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Interdire les tests osseux : la bataille politique se mène à Lyon

Depuis 2012, les condamnations des jeunes immigrés pour fraude à l’aide sociale à l’enfance se multiplient, particulièrement à Lyon.

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Déplacement des quatre députés à Lyon sur la question des testes osseux. Ici, dans les locaux de la Ligue des Droits de l'Homme. De gauche à droite : Julien Lambert (avocat), Noël Mamère, Sergio Coronado, Barbara Romagnan, Fanélie Carrey-Conte. ©LB/Rue89Lyon

Ces migrants terminent en prison à la suite de tests osseux qui les définissent majeurs alors qu’ils se déclarent mineurs.

Fortement contestés, ces tests font l’objet d’un amendement déposé ce mercredi 18 novembre par des députés pour en interdire leur utilisation. Quatre de ces parlementaires étaient en visite à Lyon le 3.
> Nous republions notre article du 3 novembre dernier

Arrivées en avril dernier en France en provenance de la République Démocratique du Congo, Ruth et sa grande soeur Thérèse ont déclaré qu’elles étaient mineures. La première dit qu’elle a 15 ans et demi et la seconde 17 ans et demi. A l’appui de leurs dires, deux attestations de naissance.
En tant que mineures, elles ont immédiatement été placées sous la protection de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et prises en charge par une association agréée. Mais parallèlement, une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Lyon pour « déterminer leur âge ».

Convoquée en septembre dernier par la PAF (police aux frontières), Ruth a subi des tests osseux qui ont fixé « un âge moyen de 30 ans et un âge minimum de 26 ans ». Présentée en comparution immédiate, elle a été condamnée pour fraude à deux mois de prison et 7 684,90 euros de dommages et intérêts à verser à la Métropole de Lyon pour rembourser les dépenses sociales.

Ruth a été incarcérée à la maison d’arrêt de Lyon-Corbas. Dans les jours qui ont suivi, sa soeur Thérèse a été elle-même condamnée puis incarcérée pour fraude. Ses empreintes ayant été retrouvées dans le fichier Visabio (fichier des données biométriques des demandeurs de visas) où elle apparaît sous une autre identité et majeur.

Quatre députés en prison

Ce mardi matin, quatre députés leur ont rendu visite en prison, avant de tenir une conférence de presse. A savoir :

  • deux députés PS « frondeuses » : Fanélie Carrey-Conte (députée de Paris) et Barbara Romagnan (députée du Doubs)
  • deux députés écologistes : Sergio Coronado (député EELV des français de l’étranger) et Noël Mamère (député ex-EELV de Gironde).
Déplacement des quatre députés à Lyon sur la question des testes osseux. Ici, dans les locaux de la Ligue des Droits de l'Homme. De gauche à droite : Julien Lambert (avocat), Noël Mamère, Sergio Coronado, Barbara Romagnan, Fanélie Carrey-Conte. ©LB/Rue89Lyon
Déplacement des quatre députés à Lyon sur la question des testes osseux. Ici, dans les locaux de la Ligue des Droits de l’Homme. De gauche à droite : Julien Lambert (avocat), Noël Mamère, Sergio Coronado, Barbara Romagnan, Fanélie Carrey-Conte. ©LB/Rue89Lyon

 

Cette opération co-organisée par le Réseau éducation sans frontières (RESF) est le prolongement d’une campagne lancée en janvier dernier pour faire interdire ces tests osseux.

Et l’enjeu est particulièrement important à Lyon où les cas comme ceux de Ruth et sa soeur se sont multipliés.

Selon Julien Lambert, avocat au barreau de Lyon, il y aurait « environ trois cas » par semaine d’étrangers qui prétendent être mineurs qui passent en comparution immédiate.

Poursuivre ces jeunes immigrés est le fruit d’une politique pénale réfléchie, comme Rue89Lyon l’exposait en mai 2014. Pour faire face à l’augmentation des arrivées de ces mineurs isolés étrangers depuis 2012, le conseil général du Rhône, le procureur de la République de Lyon et la PAF se sont réunis pour définir une réponse pénale qui passe par l’utilisation très régulière de ces tests osseux.

Tous les départements de France confrontés à une augmentation de ces arrivées n’ont pas agi de la sorte.

Pour le député écolo Noël Mamère, Lyon est « emblématique » de ce qui se développe progressivement nationalement. RESF parle d’une « avant-garde lyonnaise ». Michèle François :

« Dans les autres grandes villes, il y a quelques condamnations à de la prison ferme. Mais plus souvent, après des tests osseux, les jeunes sont remis à la rue ».

Des tests osseux hautement controversés

Ces quatre députés veulent faire adopter un amendement lors de l’examen de la proposition de loi sur la protection de l’enfance, en seconde lecture le 19 novembre prochain. Reprenant l’argumentaire des associations comme RESF, la Cimade, Médecins du Monde ou la Ligue des Droits de l’Homme, ils demandent l’interdiction de ces tests :

« Ce type d’expertise médicale est contesté sur le plan scientifique et éthique par les médecins, parce qu’ils s’appuient sur l’atlas de Greuliche et de Pyle, un outil de comparaison fait sur des populations blanches, de milieux aisés, et effectuées aux États Unis dans les années 1930. »

Ils s’appuient notamment sur quatre avis récemment rendus sur le sujet :

  • En 2005, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) « confirme l’inadaptation des techniques médicales utilisées actuellement aux fins de fixation d’un âge chronologique ».
  • En décembre 2012, le Défenseur des Droits recommandait notamment que les tests, « compte tenu de leur fiabilité déficiente eu égard à d’importances marges d’erreur, ne puissent à eux seuls servir de fondement à la détermination de l’âge du mineur ».
  • Dans un avis du 23 janvier 2014, le Haut conseil de la Santé publique avait également tranché : « L’estimation d’un âge osseux (méthode le plus souvent utilisée) ne permet pas de déterminer l’âge exact du jeune lorsqu’il est proche de la majorité légale. »
  • Plus récemment, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), dans un avis du 24 juin 2014 « recommande fermement l’interdiction des tests osseux ».

Des députés socialistes, une fois de plus, « fâchés » avec le gouvernement

Mais cet amendement a peu de chance d’être adopté.
Lors de l’examen en première lecture de la proposition de loi sur la protection de l’enfance, en mai dernier, quatre députés (dont déjà les deux écolos Noël Mamère et Sergio Coronado) avait déposé ce même amendement.

Mais le gouvernement avait fait passer, en face, son propre amendement pour, au contraire, autorisé légalement ces mêmes tests osseux qui, jusque là, ne font l’objet que d’une circulaire.

Les deux députés PS « frondeuses » se disent « fâchées » sur le sujet avec le gouvernement. Barbara Romagnan s’interroge tout haut :

« Comment peut-on arriver à mettre dans la loi cette pratique des tests osseux aussi contestables ? Pourquoi dépenser autant d’argent et d’énergie ? Quand bien même ces jeunes ont menti, ce sont des personnes qui ont fui la misère et des conflits ».

Sa collègue socialiste, Fanélie Carrey-Conte, cite l’exemple du Royaume-Uni qui n’utilise pas les tests osseux pour déterminer l’âge mais une « évaluation pluri-disciplinaire avec notamment un psychologue ».

Face à ces députés « frondeurs » et aux associations, le gouvernement socialiste semble davantage sensible aux propos des députés « Les Républicains, comme Eric Ciotti, qui, au contraire, « fait l’éloge des tests osseux » et demande qu’il soit plus facile de les pratiquer.


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