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« La différence entre bière industrielle et artisanale ? Une histoire de savoir-faire pour le consommateur »

Ils forment un duo d’experts à la manoeuvre pour la programmation aux oignons de la première édition du Lyon Bière Festival, co-organisé avec Rue89Lyon. Nicolas Dumortier et Michel Masurel, hauts-savoyards de leur état, ont fait le pari de dédier leur temps à ce monde merveilleux, mousseux et étonnant qu’est celui de la bière. Artisanale, s’il vous plait.

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« La différence entre bière industrielle et artisanale ? Une histoire de savoir-faire pour le consommateur »

bieronomy
Nicolas Dumortier et Michel Masurel de Bieronomy.

Dans cet univers naviguent des geeks relativement obsédés, des clubs de moins en moins artistocratiques, des restaurateurs curieux et un duo, donc, qui s’est baptisé Bieronomy.

Nicolas Dumortier, prof de maths, a été initié à ses multiples possibilités il y a quelques années, dans les bonnes tavernes du nord de la France. Et notamment au mythique bar La Capsule à Lille. Puis il rencontre en 2010 Michael Novo, l’un des jeunes brasseurs (Mont Salève) les plus en vue du pays, que nous avons déjà accueilli avec un plaisir non dissimulé à deux reprises au salon des vins naturels Rue89 Lyon.

Il y a deux ans, il lance avec Michel Masurel une véritable structure de dégustation et une cave à vins. Ce dernier a été DJ techno dans une autre vie, avant de monter une boîte de communication. Amateur de whisky et de vin, Michel a rencontré un jour béni la bière artisanale pour finalement lui dédier tout son temps, convaincu par elle.

Tous les deux parcourent désormais une bonne partie de la région pour proposer des dégustations intelligentes, pour amener un public de plus en plus large vers des produits propres, nobles, des savoir-faire et une économie alternative qu’ils ont envie de défendre.

Là aussi, la consommation peut être différente et raisonnée. Ils nous en parlent avec ferveur ; ils nous donnent non seulement soif mais aussi à réfléchir.

« La bière semblait jusque là réservée aux supporters de foot et aux soirées pizzas »

Rue89Lyon : A quoi doit-on cet engouement pour la bière ? Qu-’est-ce qui a marqué le virage ?

Nicolas Dumortier : Depuis 10 ans s’opère un virage important dans l’histoire de la bière en France. C’est notamment quand elle a commencé à s’inviter à table, pendant le repas, qu’on l’a regardée différemment. Elle était jusqu’à il y a peu plutôt réservée aux supporters de foot, à des soirées entre amis autour d’une pizza. Et avant tout à des industriels.

Mais des brasseries artisanales des Etats-Unis ou du Québec, ou encore d’Angleterre qui grossissent décident d’envoyer de la bière en France notamment : certains bars à bière précurseurs font découvrir ces bières et autour d’eux gravitent des curieux, des amateurs. Je pense que 2005-2006, c’est le début de ce mouvement, ça commence à remuer.

Aujourd’hui on parle vraiment de révolution brassicole pour la France, mais il faut savoir qu’elle avait déjà eu lieu bien avant aux Etats-Unis.

Avant la 1ère guerre mondiale, en France, il y avait dans chaque village ou ville une brasserie. Puis arrive la révolution industrielle, on se retrouve fin des années 70 avec un nombre très réduit de brasseries. Dans les années 90, certains ont voulu renouer avec la tradition et ont transformé des lieux au coeur des villes en brasserie.

C’est le cas de Daniel Thiriez ou de la Brasserie du Pays Flamand, qui seront d’ailleurs au festival.

L’engouement s’est traduit par un bouleversement des habitudes de consommation : on a délaissé peu à peu les packs de bières, pour se tourner vers des caves spécialisées, où l’on achète de la bière en plus petite quantité. Elles ont du sens, elles ont du goût ; elles sont brassées avec de la matière première noble, sans additif, sans colorant, sans conservateurs, parfois biologiques.

