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Un lieu de culte partagé par tous ? Bienvenue au Temple Universel de Kazan

Depuis 1994, un bâtiment hors-norme est venu s’ajouter au riche patrimoine culturel de Kazan, considérée comme la troisième capitale de la Russie. Sur les rives de la Volga, un « Temple Universel », projet du peintre-sculpteur monumentaliste Ildar Khanov, aujourd’hui décédé, tente de faire se réunir les grandes religions de notre monde.

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Un lieu de culte partagé par tous ? Bienvenue au Temple Universel de Kazan

Marie Pothin, étudiante en journalisme à Sciences-Po Lyon

Crédit : Сергей Миронов
Le « Temple Universel » de Kazan, sur les rives de la Volga en Russie.

 

Si le Kremlin de Kazan construit pendant la période musulmane de la Horde d’or , constitue la principale attraction de la ville, aussi connue pour son métro et la mosquée Koul Charif, le regard des touristes est aujourd’hui attiré par un bâtiment d’une vingtaine d’année à peine.

A première vue, une église orthodoxe au tracé fantaisiste, arborant de multiples tours. C’est au sommet de ces tours que le regard se fixe : c’est là que l’on peut voir se côtoyer des croix, des croissants de lune, des étoiles de David, ou encore des dômes chinois. Ici, les religions, croyances et mythologies passées se côtoient en un seul et même lieu.

« Tu te lèveras à l’aube, et tu te mettras à construire un temple universel. »

« L’idée n’est pas de fondre en une toutes les religions, qui ont chacune une histoire et une nécessité culturelle propre. Mon but est de les rassembler, de leur donner un lieu de rencontre et de communication. », confiait Ildar Khanov au Figaro en août 2012 entre deux chantiers.

L’idée lui serait venue au cours d’une nuit de l’année 1994, lorsque le Christ lui serait apparu et lui aurait parlé en ces termes : « Tu te lèveras à l’aube, tu prendras une pelle dans la remise, et tu te mettras à construire un temple universel. »

A cette époque, Ildar Khanov était un artiste désœuvré : après avoir étudié dans les années 1960 à l’Institut Sourikov, l’école d’Art de Moscou, il était rentré au Tatarstan et avait commencé à travailler, notamment à Naberejnye Tchelny, située à 225 kilomètres de Kazan, aujourd’hui remplie de sculptures et de fontaines du peintre-sculpteur monumentaliste.

Membre de l’Union des peintres d’URSS, Ildar Khanov vivait principalement des commandes faites par l’Etat et le Parti. Mais la chute progressive de l’URSS et la perestroïka de Gorbatchev l’ont pour ainsi dire mis sur la touche. Cette commande divine tombait alors à point nommé.

Un renvoi à l’Empire Ottoman et ses lieux de cultes partagés ?

On serait tenté de comparer ce lieu unique aux lieux de culte partagés qui existaient au sein de l’Empire Ottoman, largement étudiés par Karen Barkey, invitée du festival Mode d’Emploi à l’occasion du débat « Les lieux de la religion : tolérance religieuse et espace urbain » qui a lieu le 17 novembre à la Villa Gillet.

Au sein de cet Empire peuplé de juifs, chrétiens et musulmans, les lieux de cultes partagés entre les trois grandes religions étaient nombreux. Karen Barkey nous explique ainsi que :

« les sultans ne faisaient pas preuve de neutralité en ce qui concerne leur religion et la religion de l’empire, mais ils avaient choisi de protéger les autres religions ».

Karen Barkey poursuit :

« Nous trouvons des exemples de cette pensée dans les édits et les écrits des sultans. Le sultan Soliman le Magnifique (1520-1566) lorsqu’on lui a demandé, par exemple, si les Juifs devraient être exterminés de son empire, puisqu’ils en étaient les usuriers, a répondu en demandant à ses conseillers d’observer un vase de fleurs multicolores et de formes variées en les avertissant que chaque fleur, avec sa propre forme et sa propre couleur, ajoutait à la beauté de l’autre. Il a ensuite affirmé qu’il « régnait sur beaucoup de nations différentes . Chacune de ces nations contribuant à la richesse et à la réputation de son royaume, et afin de prolonger ce bienheureux contexte, il jugeait sage de continuer à tolérer ceux qui vivaient déjà ensemble sous son règne ».» (1)

Il faut cependant noter que le projet d’Ildar Khanov n’est pas de faire prier ensemble chrétiens juifs et musulmans : « Ce n’est pas un lieu de culte, mais de culture.», dit-il de son « Temple Universel» L’idée est plus de créer un centre œcuménique qu’un lieu de culte commun à toutes les croyances… Ou était. La mort de l’artiste a pour ainsi dire provoquée celle du projet.

 

Un projet figé dans le temps

Il faut dire que de son vivant, Ildar Khanov constituait une attraction à lui seul, sa présence et son aura attirant les touristes et les locaux dans son temple. Doté, selon ses dires, du pouvoir de guérison, il accueillait tous les jours jusqu’à 300 personnes venues se faire soigner, attirées par la rumeur qui circulait dans la ville. Mais cet afflux incessant n’est plus aujourd’hui.

Dans les guides touristiques, le temple est surtout présenté comme un atout touristique de plus pour la ville de Kazan, qui en compte déjà des dizaines. Sur le terrain, la réalité actuelle s’éloigne encore plus du projet de l’artiste.

Le bâtiment démesuré apparaît surtout comme une tâche de couleur au milieu d’un paysage de terrains vagues et d’habitations vétustes, peuplés essentiellement d’ouvriers et de chiens errants. Les touristes vont et viennent aux abords du temple, mais ne peuvent y entrer, l’intérieur étant figé dans des travaux qui ne se termineront probablement jamais.

Si le « Temple Universel » de Kazan ne deviendra sûrement jamais, comme le voulait son créateur, un centre œcuménique pour tous, il est tout de même porteur d’un beau message de tolérance, qui nous l’espérons, perdurera encore longtemps.

 

(1) Karen Barkey, « Ottomans, le règne de la différence », Sciences Humaines, Hors Série « Les Grands Dossiers » numéro 2, novembre-décembre 2013.


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