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29/03/2024 date de fin
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Avec « LISA », Pôle emploi crée un fichier légal des chômeurs agressifs

Droit de suite / En novembre 2012, nous révélions l’existence au sein des services de Pôle emploi d’un fichage des chômeurs considérés comme agressifs, à travers la collecte des « fiches incidents clients ». Cette constitution de fait d’un fichier n’avait pas fait l’objet d’une quelconque déclaration, pourtant obligatoire, auprès de la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés).

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L'agence Pôle emploi du cours Albert Thomas à Lyon 8ème. ©LB/Rue89Lyon

Trois ans et demi après, la direction de Pôle emploi vient de légaliser cette démarche en obtenant une autorisation de cette même CNIL.

Dans une délibération datée du 7 avril 2016, elle autorise la création d’un fichier nommé « LISA » :

La délibération autorise « Pôle emploi à mettre en œuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel ayant pour finalité la gestion des incivilités et des agressions survenues à l’encontre de son personnel ».

 

Un fichier centralisé

Ce fichage met en place une centralisation du repérage des chômeurs considérés comme indésirables.

Auparavant, un fichier était constitué de fait au niveau des directions régionales comme nous le montrions dans notre article, puisque les agents envoyés des fiches à la direction régionale qui jurait (même si ce n’était pas le cas) qu’elle anonymait les fiches.

Aujourd’hui, avec « LISA », Pôle emploi dispose donc à sa demande, d’un fichier centralisé légal.


De « Insulte/raillerie » à « Menace de mort »

« LISA » reprend le spectre très large des chômeurs qui peuvent se faire ficher.

Jusque là, à chaque problème, l’agent devait remplir une « fiche incident client » (déclinaison Rhône-Alpes du Logiciel de Gestion du Risque – LGR) et l’envoyer à la direction régionale.

La nature de l’incident était à cocher. Il pouvait aller de « Insulte/raillerie » à « Agression physique », en passant par « Menace de mort ».

Avec « LISA », la CNIL expose que les chômeurs peuvent être fichés pour « des incivilités et agressions » qui peuvent prendre la forme « d’agressions verbales, comportementales ou physiques, et intervenir sur leurs lieux de travail ou à l’occasion d’activités privées durant lesquelles un agent de Pôle emploi se retrouve en contact avec un usager mécontent ».

L'agence Pôle emploi du cours Albert Thomas à Lyon 8ème. ©LB/Rue89Lyon
L’agence Pôle emploi du cours Albert Thomas à Lyon 8ème. ©LB/Rue89Lyon


Des interdictions d’agence Pôle emploi prononcées

La finalité du fichier est toujours la « gestion des incivilités et des agressions », ce qui suppose l’enregistrement des faits et des suites données par la direction régionale.

Les mesures prises par Pôle emploi sont fonction de « la gravité du comportement litigieux », conformément à l’instruction Pôle Emploi n° 2015-57 du 18 novembre 2015 ».

Trois niveaux de réponses correspondant à trois types de courriers peuvent être adressés par le Directeur régional aux usagers mis en cause :

  • « Le premier niveau de réponse intervient en cas de propos discourtois, insultants ou diffamatoires, de menaces ou de comportement agressif et constitue un simple rappel à l’ordre sur les devoirs de chacun, et en particulier sur le nécessaire respect des conseillers de Pôle emploi, assorti d’une mise en garde sur les suites possibles en cas de réitération (dépôt de plainte et suspension de l’accès aux agences de Pôle emploi) ».
  • « Le deuxième degré de réponse intervient en cas de propos discourtois, insultants ou diffamatoires, de menaces ou de comportement agressif justifiant le dépôt d’une plainte, ainsi qu’une exclusion temporaire des agences de Pôle emploi pour une période allant de trois à cinq jours. A la différence du premier niveau de réponse, le dépôt d’une plainte est dans ce cas rendu nécessaire par la gravité du comportement ».
  • « Dans les hypothèses les plus graves, c’est-à-dire en cas d’agressions ou de dégradations, le Directeur régional adresse un courrier à l’usager en cause pour l’informer qu’une plainte a été déposée à son encontre et que l’accès aux agences de Pôle emploi lui est interdit pour une durée allant de dix à quinze jours ».

