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Couvrir physiquement un conflit armé, l’exemple de Renaud Girard en Tchétchénie

Renaud Girard part en Tchétchénie en Décembre 2000, couvrir le conflit qui oppose l’armée Russe et les indépendantistes tchétchènes. Quinze ans plus tard, il nous livre un récit fort en rebondissements qui met en relief une méthode de travail.

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Couvrir physiquement un conflit armé, l’exemple de Renaud Girard en Tchétchénie

Par Marie Patureau, étudiante en journalisme à Sciences-Po Lyon
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Renaud Girard lit son journal sur la terrasse de son hôtel lyonnais ©Marie Patureau

Lors de notre rencontre sur la terrasse ensoleillée de son hôtel lyonnais, Renaud Girard nous a avoué :

« J’avais peur mais la curiosité l’emporta sur la peur ».

En 2000, peu de personne couvre le conflit tchétchène. Ses collègues en France et les correspondants à Moscou ne souhaitent pas couvrir physiquement cette guerre.

« J’ai pas envie de passer 3 ans attaché à un radiateur me disaient-ils ».

Là bas il y a déjà des journalistes français pris en otage. Il part sans fixeur, car personne ne veux le suivre, il souhaite tout de même être accompagné :

« je ne voulais pas être seul, j’avais peur » raconte t-il encore.

C’est tout le paradoxe des reporters de guerre. Ils reconnaissent une certaine folie ou insouciance dans leur démarche. Conscients des risques qu’ils encourent, ils finissent toujours, par partir couvrir les guerres.

Il rencontre le photographe du Figaro magazine, Olivier Jaubert qui deviendra son compagnon de voyage. Parler la langue du pays, est plus que souhaitable. C’est donc, avec un minimum de compréhension du russe, langue qu’il a étudié à l’école, qu’il entame sa mission.

Se renseigner

Il rencontre en amont Claire Mouradian, une spécialiste dans l’histoire et la géopolitique du Caucase. Cette dernière, déconseille fortement le reporter de mettre les pieds dans cette zone hostile, elle va jusqu’à prononcer « Vous êtes complètement fou, mais je connais quand même quelqu’un qui peut vous aider».

De contact en contact, il obtient le numéro de téléphone d’un type en Hollande, un clandestin proche des islamistes tchétchènes. L’homme, met alors en relation le reporter avec une filière de résistants tchétchènes qui l’amena par la suite clandestinement de la Géorgie à la Tchétchénie. C’est ainsi que Renaud Girard se rend en plein hiver dans la petite ville de Vedeno.

« La guerre c’est l’accélération de l’histoire, ça m’a toujours passionné. La guerre forge les nations et les peuples » explique t-il.

Alors couvrir les conflits, lui permet finalement d’être au centre de cette Histoire. Arrivé en Tchétchénie, il éprouve une réelle satisfaction « c’est un sentiment très fort que d’être avec les chefs de la rébellion ».

Il évoque la difficulté à Vedeno d’être aux cotés des résistants « parfois nous ne dormions pas, il fallait veiller jusqu’à l’aube. Les conditions sont hostiles en plein hiver, les températures frôlent les -20 °, les résistants avancent dans la forêt afin de se faire discrets ». Les scènes que Renaud Girard cherche sont celles de la guerre.

Expérience du terrain

Les tchétchènes attaquent un char russe – la riposte de l’armée russe est aussitôt immédiate. Dans un conflit armé, garder son sang froid est primordial, ce n’est pas son premier reportage « L’expérience du terrain est élémentaire » souligne-t-il humblement.

Le contexte dans lequel part Renaud Girard est exceptionnel. Sans fixeur et non protégé par l’armée, il ne peut compter que sur son expérience. Ce grand reporter de guerre souligne l’importance de faire son service militaire. Ancien lieutenant chasseur alpin à Saint-Cyr, il commande une section de trente hommes.

C’est pourquoi à Vedeno, pris entre deux assauts, il a été capable de rassurer Olivier :

« C’est du mortier il suffit de ne pas prendre les éclats, il faut se mettre dans un caniveau », raconte-t-il comme s’il revivait la scène.

Il y avait des choix stratégiques à faire sur le terrain.

Autonomie et débrouillardise

Cela fait 12 jours que Renaud Gérard est parti « J’avais ce qu’il me fallait pour écrire un article, on avait capturé la guerre en images ». A ce moment là, il sait qu’il détient son reportage.

Son papier fera la une du Figaro. Mais également BBC, CNN, France Info, car il n’y a pas d’autres journalistes sur place. Ce qu’il rapporte est unique.

Mais les choses sur le terrain ne se passent pas toujours comme on le souhaite. C’est ainsi que le journaliste en zone de conflit travaille dans l’imprévisibilité. Il faut alors être réactif et s’adapter à toute situation. Encerclé par l’armée russe cet hiver 2000, les journalistes ont deux possibilités : se rendre aux autorités russes ou s’enfuir.

Etre méthodique

Dans un instant de réflexion, Renaud Girard pressent que, s’il se rend aux soldats russes, il risque d’y passer avant même de pouvoir parler.

Premier réflexe, il appelle un collègue à Moscou.

« Toujours avoir avec soi des numéros de téléphone de personnes à contacter en cas d’urgence » souligne t-il.

Son contact lui conseil un itinéraire. Mais manque de chance, la gare ferroviaire la plus proche se trouve derrière la forêt, celle ci encerclé par l’armée russe.

« J’ai compris qu’il fallait que je me débrouille par moi même » marque-t-il.

Deuxième conseil, tout aussi important : faire en sorte de toujours avoir un peu d’argent sur soi. C’est ainsi qu’ils ont pu s’en sortir, en payant 1000 dollars un guide de montagne, solide et très expérimenté, ainsi qu’un porteur, capables de faire traverser les deux journalistes, la chaîne du Caucase.

« C’était marche ou crève »

A 3 500 mètres d’altitude, les quatre hommes, se retrouvent dans des conditions terribles. Ils effectueront 4 jours de marche, dans la neige, avec les loups aux trousses et les hélicoptères russes à leur recherche.

Exténués et ampoules au pied, ils arrivent en Géorgie. Renaud Girard reçoit sa première soupe chaude :

« Ce 1er janvier est le plus mémorable de ma vie, ça m’a fait pensé au film La grande illusion ».

Précautions

Renaud Girard est conscient que d’autres journalistes sont retenus en otage lorsqu’il part en Tchétchénie.

« Avant de partir je fais attention de m’entourer de personnes fiables, car si je me trompe, ça peut finir très mal ».

Lorsque je lui demande s’il s’est déjà trompé, il me répond en se touchant le front et regardant le ciel bleu :

« Si je m’étais trompé je ne sera pas là pour vous le raconter ».

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