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Parloir en prison : « une bouffée d’oxygène courte et douloureuse »

En cette période où la distanciation sociale s’applique pour tous, les choses se compliquent en prison. Dans cette situation exceptionnelle, j’ai plus encore envie d’évoquer l’événement que l’on attend particuièrement en prison : le parloir. Je connais les deux faces de ces moments plus que particuliers puisque j’ai eu l’occasion d’être d’un coté de la table puis de l’autre, visiteuse et visitée.

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Photo d’illustration : pénitencier de Kingston au Canada-CC Larry Farr/Unsplash

Le parloir, c’est une bulle d’évasion dans un lieu anormal. En quoi consiste-t-il ? Vous en connaissez, je suppose, les grandes lignes. Il s’agit du lieu, qui, au sein de la prison permet à nos proches de nous voir un moment.

Pour être autorisés à nous rendre visite, les proches doivent solliciter un permis auprès du juge d’instruction, puis la direction la prison concernée doit donner son autorisation.

Ce permis de visite peut être très difficile à obtenir, le juge d’instruction s’entête parfois à refuser ce droit pendant des mois voire des années lorsque la détention provisoire s’éternise. J’ai eu connaissance de refus en raison d’un casier judiciaire pourtant mince et de faits commis il y a de nombreuses années, comme si cela faisait obligatoirement du visiteur un danger pour la prison.

« Pour l’intimité, on repassera »

Une fois le précieux sésame obtenu et passée la joie de pouvoir enfin rendre visite à son proche, le visiteur apprend que de nombreuses régles sont à respecter. Chaque prison a les siennes et le visiteur doit s’y adapter.
Le temps de parloir varie selon l’établissement, 45 minutes pour certains, une heure pour une autre et même deux heures pour les plus « chanceux ». Pas forcément de raison à ces différences. C’est parfois dû au trop petit nombre de pièces prévu par rapport au nombre de détenus.

Il est parfois possible de bénéficier de deux ou trois parloirs par semaine, avec 3 ou 4 personnes au maximum. Dans les prisons anciennes, il n’y a pas forcément de pièce individuelle mais plutôt une salle commune ou des box de 4 m2 séparés par des paravents.

Pour l’intimité, on repassera. Le visiteur doit laisser hors des locaux pénitentiaires montre, téléphone portable et autre clé USB et se démunir de tout objet métallique (soutien-gorge à armature, par exemple, qui ferait sonner le portique, semblable à celui des aéroports).

Si l’on apporte à la personne détenue des objets autorisés (linge, vêtements, livres, magazines), ils doivent être placés dans un sac étiqueté au nom du destinataire. Ce sac sera remis à la personne détenue après avoir été examiné par les surveillants.

« Suspensions de permis de visite pour des personnes surprises à manger un pain au chocolat »

Quelles que soient les conditions, le parloir est pour moi, actuellement détenue, une bouffée d’oxygène, courte, nécessaire, mais aussi douloureuse.

Je pense qu’au fil des années, cela devient moins douloureux ou c’est peut-être que la douleur se fait plus silencieuse, devenue compagne fidèle.

Pour avoir vécu la situation de chaque coté de la table, je peux affirmer que c’est douloureux, d’un coté comme de l’autre, que l’on soit détenu ou famille. La différence, c’est que moi, après cette parenthèse, je retourne entre mes quatre murs, seule, loin de ceux que j’aime, loin de la vie, plus proche du gouffre que de la lumière.

Lors du parloir, je vis, dans le temps imparti, un concentré d’émotions, des moments où l’on pleure, où l’on rit, on s’aime, on se dispute.

La pièce est sans fenêtre avec une porte vitrée. Le passage régulier des surveillants me rappellent où je suis, dans cette pièce exiguë de 5 mètres carrés violemment éclairée d’un néon, avec des murs aux couleurs criardes et pour unique mobilier une table et des chaises métalliques.

Photo d’illustration : pénitencier de Kingston au Canada-CC Larry Farr/Unsplash
Photo d’illustration : pénitencier de Kingston au Canada-CC Larry Farr/Unsplash

« Parloir toujours trop court, toujours frustrant »

Impossible de partager un gâteau, un café, une boisson, même avec les enfants. La nourriture et les boissons autre que les bouteilles d’eau sont interdites.

Les suspensions de permis de visite pour des personnes surprises à manger un pain au chocolat sont monnaie courante.

Les moments d’intimité sont proscrits, et là aussi, on encourt la suspension. Le sexe et tout ce qui s’y rapporte est sujet tabou. Parce que je suis en détention, ma vie sexuelle doit s’arrêter, mes envies doivent disparaitre, plus encore parce que je suis une femme. Cela fait probablement partie de la condamnation.

Comme pour les assurances, c’est sans doute en tout petits caractères en bas de notre fiche pénale ?

Le parloir permet de garder un lien et lorsque les gens continuent à venir me voir au fil des années, je juge de la qualité exceptionnelle de la relation qui nous lie. Parloir toujours trop court, toujours frustrant, et tout cela plus accentué encore, par l’impossibilité de se toucher, de s’embrasser : masque et plexiglas font désormais partie de mon quotidien.

La prison, je la fais seule, je la vis seule, mais il ne faut pas oublier le deuxième cercle, ceux qui quittent le parloir en me laissant ici. Je sais qu’en repartant la personne laisse entre ces murs, une partie d’elle-même, incarcérée avec la personne aimée.


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