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Propos racistes à l’encontre de profs : quelles sanctions dans les lycées ?

[Dans nos archives] Depuis quelques jours, des profs témoignent sous le hashtag #pasdevague des violences subies et de l’Éducation nationale qui a tendance à minimiser. Il y a trois ans nous racontions l’histoire d’une prof de maths. L’enseignante, soutenue par la CGT, avait engagé des poursuites contre le rectorat de Lyon pour « faute de service ». Trois ans après les faits, ce mercredi 24 octobre, l’affaire sera jugée par le tribunal administratif de Lyon.

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Les profs grévistes du lycée professionnel Tony Garnier au premier jour de leur grève, le 5 mai. ©LB/Rue89Lyon

Dans un lycée professionnel de Bron, en banlieue lyonnaise, une prof a subi pendant plusieurs mois les remarques racistes de certains de ses élèves. Ses collègues ont fait grève cinq jours pour demander un conseil de discipline et la reconnaissance officielle du caractère raciste des propos. Proviseur comme rectorat ont refusé d’aller dans ce sens.

Comment l’Education nationale doit-elle répondre aux propos racistes d’élèves à l’encontre de profs ? C’est la question posée par le lycée professionnel (LP) Tony Garnier de Bron, dans la proche banlieue de Lyon.

Ce qui s’y déroule n’est pas habituel et dénote d’un malaise certain.

Au mois de mai, une grande partie des profs de ce lycée pro se sont mis en grève, suite à l’absence de convocation du conseil de discipline pour des élèves qui avaient tenus des propos racistes à l’encontre de l’une de leurs collègues.

L'entrée du LP Tony Garnier de Bron. ©LB/Rue89Lyon
L’entrée du LP Tony Garnier de Bron. ©LB/Rue89Lyon


« On n’aime pas les étrangers mais on aime bien les étrangères »

Depuis le mois de décembre, cette prof de maths contractuelle de 36 ans d’origine algérienne a subi de la part de trois élèves des phrases du type « On n’aime pas les étrangers mais on aime bien les étrangères ». Ces mêmes élèves l’ont questionnée pour savoir si elle mangeait du porc. Et puis ce fut deux dessins. Le premier était un personnage caricaturé type « juif tête de chou, avec grandes oreilles et grand nez ». L’autre comportait un personnage à turban apparaissant « criblé de balle ».

En avril, un de ces trois élèves l’a « mise en joue » avec une règle. Un autre a tourné en dérision le premier « recadrage » du proviseur auquel les trois élèves avaient eu droit.

Au début du mois de mai, cette prof de maths, qui dit subir un véritable « harcèlement raciste », a rencontré le proviseur avec des collègues pour lui demander de réunir un conseil de discipline. Celui-ci a refusé en lui conseillant toutefois de porter plainte pour ces mêmes faits. A l’initiative de la CGT, une grève a été lancée pour soutenir la prof.

Les profs grévistes du lycée professionnel Tony Garnier au premier jour de leur grève, le 5 mai. ©LB/Rue89Lyon
Les profs grévistes du lycée professionnel Tony Garnier au premier jour de leur grève, le 5 mai. ©LB/Rue89Lyon

Y a-t-il consigne de réduire le nombre de conseils de discipline ?

Lors du premier jour de grève, une trentaine de profs (sur les soixante-dix que compte le LP Tony Garnier) se sont réunis devant l’entrée de l’établissement pour leur collègue. Celle-ci n’est pas venue. Ces profs ont évoqué également les insultes et menaces qu’ils ont pu subir et qui, selon eux, n’ont pas été sanctionnées comme elles auraient dû l’être.

Une enseignante de Lettres et Histoire a expliqué :

« Un conseil de discipline est un moment solennel où l’on fixe de nouveau le cadre. Notre collègue a eu le sentiment d’être abandonnée quand le proviseur a refusé de le convoquer. Elle s’est effondrée ».

Les profs grévistes ont expliqué cette absence de convocation du conseil de discipline par une directive du rectorat. « Il y a des consignes », affirme Olivier Frezza-Buet, prof de maths-sciences et représentant de la CGT éduc’action (syndicat majoritaire en LP) du lycée :

« On est passé de 37 conseils de discipline en 2011/2012 à 7 conseils cette année. C’est une manière de casser le thermomètre. Car il y a toujours autant d’incidents ».