« Beaucoup de bières sont bios ds l’univers artisanal, même s’il n’y a pas systématiquement de certification »

Michel Masurel : On parle là d’une évolution de l’offre mais je pense aussi qu’il y a une évolution de la demande : il s’est passé quelque chose de très proche de ce qu’a connu le vin. Autrefois les gens buvaient du vin de table sans distinction, en tout cas sans vraiment le regarder et elle a fini par bénéficier d’une valorisation liée à celle des produits et du travail.

Le whisky a suivi la même évolution, dans les années 1990-2000, on s’est éloigné de ce qui était servi dans les boîtes de nuit pour aller vers de beaux produits. Il y a une notion de valeur, de développement durable, de circuits courts, parfois aussi de bio. Il faut le dire, beaucoup de bières sont bios ds l’univers artisanal, même s’il n’y a pas systématiquement de certification bio, la démarche est souvent propre.

Nicolas : Le malt, les céréales, les levures parfois aussi peuvent être bio. De nombreuses brasseries du festival travaillent ainsi : c’est le cas par exemple de la brasserie Dulion qui brasse avec des céréales non maltées provenant de champs locaux tout comme le houblon qui est cultivé dans le Beaujolais. Ou le cas de la brasserie du Mont-Popey qui utilise du malt biologique de la coopérative ardéchoise des Malteurs Échos.

Michel : C’est dans nos régions que la tradition familiale de la brasserie est la moins importante, alors qu’en Belgique, par exemple, la brasserie Dupont en est à sa quatrième génération de brasseurs.

Par ici, on voit beaucoup de gens qui arrivent d’horizons très éloignés de la bière, on retrouve des ingénieurs comme Michael Novo (brasserie du Mont Salève). Ce sont des gens qui avaient un tout autre travail et qui ont décidé de tout changer, par passion.

Mickaël Novo dans sa brasserie du Mont Salève. Crédit : Frédéric Bekaert
Mickaël Novo dans sa brasserie du Mont Salève. Crédit : Frédéric Bekaert.

« Le travail des brasseurs est très physique et les volumes ne sont pas toujours très importants »

Les micro-brasseries poussent partout en France et notamment en région Auvergne Rhône-Alpes. S’agit-il d’un eldorado économique ?

Nicolas : Non, pas du tout. Ce sont avant tout de toutes petites structures. Il s’agit souvent d’un seul brasseur, de temps à autres avec quelques salariés. Ce sont des personnes qui bossent 70 heures par semaine, leur travail est très physique et les volumes ne sont pas toujours très importants.

Ce ne sont pas des brasseurs qui vont proposer à la vente des milliers d’hectolitres, avec de gros distributeurs derrière eux qui vont acheter des terrasses, des emplacements et offrir des bières.

Beaucoup de ces gens brassaient dans leur cuisine ou leur salle de bain avant de se décider à passer le cap.

Michel : C’est pour eux un pari sur l’avenir : on est pas loin de la start-up d’il y a 15 ans. Moi j’ai tout lâché, ce n’est pas pour rien non plus : on a envie de les promouvoir. On n’a pas la prétention de brasser nous-mêmes en revanche, on laisse ça aux artistes.

« La bière industrielle essaie de repositionner comme un met gastronomique alors qu’elle est bourrée d’additifs »

Les grosses enseignes de bière doivent-elles trembler ?

Nicolas : Oui car les tendances s’inversent depuis quelques années. Pour combattre, la bière industrielle se lance d’ailleurs dans un marketing nouveau : elle se repositionne dans les campagnes publicitaires pour se présenter elle aussi comme un met gastronomique. Certaines ont massivement communiqué sur les accords mets et bières, alors qu’elles sont bourrées d’additifs et de tout ce que vous voulez.

On est bien loin de l’artisan qui fabrique entre 600 et 800 hectolitres -pour la plupart des brasseries présentes sur le festival.
Les bières industrielles, c’est plutôt des centaines de milliers d’hectolitres par an : on n’est pas sur les mêmes échelles de production. Ils réfléchissent à de nouvelles recettes comme certaines bières d’inspiration anglo-saxonne qui ont fait leur apparition récemment dans les rayons des grandes surfaces, ou des bières de type lambic ou gueuze.

