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Au Musée des Confluences, on passe l’art à la machine

Avec son ambition théorique démesurée et son parcours de plus de deux siècles de création à travers 200 œuvres et objets, l’exposition « L’Art et la machine » proposée par le Musée des confluences jusqu’au 24 janvier, est une véritable usine à gaz. Le visiteur, un peu déboussolé, y découvrira cependant des œuvres fortes et des pistes de réflexion.

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Au Musée des Confluences, on passe l’art à la machine

Cleveque / Chagrin
Cleveque / Chagrin

Vouloir retracer les relations entre la création artistique et le monde des « machines » – terme étrangement jamais défini dans l’exposition ; Le Robert indique : «objet fabriqué, généralement complexe, destiné à transformer l’énergie et à utiliser cette transformation» – de la fin du XVIIIe siècle à aujourd’hui tient de la gageure et les commissaires de l’exposition en sont conscients.

Claudine Cartier et Henry-Claude Cousseau ont ainsi délibérément écarté le design, l’automate ou le robot, la bande dessinée et la guerre de leur propos. Mais la période retenue est encore tellement vaste et ambiguë qu’il en devient par exemple frustrant de ne voir le futurisme évoqué qu’à travers une unique toile de Luigi Russolo,  l’impressionnisme par une œuvre de Claude Monet, le constructivisme russe ou le Bauhaus réduits à peau de chagrin…

Les commissaires semblent aussi partir du principe que chaque visiteur connaît les premières réactions négatives (romantiques notamment) des artistes vis-à-vis de la machine, antinomique a priori du geste artistique unique, désintéressé, mû par l’imaginaire et baigné d’une certaine aura. En mettant de côté le thème de la guerre, les commissaires occultent encore, de fait, une part éminemment critique du regard artistique sur les machines de destruction, la mécanisation des conflits, l’industrialisation de la mort – lors de la Première et, surtout, de la Seconde Guerre Mondiale…

Bref, les nuances et le négatif ne sont pas de mise, et il vous faudra vous plonger dans le catalogue (riche de ce point de vue) pour creuser ces questions. L’exposition, elle, se contente d’évoquer à grands traits l’histoire des rapports de l’art et de la machine, d’ouvrir quelques pistes, à travers quelques 200 objets et œuvres d’art, dont certaines assez exceptionnelles.

Machines abstraites

La scénographie nous plonge d’emblée dans une sorte de pénombre épaisse qui ira peu à peu en se dissipant. De la nuit au jour, de la fin du XVIIIe siècle à nos jours, L’Art et la machine montre d’abord quelques machines anciennes (vélo, aéroplanes, moteurs, etc.) puis suit la chronologie de l’histoire de l’art tout en dégageant quatre grands chapitres thématiques (« Fascination de la machine », « La machine : un modèle ? », « La machine à l’œuvre », « Machines en rêve »).

Le XIXe siècle est assez rapidement traité avec, d’une part, des tableaux réalistes peu connus représentant des forges et des houillères et, d’autre part, quelques toiles de gares et de trains dont l’une signée Claude Monet. La révolution industrielle est en marche et les artistes de cette époque, épris de naturalisme et de réalisme, témoignent au fond assez simplement des métamorphoses de leur temps.

Il faut attendre Marcel Duchamp et Francis Picabia pour que la machine ne soit plus restreinte à un motif, mais qu’elle aille jusqu’à bouleverser le champ artistique lui-même. Avec Duchamp et ses ready-made, c’est ainsi la conception qui prend le pas sur le faire. L’art redevient cosa mentale (chose de l’esprit, selon l’expression de Léonard de Vinci pour la peinture) et l’artiste une sorte d’ingénieur. Mais Duchamp gardera aussi vis-à-vis des machines, comme son maître l’écrivain Raymond Roussel, une attitude très ironique que l’exposition n’explore pas. Avec Picabia, portraiturant un Fiancé sous forme d’un simple rouage, la machine permet de faire malicieusement voler en éclats les vieux codes de la peinture et de la beauté.

L’exposition ménage à ces deux artistes deux espaces importants et bascule alors, visuellement, vers des œuvres (peintures, sculptures, photographies…) où la figure humaine disparaît presque totalement au profit de pistons, boulons, roues…

L’effet est assez étourdissant et l’on devine alors, par exemple, l’importance qu’a pu avoir le modèle de la machine dans la naissance de l’art abstrait en redécouvrant des travaux de Fernand Léger, Frantisek Kupka ou Victor Servranckx. On en oublierait pour un peu l’apport des arts primitifs qui, eux aussi, ont joué un très grand rôle dans la naissance de l’art moderne, tant l’exposition fonctionne en ligne droite et oublie de contextualiser les choses.

Machines délirantes

Après les avants-gardes du début du XXe siècle, on baguenaude parmi divers courants s’emparant (pour des fins descriptives, esthétiques ou autres) de la machine : les nouveaux réalistes (Arman, César), le pop art ou l’art brut. Toute une section est consacrée à la photographie (avec des clichés superbes de Alfred Stieglitz ou de Paul Strand) et au cinéma, où la machine est elle-même devenue un médium de création.

Enfin, dernier chapitre de l’exposition, un vaste espace s’ouvre sur la création contemporaine dans une sorte de grand méli-mélo, où l’on passe allègrement des machines utopiques de Panamarenko à la vanité impressionnante de Bertrand Lavier (sous forme d’une voiture violemment accidentée), du monument en hommage à la roue du chinois Aï Wei Wei aux photographies glaçantes des Becher ou de Thomas Struth, du délire mécanique de Jean Tinguely (dont un monumental Meta-Maxi de douze mètres de long créé en 1986) à une installation mi-funéraire mi-poétique de Chen Zen...

Un joyeux foutoir où, encore une fois, nous découvrons nombre de pièces passionnantes partant un peu dans toutes les directions : le constat historique de la fin de l’ère industrielle occidentale, l’utilisation de la machine comme symbole ou comme simple élément de création, le regard ironique ou fasciné, la machine comme modèle de création autonome se passant de la subjectivité humaine ou comme modèle d’aliénation… Le visiteur est, pour ainsi dire, lâché dans la « nature » et perd vite le fil théorique de l’exposition.

Dans le catalogue, l’historien de l’art Maurice Fréchuret synthétise heureusement les choses de manière lumineuse :

« La machine est au cœur de nombreuse problématiques artistiques. La représenter dans les œuvres a été sa première forte incursion. L’intégrer à l’œuvre en utilisant ses ressources et en mettant à profit ses propriétés marque une étape supplémentaire dans le processus artistique. La vivre en adoptant son mode de fonctionnement est le point ultime de son rapport à l’acte créateur. Entre ces trois états spécifiques, il y a, bien sûr, toutes les nuances possibles. »

Exposition jusqu’au 24 janvier 2016, au Musée des Confluences.

Par JED sur petit-bulletin.fr.

 

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