Le proviseur du LP Tony Garnier balaie ces arguments. Pour lui, il s’agit de « ressenti » personnel, comme il l’a exposé à plusieurs reprises dans la presse locale, notamment à 20 Minutes :

«Les propos tenus par certains élèves en janvier étaient inappropriés et ont fait l’objet d’avertissements. J’ai pris la parole dans la classe pour leur rappeler les valeurs républicaines et j’ai convoqué les familles».

Il ne considère pas le dessin ni les propos tenus par certains lycéens comme racistes ou antisémites :

«C’était un dessin inapproprié. On ne doit pas dessiner en cours mais j’étais incapable de dire ce qu’il représentait ».

Difficile aujourd’hui de se faire une idée : le proviseur a jeté les dessins.

Najat Vallaud-Belkacem interpellée

Les élèves ont été exclus quelques jours, alors qu’il y avait une demande de conseil de discipline par les grévistes et la prof de maths.

Dans une lettre ouverte à Najat Vallaud-Belkacem, les profs ont « dénoncé » l’attitude de leur proviseur :

«Alors que la lutte contre le racisme et l’antisémitisme est proclamée grande cause nationale, comment accepter que notre hiérarchie cherche à décrédibiliser la parole de la victime au lieu de prendre ses responsabilités et de soutenir ceux qui sont en première ligne dans ce combat ?»

La Licra appuie la démarche de ces profs en qualifiant de raciste ce qu’a subi la prof de maths. Après une nouvelle journée de grève le 25 mai dernier, les profs ont pu rencontrer l’inspecteur d’académie. Olivier Frezza-Buet de la CGT éduc’action raconte :

« Après une heure et demi de discussion, il a reconnu du bout des lèvres qu’il s’agissait bien de propos racistes. Mais nous attendons toujours une reconnaissance officielle, par un écrit ».

Contacté, le rectorat n’a pas donné suite à nos demandes pour le moment. Depuis le 25 mai, il n’y a toujours aucun courrier de l’Education nationale allant dans le sens des enseignants.

Gérard Heinz, secrétaire académique Snpden-Unsa (principale organisation syndicale chez les chefs d’établissement) apporte son soutien au proviseur du lycée brondillant :

« En la matière, un conseil de discipline n’apporte rien car il faut que les élèves comprennent les propos tenus. Il vaut mieux les emmener au Centre d’histoire et de la déportation (CHRD) ou à la Maison d’Izieu. »

Dire « suce-moi » à une prof vaut-il un conseil de discipline ?

Selon la CGT éduc’action, le LP Tony Garnier de Bron n’est pas un cas isolée. Le 20 mai, à l’appel de la CGT mais aussi du SNES et de SUD, une cinquantaine de profs, principalement de lycées professionnels, se sont rassemblés devant les grilles du rectorat, rue de Marseille (Lyon 7e). Comme leurs collègues de Bron, ces enseignants évoquent des « consignes du rectorat » tendant à ne pas multiplier globalement les sanctions.

Un prof d’anglais du LP Edmond Labbé d’Oullins raconte :

« En début d’année scolaire, le proviseur nous a dit qu’il avait des consignes de la rectrice pour limiter les conseils de discipline aux agressions physiques ».

Plus globalement, la dizaine de profs d’Oullins égrainent les incidents qui selon eux auraient dû être sanctionnés. Comme ces propos sexistes rapportés :

« Des élèves d’une collègue stagiaire lui ont dit « t’es trop jolie, t’as de beaux yeux, viens me réchauffer ». La collègue en a fait part au proviseur. Il n’y a eu aucune réponse. Idem, des élèves poussent des cris d’animaux. Aucune sanction. On a l’impression que notre lycée se dégrade ».

Un autre prof veut des « conseils de discipline en début d’année » :

« On pourrait en faire un ou deux avant les vacances de la Toussaint pour que les élèves sachent à quoi s’en tenir. On ne veut pas virer tout le monde mais faire un peu peur. Cela peut permettre de sauver une classe. Les élèves sont aussi victimes de certains éléments perturbateurs ».

Des profs du LP Marc Seguin de Vénissieux sont venus avec un panneau « Dire « suce-moi » à une prof, pas si grave pour le rectorat » (voir photo ci-dessous).

Les pancartes des profs du LP Marc Seguin de Vénissieux. ©LB/Rue89Lyon
Les pancartes des profs du LP Marc Seguin de Vénissieux. ©LB/Rue89Lyon

Ils racontent l’histoire d’une de leurs collègues. En février 2015, deux élèves lui ont dit « suce-moi ». Un conseil de discipline a été convoqué par le proviseur. Un des lycéens a reconnu les faits et a écopé d’une exclusion avec sursis. Le deuxième été exclu définitivement. Mais le rectorat a cassé cette exclusion. Un prof raconte :

« Ça a été extrêmement délicat. L’élève est revenu en disant à tout le monde « j’ai été soutenu par le rectorat » alors qu’il était déjà scolarisé ailleurs. »

C’est quoi une « une école bienveillante » ?

