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20/03/2024 date de fin
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Après son congé parental, un pilote débarqué par l’armée de l’air

Antoine, capitaine de l’armée de l’air officiant sur la base aérienne de Lyon-Mont-Verdun, bataille depuis cinq ans pour retrouver le droit de piloter un avion et le corps navigant dont il a été radié, à son retour de congé parental.

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"Base aérienne 942 Lyon-Mont-verdun", photo CC - Marcos Quinones, 1er octobre 2002, collections BML

Il ne lâchera pas. Antoine, dont on taira le nom à sa demande mais qui sera aisément repérable par ses pairs, n’a qu’un but aujourd’hui : reprendre les manettes d’un avion. C’est un privilège pour lequel il a orienté toute sa formation depuis son plus jeune âge. Radié en 2011 du corps navigant qu’il avait intégré en 1999, ce capitaine de l’armée de l’air a demandé au tribunal administratif de Lyon d’annuler une décision qu’il estime injuste.

Sa requête a été rejetée par la justice en 2014 ; Antoine attend maintenant avec impatience voire fébrilité la décision de la cour administrative d’appel qui audiencera son dossier ce mardi 13 septembre.

C’est un officier qui a cheminé longtemps sans faux pas. Fils de militaire, lui-même est passé du lycée de Saint-Cyr, à Versailles, à une classe préparatoire maths et physique à Henri IV, à Paris. Il est entré major à l’École de l’Air qu’il préfère alors aux grandes écoles, Les Mines ou Les Ponts, poursuivant un “rêve de gosse”.

C’est ce qu’on appelle “la voie royale”, celle qu’il a empruntée pour être un jour aux commandes d’un avion de film.

Antoine est affecté à la base aérienne d’Orléans-Bricy en 2005, en qualité de pilote de transport sur Hercules C-130. Il sera envoyé en mission et effectuera alors des opérations de fret, au Gabon, au Tchad et en Afghanistan, en République centrafricaine…

Quand son épouse, Vanessa (le prénom a été changé), se retrouve fraîchement diplômée de l’école nationale de la magistrature, elle n’obtient pas de poste à Orléans, aussi son choix se porte-t-il sur Ajaccio pour premier point de chute. Détail contextuel, elle est enceinte. Le couple prend alors la décision qu’Antoine utiliserait son droit au congé parental, afin de ne pas être séparé et d’accueillir dans de bonnes conditions son premier enfant.

Petite photo d’un bonheur familial sur l’Île de beauté, de novembre 2008 et à l’été 2011. Antoine reçoit, quelques semaines avant sa reprise professionnelle prévue en novembre de cette année-là, l’annonce de sa radiation brutale du corps navigant et l’adresse de sa nouvelle affectation, au quartier Général-Frère de Lyon. Ce n’est pas une base aérienne. Ce scientifique de l’aéronautique devient alors officier des bases avec, pour spécialité, “communication et relations internationales”. De quoi l’asseoir au sol, à tous points de vue.

Le couple ne le sait pas encore à ce moment, imaginant pouvoir faire réparer par le biais des instances militaires internes ce qui lui semble être une erreur, mais il entre en fait dans un tourbillon cauchemardesque.

“Une discrimination en raison d’un choix familial”

"Base aérienne 942 Lyon-Mont-verdun", photo CC - Marcos Quinones, 1er octobre 2002, collections BML
« Base aérienne 942 Lyon-Mont-verdun », photo CC – Marcos Quinones, 1er octobre 2002, collections BML

Pourquoi Antoine a-t-il été sorti sans plus de formes du corps des personnels navigants ? L’arrêté de radiation invoque un décret datant de 1929, indiquant que les pilotes ont une obligation d’évaluation pour une période de deux années consécutives, via des épreuves aériennes annuelles. Ce qu’Antoine n’a pas effectué, n’étant pas en activité pendant un congé parental qui a duré près de trois ans.

C’est donc ce que le Ministère de la Défense, qui n’a pas répondu aux sollicitations de Rue89Lyon, expose dans son argumentation faite devant la justice. Le tribunal administratif de Lyon, convaincu, écrit qu’Antoine aurait été prévenu par sa hiérarchie qu’un congé parental pourrait présenter “des risques de caractère statutaire”.

Sylvie Mazardo, avocate d’Antoine, oppose :

“Ce n’est pas ce qui s’est passé. Antoine a été oralement averti par son supérieur que la prise d’un congé parental ne serait pas, je cite, “sans conséquence”. On ne lui a jamais invoqué ce décret de 1929 et encore moins ces épreuves aériennes obligatoires”.

Et pour cause, tout au long de sa carrière de pilote, Antoine ne les a jamais réalisées pas plus qu’il n’a même entendu parlé d’elles. Ni lui, ni aucun autre pilote de sa connaissance. Pas si cruciales, donc ?

Il s’agit d’un décret datant de près d’un siècle, devenu une obligation non remplie, tombée dans une forme de désuétude. Sylvie Mazardo, avocate d’Antoine, est catégorique :

“Ce n’est qu’un prétexte pour justifier une discrimination faite en raison d’un choix familial”.

Lorsqu’Antoine annonce sa volonté de prendre un congé parental, il note une véritable hostilité de la part de son supérieur hiérarchique. Celui-là même qui, devenu entre temps colonel en charge des affectations des pilotes de transport au sein de la Direction des ressources humaines de l’armée de l’air, est amené à étudier la réintégration du pilote dans le corps des officiers de l’air.

