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La lente féminisation de l’agriculture en Auvergne-Rhône-Alpes

La Chambre régionale d’agriculture communique sur la féminisation du secteur. Mais il n’y a pas de quoi se glorifier. Le mouvement a démarré et se confirme mais reste lent, particulièrement dans l’ex-région Rhône-Alpes.

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La lente féminisation de l’agriculture en Auvergne-Rhône-Alpes

L’agriculture est encore largement dominée par les hommes et les disparités dans l’insertion ou la répartition des tâches persistent, selon une étude menée par la sociologue Sabrina Dahache sociologue à l’Université Toulouse 2 Jean-Jaurès, spécialiste des questions de genre notamment dans le monde agricole.

Elle présentait lundi 15 février les résultats de son étude à l’invitation de la Chambre d’agriculture Auvergne-Rhône-Alpes, dans le cadre du « mois de l’installation en agriculture ».

Inès de Rancourt sur son exploitation (3)
L’agricultrice de la Drôme, Inès de Rancourt avec ses chèvres. ©Cyril Crespeau, ass. Les Trompes d’Eustache.

1. De plus en plus de femmes exploitantes

Finie l’agricultrice cantonnée au rôle de « conjointe collaboratrice » de son mari ? Pour la sociologue Sabrina Dahache, la progression des femmes à la tête d’exploitations est une des « évolutions majeures » du secteur. Depuis le milieu des années 1970, le nombre d’exploitantes progresse.

Quand elles n’étaient que 8 % en 1975, elles représentent environ selon les chiffres de 2014, 24 % des exploitants agricoles en France et 32 % des actifs permanents agricoles. En revanche, la région Rhône-Alpes est en retrait avec environ « 20 % des chefs d’exploitations qui sont des femmes, souvent âgées parce qu’elles succèdent à leurs époux à la tête de l’exploitation », selon Gérald Gachet Adjoint au chef du service de l’économie agricole, agroalimentaire et des filières à la DRAAF Auvergne-Rhône-Alpes.

2. Une forte présence féminine dans l’installation

Mais les chiffres concernant les installations montrent une forte présence féminine. Selon la Chambre régionale d’Agriculture en 2014, les femmes ont représenté près de 43 % des installations (créations et reprises d’exploitations) en Rhône-Alpes et 41,5 % en Auvergne. Dans les deux régions, environ 70 % des nouveaux chefs d’exploitations (hommes et femmes) ont moins de 40 ans.

En Savoie et dans le Cantal, les femmes sont à l’origine de presque la moitié des installations avec respectivement 48 % et 47 %.

Les statuts juridiques se sont progressivement ouverts aux femmes à partir de 1985 et la possibilité pour un couple de constituer une EARL, jusqu’en 2010 où a été mis fin à l’interdiction toujours pour les couples de constituer un GAEC. Des mesures qui offrent une meilleure reconnaissance et légitimité aux femmes dans leurs démarches administratives.

En octobre dernier, plusieurs agricultrices sujets d’un documentaire sur leur condition réalisé par Pascale Monin, témoignaient de leur parcours. L’une d’entre elles, Inès 38 ans, évoquait son absence d’existence pour l’administration en tant qu’épouse d’agriculteur sans statut particulier.

C’est en tentant de s’inscrire à une formation qu’Inès s’en est aperçue :

« Je me suis rendue compte que moi je ne figure nulle part au niveau de la prise en charge des formations. Ce n’est pas mon numéro de sécurité sociale qui apparaît, mais celui de mon compagnon. Donc quelque part, pour l’administration, je n’existe pas… C’est vraiment frustrant ».

Une reconnaissance et un statut importants pour ces femmes notamment auprès des banques. Même si la situation reste largement différenciée par rapport aux hommes sur ce point. Pour Sabrina Dahache, trouver des terres et surtout obtenir des prêts bancaires reste difficile et complexe pour les femmes.

3. Dans l’enseignement agricole : plus de filles que de garçons

Le secteur demeure toujours majoritairement masculin mais le mouvement de féminisation se poursuit.

« Il faut noter qu’il s’inscrit dans une période de baisse démographique de la population agricole. Mais il est notable. Il passe notamment par l’enseignement agricole. Où aujourd’hui en France il y a davantage de filles que de garçon », indique Sabrina Dahache qui a consacré sa thèse sur le sujet.

Par ailleurs, les chiffres de l’enseignement agricole montrent également que les femmes n’écartent pas, ou plus, les filières de production. Ainsi, les femmes n’étaient que 9 % dans les filières de production en 1975 contre près de 40 % aujourd’hui.

4. La fin de la division traditionnelle des tâches entre hommes et femmes ?

Dans l’article que nous consacrions au documentaire de Pascale Monin sur les agricultrices, cette dernière livrait son ressenti sur une division des tâches encore marquée entre les sexes.

« C’est vrai qu’en moyenne, les femmes sont plus souvent sur l’accueil, la vente directe ou les transformations que la production ».

Pour Sabrina Dahache, la réalité serait plutôt à nuancer. Elle estime que « les différences entre hommes et femmes dans la répartition des tâches existent toujours mais se voient de moins en moins ».