Aux Etats-Unis, les grands groupes se mettent à racheter les brasseries artisanales (même si là-bas, les dites brasseries artisanales peuvent être déjà très grosses). Ils rachètent même les distributeurs pour pouvoir tout contrôler.

« Deux choses sont difficiles pour le développement de la bière artisanale : le pouvoir des industriels et la frilosité des banques »

Qu’est-ce qui distingue vraiment la bière artisanale de la bière industrielle en dehors des quantités fabriquées ?

Nicolas : Cela dépend des pays, il y a différentes définitions. En tout cas pour nous, la bière artisanale doit être brassée dans les règles de l’art avec des produits nobles. En règle générale, une brasserie artisanale en France va brasser entre 150 et 10 000 hectolitres par an.

Les industriels sont dans une autre démarche. Mais des consommateurs et des brasseurs s’unissent pour faire savoir qu’il serait peut-être bien de proposer dans chaque bar au moins une tireuse consacrée à de la bière artisanale locale, car ce n’est pas le cas aujourd’hui : beaucoup de bars ne veulent pas les prendre car ils ont un contrat d’exclusivité avec les industriels, qui leur achètent le matériel.

Ils leur offrent des fûts pour des soirées spéciales, on leur donne le mobilier, pour équiper les terrasses… C’est difficile de ne pas céder.

Les industriels ont la même démarche auprès des chefs dont certains étoilés, ils leur proposent des cachets pour qu’ils fassent une recette.

Deux choses sont difficiles pour la bière artisanale et son développement : le pouvoir des industriels et la frilosité des banques.
En France, on ne peut pas trop compter là-dessus pour s’agrandir, elles n’ont pas la même confiance que d’autres pays qui connaissent mieux ce secteur.

« Beaucoup de micro-brasseries utilisent le financement participatif »

Michel : Beaucoup de micro-brasseries utilisent le financement participatif pour leur lancement, pour financer une cuve, une partie d’un projet. Les plateformes de crowdfunding sont souvent dédiées à des univers, et dans la micro-brasserie c’est Miimosa.

La Brasserie des Vignes qui actuellement dessus pour pouvoir se développer. Elle est l’une des rares brasseries en France à proposer des bières acides qui demandent des procédés spécifiques et elles seront proposés au LBF d’ailleurs.

Cela a été le cas de la Brasserie de la Vallée du Giffre, aussi. Je pense qu’il va y avoir une croissance pour chacun. Michael Novo était seul il y a deux ans, ils sont trois maintenant.

« Les bières artisanales sont des produits vivants qui n’auront jamais le même goût »

Nicolas : L’industriel cherche à réduire au maximum les coups de fabrication, ce sont des bières qui sont relativement chères en plus. Ils cherchent à uniformiser le goût, à faire une recette reproductible un peu partout et tout le temps, quelle que soit la saison. Leurs bières sont fabriquées dans des usines, on ne peut plus vraiment appeler ça des brasseries. Les bières artisanales sont des produits vivants qui n’auront jamais le même goût.

Les industriels doivent ruser : au lieu de prendre du malt d’orge, ils utilisent du malt de riz ou de maïs, parfois d’autres céréales, et tout ça est écrit sur les étiquettes. Comme il y a moins de matière première, il y a moins de couleur, donc on va ajouter un peu de colorant. Ensuite ils vont mettre beaucoup de sucre, frcutose, glucose. Mais tout cela est écrit sur l’étiquette.

Quand on parle d’une bière au fruit, c’est avec du sirop de fruit, ce ne sont pas des bières traditionnelles de Bruxelles avec des macérations de cerises sauvages, oh non ! Là on a près de 300 grammes de fruits par litre.

Les fermes brasseries, par exemple, fabriquent elles-mêmes les produits dont elles ont besoin (quelques unes seront disponibles à la dégustation au festival). Pour certaines, le houblon vient de fermes coopératives françaises.