À l’époque où il avertit Antoine que son évolution dans l’armée de l’air serait remis en cause par un tel choix de vie, cela résonne davantage comme une menace lancée par mépris que comme une véritable mise en garde professionnelle.

Vanessa et Antoine avaient pris soin de lire, “et de relire”, l’article concernant le congé parental inscrit dans le Code de la défense.

Pendant son congé parental, Antoine va jusqu’à même réaliser, à ses frais, des heures de vol dans l’aviation civile, afin de s’exercer. Insuffisantes et inappropriées pour “satisfaire aux conditions d’entraînement militaire”, selon le Ministère de la Défense.

La raison de la sécurité ainsi présentée, par le biais d’un décret ancien concrètement inappliqué, a fait mouche lors de l’audience de première instance.

Le “congé parental pour tous”, ou presque

Sylvie Mazardo porte elle aussi le dossier depuis cinq ans et n’a pas plus envie de lâcher :

“Le Code de la défense donne le droit au congé parental. L’Armée doit prendre les dispositions nécessaires pour que cette possibilité ne soit pas niée aux pilotes, en leur permettant de maintenir un entretien des compétences, en organisant les modalités.”

Mais cela ne semble pas être le sens de l’évolution de la norme. En juillet 2014, alors que l’affaire d’Antoine est pendante devant la cour d’appel, l’article du Code de la défense concernant le congé parental a subi une légère modification, passant de :

“A l’expiration de son congé, [le militaire] est réintégré de plein droit, au besoin en surnombre, dans son corps d’origine”,

à :

“A l’expiration de son congé, le militaire est réintégré de plein droit, au besoin en surnombre, dans son corps d’origine ou dans le grade ou l’emploi de détachement antérieur”.

Comme s’il avait fallu éclaircir la question qu’Antoine a posée en saisissant la justice et en ne renonçant pas à sa possibilité de voler.

Cette précision apportée en juillet 2014 au Code de la défense arrive comme un petit grain de poussière, un de plus sur la couche qui recouvre l’image peu moderne de l’Armée.

En incluant la possibilité de rétrograder un militaire, l’administration militaire court à l’opposé d’un propos de plus en plus prégnant et porté justement au cours de cette année 2014 par plusieurs députés qui encouragent les hommes à prendre un congé parental, dans le cadre du projet de loi sur l’égalité hommes-femmes.

Au sortir de l’avion, la chute libre

Débarqué à l’automne 2011 au quartier général frères, dans le 8è arrondissement de Lyon, le nouveau “chargé de communication” Antoine ne fait en réalité que distribuer le courrier. Rien de plus.

Un an plus tard, il est finalement envoyé sur la base aérienne du Mont Verdun, toujours dans cette section “relations internationales et communication”, vissé au sol. Il s’y trouve toujours et réalise dans les faits un travail de contrôleur aérien -ce qui lui convient mieux que la distribution de courrier ou la mission fantôme de chargé de communication.

Mais Antoine ne vole pas.

Au regard de son parcours de formation et de ses premières appréciations (de “très bon pilote” il est passé à “bon pilote” après l’annonce de son congé parental), sa situation est difficilement lisible pour son entourage. Ses collègues de promo sont passés il y a longtemps déjà au grade de commandant et de lieutenant-colonel.

Antoine stagne à celui de “capitaine” et sa fiche professionnelle est certainement marquée de tampons rouge vif. Ce n’est de loin pas ce qui le gêne, le militaire a souvent et peut-être même un peu trop claironné qu’il n’avait pas une envie chevillée au corps de “faire carrière”. Il ne pensait pas être pris au mot à ce point.

Au sein des personnels de la base, certains savent et d’autres non ce qui a brisé cette trajectoire si parfaite.
Ceux de la partie qui connaissent son CV et le voient ainsi stoppé tout net dans son élan, se disent qu’“il a sans doute dû faire une connerie”. Mais personne ne pose de question ou ne cherche à en savoir davantage, le sujet “Antoine” est éventuellement tabou ou carrément inexistant. Ici, les choses ne s’ébruitent pas, pas plus qu’on ne s’épanche.

Voler un jour de nouveau ?

Antoine et Vanessa ont deux enfants et la famille vit à Villefranche-sur-Saône, à une trentaine de kilomètres de Lyon.

La jeune femme, qui a elle-même été autrefois commissaire au sein de l’armée de l’air, a avancé dans son parcours de magistrate, installée au début de ce mois de septembre dans ses fonctions de vice-présidente, dans un tribunal de la région. Le temps a passé, mais la culpabilité semble la ronger toujours. Elle refait le film en essayant de comprendre où ils ont failli, à quel moment les choses auraient pu être différentes.

Vanessa ne se défait pas de l’impression d’être responsable de ce qu’ils n’auraient jamais imaginé devoir mener, c’est à dire un combat juridique contre l’ “Institution”. Ils continuent d’ailleurs à parler d’elle avec un respect ancré, malgré le sentiment d’injustice et les moments de désespoir qui les traversent depuis cinq ans.

Antoine n’espère qu’une chose, retrouver le corps navigant et rejoindre une unité, lui permettant de voler de nouveau. Il estime pouvoir retrouver toutes ses compétences en recourant à une formation. Piloter lui importe plus que le reste, plus qu’une évolution de carrière certainement stoppée net quant à elle.

Et Vanessa, bien plus que lui, ne peut imaginer que les cartes soient ainsi définitivement distribuées.

 

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