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Blog du Taulard #47 : « En prison, on souffre de l’absence de rencontre avec le beau »

« On est dans la désespérance morbide tant qu’on n’a pas trouvé le beau ». Cette phrase que j’ai entendue dans l’émission de La Grande librairie m’a électrocuté comme une évidence que je connaissais depuis toujours mais que je n’avais jamais vraiment perçue, parce que je ne me l’étais jamais formulée.

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Peinture réalisée en prison en Turquie. Source : association Art et Prison France.

Une fois le choc de la mise en présence passé, le cheminement intérieur de cette conscientisation a ouvert une infinité de portes et a dévoilé une réalité seulement pressentie.

Peinture réalisée en prison en Turquie. Source : association Art et Prison France.
Peinture réalisée en prison en Turquie. Source : association Art et Prison France.

Tous, toi y compris, lecteur, avons, au moins une fois, reconnu quelque chose qu’on avait en nous depuis toujours, qui était déjà là, mais sur laquelle on n’avait jamais mis de mots, qui restait enfouie dans cet instinct évanescent, comme une brume qui se déchire aux souffles haineux du monde.

Mais il faut se mettre d’accord sur le beau. Il ne s’agit pas d’esthétique. Il ne s’agit pas non plus du surgissement d’une émotivité hystérisée qui n’aurait de vie que l’ombre d’un instant, comme l’agitation autour des migrants devenus réfugiés ou au défilé des charlots derrières les dictateurs.

Je crois que le beau est ce qui nous relie véritablement au vivant. Il peut bien sûr se trouver dans l’art, mais pas que, loin s’en faut. Le beau, me semble-t-il, est ce qui nous met en relation avec ce qu’est le parfaitement pur, le parfaitement vrai, où l’on prend conscience que la vie est un miracle réel. C’est le lien qui confirme ce qu’on attend depuis toujours et que pourtant on a délaissé depuis presque toujours.

Et bien sûr il est propre à chacun. Cela ne peut être qu’une expérience unique, difficilement partageable et pratiquement intransmissible.

Les murs de béton éloignent de l’espoir de rencontrer le beau

Il faut ensuite repérer ce qu’est la désespérance morbide. Ce n’est pas forcément l’envie de suicide. Cela peut être l’avidité du superficiel, de l’apparence, de l’artifice, de la croyance aux codes sociétaux, aux stéréotypes qui entraînent dans la frénésie de l’acquisition, de l’avoir. Voilà, la désespérance c’est, certainement, être possédé, au sens de l’envoûtement, surtout si cette possession se déguise avec les oripeaux des qualificatifs normés et prend l’image de fausses vertus comme le mérite par exemple ou la récompense.

Et je pense que ceux qui sont en prison, non seulement sont ceux qui souffrent le plus de l’absence de cette rencontre et se rebellent contre la moutonnerie ambiante, ce qui les conduit en taule. Mais les murs de béton les éloignent encore plus de cet espérance inconsciente.

Car, comment se peut-il qu’aujourd’hui l’éthique déserte à ce point les relations entre les gens, soit une essence en voie de disparition ? Comment peut-on supporter la photo totalement pornographique d’un gamin mort sur une plage qui déclenche une démagogie où on ne traite que des conséquences d’un processus mille fois plus dégueulasse que la photo elle-même ?

Dans cette ambiance où l’on prostitue l’affect, celui-ci confondu avec le sentiment, pourquoi les mecs des ghettos prendraient-ils des gants ? Parler de la valeur travail quand les salariés sont des charges kleenex pour l’entreprise et que le mec se fait ses 1 000 euros par jour en vendant son shit ?

Raconter que ce n’est pas bien de voler quand les nantis s’en foutent plein les fouilles ? Respectez l’autre quand l’islamophobie bat son plein et que taulard un jour taulard toujours s’applique aussi implacablement que la marque au fer rouge ? Invoquer la noblesse de la justice lorsqu’elle épargne les gens de pouvoir et qu’elle trahit elle-même les lois au nom desquelles elle condamne à longueur d’année et s’arrange du travail au noir ?

C’est la pulsion sadienne décrite dans La Philosophie dans le boudoir qui prend le dessus : nul ne peut entraver ma volonté de plaisir.

Où sont les blacks et les beurs dans les rassemblements militants ?

Dans les rassemblements militants, les grandes messes de gauchos, des anars et autres, où sont les beurs, les blacks et gens des ghettos ? Ils n’y sont pas. Aujourd’hui, il faut être un illuminé pour imaginer un seul instant une possible bienveillance de la communauté, un accueil de l’autre sans jugement, des relations sans concurrence. La violence de cette société nous amène à la violence, elle est là la radicalisation réelle.

Des preuves ? Il faut qu’une soixantaine de gens du voyage bloque une autoroute plus de 12h pour qu’un juge d’application des peines signe la permission de sortir d’un jeune afin qu’il assiste à l’enterrement de son père. C’est le refus, à Nancy, de libération d’un homme en phase terminale d’un cancer au point que la chimio a été arrêtée.

Ce sont plusieurs familles qui attendent des explications depuis des années de la mort de leur fils en cellule. La liste est si longue.

La connexion entre le beau et l’éthique

Elle est là la connexion entre le beau et l’éthique. C’est grâce au beau qu’on peut la développer ! Il n’y a qu’à partir de là qu’elle prend sens.

Si le beau est submergé par une distraction, une lubie, un machin de rêveur, un groupuscule qui refait le monde sans lien, bref un truc autour duquel on se mobilise vainement, alors il faut s’attendre à un durcissement de la violence dans une course à l’échalote avec la répression, accompagné d’un ânonnement de morale béni-oui-oui.

Si l’on veut espérer, ne serait-ce qu’un peu, à, non pas une évolution ni une révolution mais à un renversement de notre vivre ensemble, alors, je te le dis, lecteur, droit dans les yeux, cela commencera par l’abolition de la prison car elle est l’entonnoir où se cristallise le concentré des dysfonctionnements où se cachent tous les mensonges, toutes les hypocrisies, les forfaitures, les lâchetés et les saloperies sans nom à côté desquels les délits des mecs qu’on enferment sont du pipi de chat.

C’est en réfléchissant à l’abolition de toutes punitions, qui ne sont, je le répète, que du dressage sans conscience, qu’on peut alors avoir une idée de comment faciliter les conditions pour que chacun se trace le chemin qui mènerait au beau, qui au moins en déclencherait la soif, l’appétence.

 

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En prison. Crédit : Sébastien Erome/Signatures.

Photo : Sébastien Erome / Signatures.

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