Des chômeurs « vont se retrouver fichés car les agents n’en peuvent plus »

La sanction est décidée sans prise de rendez-vous avec le chômeur. Le courrier reçu par le demandeur d’emploi doit seulement mentionner la possibilité d’exercer un recours contre la décision (recours gracieux ou recours pour excès de pouvoir devant le Tribunal administratif).

Rose-Marie Péchallat du site recours-radiation se montre inquiète :

« Comme pour le précédent fichage, cette procédure n’intègre pas le principe du contradictoire. C’est un vrai problème. Nous avons déjà été contactés par des personnes qui ont été fichés et interdits d’agence. Or nous nous sommes rendus compte qu’il n’y avait rien dans le dossier. Dans les trois affaires que nous avons suivies, toutes les plaintes de Pôle emploi ont été classées sans suite ».

Et d’ajouter :

« Les gens sont tellement à cran, en colère, qu’ils vont se retrouver fichés car les agents n’en peuvent plus. C’est un problème de conditions de travail ».

Mais la sanction prise par Pôle emploi, comme le relève la CNIL, ne peut pas avoir pour conséquence de priver les chômeurs de leurs indemnisations ou de « la possibilité d’accéder aux autres services offerts par Pôle emploi » (téléphone ou par Internet).


Des données conservées trois ans

« LISA » regroupe des données des chômeurs et des agents de Pôle emploi :
• « l’identité des agents concernés : nom, prénom(s), poste, entité (agence de Pôle emploi concernée) »
• « l’identité de l’auteur d’un comportement litigieux : nom et prénom(s), adresse, identifiant Pôle Emploi, situation professionnelle »
• « les incivilités et aux agressions commises par les usagers de Pôle emploi : exposés objectifs des faits »
• « les suites données à un comportement litigieux : date, nature, descriptif et accompagnement proposé à l’agent victime ; mesures prises à l’encontre de l’auteur de l’incivilité ou de l’agression ».

Même si les faits contenus dans le fichier « LISA » peuvent se rapporter à une infraction pénale, la CNIL considère que cette collecte de données pouvant se rapporter à des infractions pénales est « légitime et conforme » aux dispositions de l’article 9 de la loi du 6 janvier 1978.

La CNIL estime notamment que ce n’est pas « excessif » de collecter et de conserver ces données.
Les données sont ainsi conservées pour « une durée maximale de trois ans ».

La CNIL va dans le sens de Pôle emploi qui souhaitait conserver ces données le plus longtemps possible pour « permettre un traitement différencié lors d’une éventuelle réitération des faits ».

Idem, la CNIL valide la liste des personnes qui peuvent accéder au fichier « LISA ». En l’occurrence, cette liste de « membres habilités » est constituée d’agents en charge de la sécurité et/ou des conditions de travail.


« Les demandeurs d’emploi vont être informés »

Nous avons contacté ce mercredi la direction régionale Auvergne Rhône-Alpes. Une porte-parole nous a assuré que l’information en interne auprès des agents « a été faite ».

Mais lorsque nous sommes allés à la rencontre quelques employés dans deux agences de Pôle emploi, aucun n’avait été mis au courant de la création de ce nouveau système informatique « LISA ».

Contactés sur le sujet, trois syndicalistes de Pôle emploi n’étaient pas plus au parfum. Or, comme le précise la délibération de la CNIL, les agents comme les chômeurs doivent être informés :

« Les personnes concernées par le traitement « LISA » sont informées par une mention sur le site internet de Pôle emploi et les courriers adressés aux usagers, un affichage dans les agences de Pôle emploi à destination des usagers, ainsi que par des documents et des notes de présentation expliquant le dispositif aux agents de Pôle emploi ».

La direction régionale affirme que l’affichage dans les agences et la mention sur le site Internet de Pôle emploi est « en cours » et que les « demandeurs d’emploi vont être informés ». A voir.

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