couverture, voit des flocons. Ce congolais de 28 ans a quitté la RDC il y a tout juste une semaine. Les derniers mois ont été intenses pour lui. Après un passage par les geôles de Kinshasa pour avoir participé à des manifestations organisées par l’opposition politique en marge des élections législatives en novembre dernier, il a finalement été relâché en janvier grâce à l’entremise d’une ONG locale des droits de l’Homme.

À sa sortie, aucune nouvelle de ses proches, pas de trace non plus de son fils, qui aura 8 ans ce 14 février et qui était présent lors de son arrestation. Cette évocation laisse place à un silence pudique d’émotion. Yannick s’est estimé menacé, des amis l’ont informé que la police le cherchait à nouveau. C’est ainsi qu’a démarré son voyage clandestin à 3.600 euros vers la France. « Pour trouver refuge », confie-t-il. 5585 km parcourus, une dizaine de pays et une mer traversés en une semaine. Yannick bute désormais depuis deux soirs devant la porte de la préfecture de l’Isère.

 

Quatre dossiers par jour, pas plus

Son histoire n’est pas isolée. Arrivés avant lui, un couple de macédoniens et une arménienne se protègent des intempéries sur des cartons et sous leurs parapluies pour leur dixième nuit dans cette rangée. Une enfilade nocturne quotidienne et des délais tardifs qui ne trouvent leur semblable qu’en Ile-de-France.

« Mais avec 45% de demandes supplémentaires », précise Jean-François Dubost, responsable des questions d’asile et de migrations à Amnesty International France.

En 2012, l’association grenobloise Accueil Demandeurs d’Asile (ADA) qui effectue un pointage matinal chiffre à 683 le nombre de personnes passées par la file d’attente nocturne et diurne de Grenoble. Congolais, macédoniens, soudanais et serbes arrivent en tête du classement. Un chiffre pour la première fois en baisse de 30% par rapport à 2011, après six années de hausse.

« Avec un rythme de deux à quatre primo-arrivants reçus les matinées d’ouverture, le phénomène de fil d’attente est inévitable », estime Jacqueline Leininger, présidente de l’ADA.

 

Malaises, engelures…

La saison est pourtant peu propice à passer la nuit en pleine air, plaqué contre la façade par un courant d’air que n’atténuent pas les barrières du plan Vigipirate. Chacun se réchauffe comme il le peut.

Parfois une silhouette sort de la file pour courir le long du bâtiment. Une autre fois, un grenoblois d’origine guinéenne laisse en confiance sa voiture à disposition de quelques concitoyens sur le parking. On la distingue par la buée sur les fenêtres. Les pompiers interviennent de temps à autres pour des malaises ou des engelures, comme en janvier dernier pour un angolais touché aux doigts et aux orteils par un mercure négatif qu’il n’avait jamais connu jusqu’à ce jour.

« Nous avons sollicité la préfecture à de nombreuses reprises pour mettre en place un système de tickets qui respecterait l’ordre d’arrivée tout en évitant à des familles parfois avec enfants de passer la nuit dans de telles conditions. Mais toutes nos demandes sont restées sans réponse malgré le changement de préfet en août dernier », témoigne Stéphane Gemmani, président de l’association Vinci, le Samu social grenoblois.

Un tel dispositif pour la prise de rendez-vous a notamment été mise en place à la préfecture du Rhône. À nos questions également et malgré de multiples relances, les services préfectoraux n’ont pas souhaité répondre.

 

Des places revendues dans la file d’attente

Dans la file, la barrière de la langue empêche bien souvent toute communication entre les migrants. Qu’importe. Chacun est trop préoccupé par sa situation pour écourter les longues heures d’attente par la discussion. S’ajoute à cela la rivalité dans l’ordre de passage.

Le rapport de la Coordination française pour le droit d’asile (CFDA), qui regroupe une vingtaine d’associations et d’ONG, parmi lesquelles Amnesty International, le Secours Catholique, la Cimade ou Médecins du Monde, note l’apparition d’une sorte de marché noir :

« Ces situations de files d’attente génèrent des tensions entre demandeurs, avec la constitution de listes entre eux et l’apparition d’un phénomène de revente de places dans les files. »

Cliquer pour accéder à 2013-13-02-Rapport-CFDA.pdf

 

Neuf mois de délai

Pour comprendre les raisons de cet engorgement, les organismes amenés à travailler sur la question se rejoignent pour incriminer le système de régionalisation des demandes d’asile, instauré en 2009.

La région Rhône-Alpes, comme celle des Pays de la Loire et Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA) font figures d’exceptions avec deux préfectures (Lyon et Grenoble) désignées pour l’admission au séjour et disposant d’une borne EURODAC, qui permet de relever les empreintes digitales des demandeurs parfois volontairement abîmées et tracer ainsi leur parcours en Europe.

« D’une année à l’autre, les primo-arrivants ont presque doublé en passant de 456 en 2009 à 777 en 2010, alors que l’effectif de fonctionnaires est resté le même au service asile », s’offusque Jacqueline Leininger de l’ADA.

Malgré le changement de gouvernement, de majorité et de préfet en Isère, la file d’attente elle, est restée. Dans son Etat des lieux, la CFDA s’alarme des délais de traitement. « Pour une demande d’asile déposée en janvier dans l’Isère, le rendez-vous d’examen du dossier a été fixé au mois de septembre prochain », révèle Jean-François Dubost d’Amnesty International France.

 

Xénophobie dans la rue

Autre effet pervers de cette mesure, la concentration dans ces grandes agglomérations des situations de grande précarité, sans davantage de moyens, ni place d’hébergement supplémentaire. Stéphane Gemmani du Samu social, calcule :

« Nous sommes passés de 6500 à 14800 interventions par an lors de nos maraudes après la mise en place de ce dispositif. Et c’est sans compter sur la xénophobie qui peut exister dans la rue entre les demandeurs d’asile et les sans abris territoriaux. Ces derniers n’admettent pas que leur situation ne soit plus prioritaire face à des familles ou des femmes seules avec enfants ».

 

La régionalisation effritée

La possibilité d’un retour à la départementalisation des demandes d’asile n’est pas à exclure. En Bourgogne, un discret arrêté du ministère de l’Intérieur en ce sens a été publié au Journal Officiel le 25 janvier dernier pour une entrée en vigueur depuis le 1er février.

Reste à savoir s’il s’agit de l’amorce d’un démantèlement total de la régionalisation ou d’une simple expérimentation comme le prévoit la durée de six mois de l’arrêté.

En attendant, sur le parvis enneigé de la préfecture de Grenoble, la file d’attente est là. À 9 heures, les portes massives en bois se sont ouvertes. Yannick a pu entrer mais le marathon administratif ne fait que commencer pour lui. Après avoir réuni les documents nécessaires à sa demande d’asile. Il devrait savoir dans le courant de l’été si son cas correspond à l’alinéa 4 du préambule de la Constitution française : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ».

 

 

 

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