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Blog du taulard #45 : les vacances que je n’ai pas eues en prison

L’été est là, le soleil cogne, c’est le moment d’aller faire trempette en vacances. Mes chroniques vont donc être en stand by en août. Une petite crique discrète, à poil sous l’ombre d’un arbre avec le clapotis des vagues comme musique de fond, c’est une image que je n’ai jamais eue dans ma cellule.

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Blog du taulard #45 : les vacances que je n’ai pas eues en prison

DR Vincent Arno sur flickr.
DR Vincent Arno sur flickr.

J’en étais à des années lumière et j’ai une sensation de surréalisme. En écrivant cela, j’ai l’impression d’être sur une autre planète. L’enfermement s’imprime dans le corps et dans l’esprit, par adaptation inconsciente de survie et je mesure que rien ne sera plus comme avant, jamais.

Si, comme le disent les donneurs de « la » (au sens musical du mot), tourner la page était la clé de la libération, ça se saurait. Il faut être hors-vie, c’est-à-dire complètement dans le monde, pour donner ce genre de conseil.

Par ailleurs ça donne à méditer sur ce qu’est vraiment la résilience. Boris Cyrulnik tente de l’expliquer, avec brio, dans ses derniers livres.

Mais entre la lire, y réfléchir, la supputer et le fait de la vivre vraiment, il y a une marge aussi large qu’un océan. C’est là où l’on voit bien que le savoir n’est rien à côté de l’expérience. L’expérience, elle, nous ouvre à la connaissance, autrement dit, à une autre naissance, concomitante à notre existence.

Mon ironie et la leur

Aussi, lorsqu’on évoque la prison, l’incarcération, je vois à quel point ceux qui en parlent sans y avoir été confrontés ne savent rien. La question se pose alors, à propos de notre capacité, non pas à entendre mais à écouter.

Comment sensibiliser son oreille, bouchée par le conditionnement, le formatage, les stéréotypes et l’apprentissage, pour qu’elle aille plus loin que la simple réception des mots dans le tympan.

Comment faire en sorte que la pensée carrée se taise et ne nous entraîne pas dans une sensiblerie émotive, pour laisser la place à une véritable sensibilité émotionnelle ?

C’est pourtant capital dans notre approche du réel et de la place de chacun dans le collectif. Tous ces juges, ces procureurs, comment peuvent-ils prendre en compte à la fois ce qu’il en est des victimes et ce qu’il en est de ceux qu’on appelle les infracteurs ?

J’ai toujours un sourire ironique lorsque je les entends affirmer qu’ils font de l’individualisation alors qu’ils assènent des peines. Ils sont tellement dans leurs certitudes qu’ils ne remarquent même pas qu’ils n’évoquent que leur misérable subjectivité, respectueuse des pouvoirs dominants.

Je ne parle qu’en mon nom

Ceux qui prétendent savoir ne connaissent pas, ils sont juste enfermés, cousus dans la peau du monde, comme des éperviers pris dans leurs propres serres. En vérité ils se contentent de manipuler les victimes d’un côté et de l’autre de sacrifier ceux qui sont déjà exclus du vivre ensemble pour justifier un ordre dont ils ne sont que les valets au salaire très confortable.

Outre le fait de dénoncer ce qui se passe dans les prisons, cette ignominie qui appartient à la même logique que celle du processus des camps, je témoigne pour montrer, au moins, que la façon dont les gens entendent parler des prisons, sans même évoquer cette dépendance à la loi du Talion que je signalais dans une chronique précédente, n’a rien a voir avec ce qui s’y passe réellement.

Par là, je comprends parfaitement comment certains prisonniers rentrant de ces camps à la fin de la guerre de quarante n’ont rien dit car ils savaient qu’ils ne seraient pas crus. Je ne m’illusionne donc pas en pensant qu’avec ce témoignage je vais être entendu et que les choses vont changer.

Non, je ne suis pas naïf. Car évidemment, ne parlant qu’en mon nom, les détracteurs seront toujours prêts, souvent avec férocité et hargne, (on le voit dans certains commentaires) à refermer les petites fissures que j’essaie de creuser dans le béton armé des esprits, avec le fol espoir d’ébranler la surdité ambiante.

La surpopulation, la déshumanisation, le manque de soins : des bouts de prison

Sortir des murs pour en retrouver d’autres, c’est rude. Je vois bien comment cela fonctionne, surtout du côté de ceux qui prétendent œuvrer pour l’amélioration des conditions de détention, les fameux réformistes, bien évidemment repris par les tenants du tout carcéral.

On n’évoque que des bouts de prison : les soins, qui effectivement sont plus que scandaleux, l’hygiène, qui effectivement dans les vieilles taules est une atteinte à la dignité, la surpopulation carcérale, qui est effectivement un effacement du respect de l’être humain, l’inhumanité des nouvelles prisons qui effectivement ne sont que des tombeaux, l’absence d’aménagement, qui effectivement produit la récidive à tire-larigot, l’absence du respect des lois de la part de la pénitentiaire, qui effectivement est au dessus de ces lois.

La liste serait longue si je voulais être exhaustif.

Mais, ce faisant, on éclate le problème en une infinité de sous problèmes pour éviter d’aborder la question globale de la prison et de son aberration. Elle fait trop peur ! La première preuve est l’inexistence de la réinsertion malgré les discours permanents des principaux acteurs de ce milieu qui n’arrêtent pas d’en parler comme pour conjurer et dissimuler le mensonge incessant.

Tromperie qui est en corrélation avec la suppression de tous les systèmes de prévention tels qu’ils existaient encore dans les années 80.

Oui, c’est la peur des dominants, des possédants, de ceux qui occupent le pouvoir qui empêche de remettre en cause cette pratique inique de la condamnation et de la prison. Ils veulent protéger leurs intérêts et donc doivent effrayer davantage qu’ils ne le sont. Ils surfent sur l’inquiétude générale d’un avenir plus qu’incertain où apparaissent leurs limites, pour ne parler que de sécurité et ainsi jouer les pousse au crime en encourageant la vengeance et la loi du talion.

Pourquoi ne te révoltes-tu pas ?

Mais pourquoi lecteur ne te révoltes-tu pas, si tu fais partie de ceux qui croient aux vertus du carcéral, lorsque tu vois en liberté les Balkany, les Copé, les Cahuzac et compagnie, quand on rend hommage à Pasqua en le qualifiant de républicain modèle alors qu’il a trempé dans toutes les sales affaires, du SAC aux ventes d’armes avec commission, où des millions d’euros sont brassés et que tu applaudis l’enfermement du gamin qui pique des broutilles ?

Je ne crois pas que je vais réussir à faire le break entre mes plongeons iodés et les apéros sympas avec mes potes. Je crois finalement que j’apprécierais davantage mes vacances si je ne tente pas de faire l’autruche, même un mois, et ma liberté n’en sera que plus belle.

 


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