Le rectorat de Lyon réfute l’idée selon laquelle il y aurait eu des « consignes » pour limiter le nombre des conseils de discipline. La porte-parole de l’académie de Lyon insiste sur la notion d’ « école bienveillante », dans un mail qu’elle nous a envoyé :

« Dans le cadre d’une école exigeante, bienveillante et inclusive (loi de refondation de l’Ecole de la République de juillet 2013), la rectrice de l’académie de Lyon a engagé les chefs d’établissement à être attentifs aux conseils de discipline pouvant conduire à des exclusions temporaires ou définitives. Un conseil de discipline, entendu comme outil éducatif, peut jouer pleinement son rôle, dès lors qu’il ne débouche pas systématiquement sur une exclusion. »

Cette notion d’« école bienveillante » a notamment été déclinée dans le Contrat d’objectifs entre l’académie de Lyon et l’administration centrale. Le rectorat de Lyon y annonce deux objectifs :

  • « prévenir l’exclusion en promouvant une école bienveillante »
  • et « en matière de sanctions, trouver des alternatives à l’exclusion définitive. »

Le représentant des chefs d’établissement, Gérard Heinz, va dans le même sens :

« Il n’y a pas eu de consigne pour limiter le nombre de conseils de discipline. C’est l’effet mécanique de la circulaire de mai 2014 qui fixe une gradation dans la sanction. Auparavant, les textes n’étaient pas aussi précis. Souvent les enseignants ne comprennent pas qu’il faille par exemple des menaces réitérées pour convoquer un conseil de discipline. A Tony Garnier, les élèves n’avaient par d’antécédent. »

Dans son établissement, le nombre de conseils de discipline est passé de dix à deux par an :

« Les profs veulent couper des têtes. Mais les conseils de discipline, c’est comme la peine de mort, ça n’a aucun effet dissuasif ».

Le représentant départemental de la CGT éduc’action, Samuel Delor, développe une toute autre lecture :

« Cette notion d’école bienveillante est un objectif partagé. Evidemment. Mais la manière dont est mise en place cette politique aboutit à minimiser les faits pour diminuer artificiellement les chiffres de conseils de disciplines et d’exclusion. Par ailleurs, les exclusions définitives, dès lors qu’elles sont assorties d’une scolarisation dans un autre établissement, pour ne pas que l’élève se retrouve à la rue, peuvent être bénéfiques ».

Il ajoute :

« Auparavant, une insulte à l’encontre un prof, et encore plus quand elle était raciste, emmenait directement l’élève devant le conseil de discipline. Aujourd’hui, la manière dont est appliquée la circulaire par les proviseurs et le rectorat aboutit à une automaticité inverse : on écarte a priori les conseils de disciplines pour les propos racistes et sexistes ou pour tout autre propos insultant ou menaçant. Nous ne voulons pas davantage de conseils de discipline mais au moins que cette possibilité demeure. Pour les élèves, c’est l’étalon de la sanction même s’il doit rester le dernier recours ».

Malgré la circulaire de mai 2015, une zone de flou semble ainsi entourer la politique disciplinaire qui, au final, dépend de chaque proviseur. Un prof du LP Martin Luther King, dans le 9e arrondissement de Lyon, compare deux cas :

« D’un côté, un élève a été exclu définitivement pour absentéisme. D’un autre côté, une élève qui a insulté et menacé une prof a été mise en stage en guise de sanction. On ne comprend pas la logique. On fait preuve d’autoritarisme avec certains alors qu’on va se coucher devant des élèves qui jouent les caïds. »

Ce prof évoque sa « souffrance » et celle des élèves :

« Le proviseur me dit que je dois être « bienveillant ». Ça fait vingt ans que j’exerce ce métier dans un lycée difficile. C’est un choix. Et là, j’ai l’impression que je fais mal mon travail. On me dit qu’il faut que mes classes soient calmes et en même temps, il faudrait moins exclure les élèves de cours. C’est complètement paradoxal. Même les élèves se plaignent et nous disent « les élèves qui gueulent le plus, on les laisse tranquille ». »

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Dans une classe de la cité scolaire Elie Vignal à Caluire. Crédit : Adeline Charvet.
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