Cela se rapproche de la démarche du vin nature et ça va se développer de plus en plus.

« Cela ne viendrait à l’idée de personne de servir un vin dans un verre de soda, c’est malheureusement ce qui est fait avec la bière »

Crédit : Biéronomy.
Crédit : Biéronomy.

Comment déguste-t-on une bière (dans « les règles de l’art ») ?

Nicolas : Comme pour le vin, il y a un rituel de dégustation, quelques règles incontournables. D’abord tous les sens sont en éveil. Essentiel avant de porter le verre à son nez ou à sa bouche : observez la couleur du liquide, le chemin des bulles, la mousse. Et ensuite bien entendu le nez pour apprécier le bouquet de la bière, les arômes qui sont directement liés aux ingrédients (les céréales) et au type de fermentation (la levure, etc.).

Puis tout ce qu’on aura dans la bouche : à la différence du vin on ne recrache pas la bière. C’est une bonne boisson donc on la garde ! Mais sans rire, on ne préconise pas de la recracher, car il s’agit d’une boisson avec des bulles. Il y a plusieurs étapes, l’attaque, le milieu de bouche, la finale. Là on va pouvoir apprécier la totalité. Il n’y a pas forcément de rétro-olfaction, chacun développe généralement sa technique.

Nous on attache beaucoup d’importance au service de la bière et cela n’est pas très développé en France. Cela ne viendrait jamais à l’idée de personne de servir un vin dans un verre de soda, c’est malheureusement ce qu’on fait avec la bière.

Michel : Il faut un verre adapté, ou un verre à pied, à vin, qui se prête très bien à la dégustation d’une bière. Dans la région d’Annecy, on fait environ un atelier dégustation par semaine, il y a un véritable engouement.

Nicolas : Ce sont des personnes de tout âge (majeures, évidemment), dont le dénominateur commun est l’intérêt et même la passion pour les bonnes choses. Ce sont des gens qui aiment la bonne bouffe, le bon vin, le whisky. Des épicuriens. Et puis il y a des restaurateurs, des chefs, des meilleurs ouvriers de France, qui viennent pour apprendre…

« En France, il existe des formations courtes pour devenir brasseur »

Existe-t-il des formations pour être d’une part brasseur ?

Nicolas : Pour devenir brasseur en France, il est possible de suivre des formations courtes (lycée agricole de Douai par exemple) ou une formation continue diplômante et qualifiante (à l’Université de la Rochelle), suivant que vous êtes brasseur amateur ou bien seulement en passe de fonder une brasserie.

Des formations existent également sous forme de journées de formation ou stage au sein de brasseries. Il existe même des cours d’été dispensé au Musée Français de la Brasserie à Saint-Nicolas-de-Port.

En Belgique, l’institut catholique de Louvain propose un master complémentaire en génie brassicole. L’Institut Meurice à Bruxelles propose un Master en Biochimie avec une spécialisation dans le domaines des Industries biochimiques et brassicoles.

Et pour les biérologues ? Comment se former à la science de la bière ?

Nicolas : Pour les biérologues ou sommelier bière, il existe au Québec le collège francophone de l’Ontario. On y propose un programme de formation sur 30 semaines aboutissant à l’obtention d’un certificat d’études collégiales de Sommelier Bière (300 heures de formation dédiées à la bière !).

En Wallonie, la zythologie fait l’objet d’une formation professionnelle depuis 2012 (Institut wallon de Formation en Alternance et des Indépendants).

Le zythologue est le spécialiste de la bière dans son ensemble : expert en dégustation, capable de réaliser des expertises techniques pour le brassage de la bière et il incollable sur l’histoire des brasseries.

>> Le LYON BIÈRE FESTIVAL c’est samedi 23 et dimanche 24 avril 2016, à l’Embarcadère. Tarif : 7 euros + dégustation payante (1 euro les 10 centilitres). Nourriture sur place (food-truck et food-bike, bio et local). #LBF <<


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La cagnotte des repas suspendus du restaurant "Aux Bons Sauvages". Photo BE/Rue89Lyon
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