Selon elle :

 « La segmentation sexuée traditionnelle qui demeure. Il y a toutefois un déplacement des femmes qui vont de plus en plus vers des domaines très investis par les hommes. Les femmes participent quasiment autant à la production qu’aux autres tâches. »

Pour Aline Cabaussel, jeune exploitante agricole à Montrottier (Rhône) au sein d’un GAEC de vaches à lait et d’arboriculture constitué avec son frère et un associé, venue témoigner de son expérience, la « mécanisation et la modernisation des outils de production » permettent une participation plus aisée aux tâches agricoles pour les femmes.

Elles demeurent toutefois moins présentes dans certaines filières comme l’élevage de bovins et se tournent davantage vers ceux des chevaux, lapins, volailles, caprins et élevage laitier.

Inès de Rancourt sur son exploitation.
L’agricultrice de la Drôme, Inès de Rancourt ©Cyril Crespeau, ass. Les Trompes d’Eustache.

5. Le « référentiel masculin » persiste

Malgré les évolutions techniques ou juridiques favorisant l’accès des femmes au secteur agricole, le « référentiel masculin » persiste.

« Certaines agricultrices, notamment celles qui ont créé leur exploitation sont surinvesties professionnellement. Mais la plupart des agricultrices régule leur temps par rapport à leurs tâches familiales. Elles sont du coup sur des unités de production en général plus petites que les hommes et sont toujours minoritaires parmi les élus dans la profession », explique la sociologue.

Une orientation masculine de la profession qui se retrouve pour certaines, comme Aurélia Etienne qui témoignait sur Rue89Lyon, dans l’ergonomie ou les caractéristiques du matériel et des tenues parfois peu adaptés aux femmes.

« Je ne trouve pas de caisses de moins de trente-cinq kilos, ce qui est vraiment lourd pour moi, ou de vêtements à ma taille. C’est plus facile de mettre la main sur des chaussons mauves que sur un bleu de travail pour les femmes », regrettait-elle.

Pour l’agricultrice Aline Cabaussel, il est toutefois « parfaitement compatible de conjuguer une vie de femme (sic) avec le métier d’agricultrice ».

Malgré des « concessions, l’organisation avec ses associés lui permet « d’avoir un week-end sur deux de libres ». Sans enfants actuellement contrairement à ses associés, leur mode de fonctionnement leur permet de « prendre du temps » pour la vie familiale, assure-t-elle.

6. Des parcours plus divers

Les parcours d’insertion des femmes dans le monde agricole montre, selon la sociologue Sabrina Dahache, une diversité des trajectoire, contrairement aux hommes qui sont davantage « fils d’agriculteurs ». Elle les regroupe toutefois en trois profils :

  • les entrées directes : des filles d’agriculteurs notamment, pour lesquelles la volonté de devenir agricultrice est précoce et l’installation planifiée après bien souvent un passage dans l’exploitation familiale. Ce sont « les plus courantes ».
  • les entrées après reconversion professionnelle
  • les installations après une expérience de salariée agricole ou de collaboratrices d’agriculteurs.

Les agricultrices exercent leur profession majoritairement dans des sociétés agricoles (GAEC, EARL, etc…) mais la sociologue note toutefois pour celles qui s’installent un choix prononcé vers un « exercice individuel, sans associé ni conjoint collaborateur ».

7. Les femmes apportent davantage de diversification aux exploitations

Sociologue comme la Chambre régionale de l’Agriculture constate de façon générale que les femmes apportent une « plus grande diversification » des exploitations. De ce point de vue, les agricultrices « impulsent des nouvelles dynamiques professionnelles ».

« On constate une plus grande diversification dans les exploitations menées par des femmes ou des couples d’agriculteurs que dans celles où il n’y a que l’agriculteur à sa tête », affirme Gilbert Guignand, président de la Chambre régionale d’agriculture d’Auvergne-Rhône-Alpes.

Pour la sociologue Sabrina Dahache :

« Les agricultrices notamment celles qui s’installent privilégient la diversification des orientations productives, s’orientent vers des activités de production différenciées en agroalimentaire. Elles développent parfois en parallèle de l’exploitation d’autres activités comme l’hébergement à travers des gîtes ruraux. »

8. Pas de mesures particulières pour les femmes décidant de s’installer

Le ministère de l’agriculture avait fait de l’année 2015 celle de l’installation. 2016 sera celle de la transmission d’exploitation. Durant ce mois de l’installation, la communication a ainsi été axée sur la féminisation du secteur.

Toutefois, aucune mesure particulière ne vient soutenir un mouvement décrit comme « en marche ».

« Il n’existe pas au niveau national des aides à l’installation des jeunes en direction particulièrement des femmes. En revanche au niveau européen, il existe un mécanisme de majoration dans le cas d’installation de femmes », indique Gérald Gachet.

Toutefois, l’évolution juridique et la possibilité pour les femmes en couple d’avoir également le statu de chef d’exploitation, permet de débloquer certaines aides notamment européennes. Auparavant versées au titre du chef d’exploitation, l’épouse peut désormais en être également bénéficiaire et ainsi déplafonner le montant de l’aide.

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