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Pierre Hinard, lanceur d’alerte sur l’industrie de la viande, nous rend visite à Lyon

Avec son livre paru en 2014, Omerta sur la viande, il a jeté un pavé dans la mare. Pierre Hinard, ingénieur agronome et éleveur en Loire-Atlantique, y a dénoncé avec force détails des pratiques révoltantes au sein de l’entreprise de transformation de la viande dans laquelle il a travaillé en tant que directeur qualité.

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Pierre Hinard. DR

Il révèle dans son ouvrage la complaisance d’au moins un grand distributeur, Auchan, et donne même le contexte et l’origine d’une véritable crise sanitaire chez Flunch. Un an plus tard, les règles de contrôle et de vigilance sanitaires des services de l’Etat n’ont pas bougé d’un iota.

Plusieurs acteurs mis en cause par Pierre Hinard sont aujourd’hui mis en examen. La procédure prud’hommale qui l’oppose à Castel Viande devrait quant à elle aboutir à un procès en décembre 2015.

Vous pourrez rencontrer Pierre Hinard à Lyon ce dimanche 7 juin, il sera l’un des invités de l’événement Meat me que Rue89Lyon co-organise avec les Subsistances. Nous l’avons interviewé à la veille de sa venue, pour un échange dans lequel, comme à son habitude, il n’a pas mâché ses mots.

Pierre Hinard. DR
Pierre Hinard. DR

Rue89Lyon : A quoi ressemble votre vie aujourd’hui ? Êtes-vous toujours à Châteaubriant ? Comment se passent vos relations avec le voisinage, quand on sait qu’une marche avait été organisée pour défendre « la réputation et les emplois » de l’entreprise Castel Viande, au moment de vos révélations ?

Pierre Hinard : Je vis toujours à moins d’un kilomètre de l’entreprise. J’ai eu cinq menaces de plaintes avant la sortie du livre, de tous les grands distributeurs -de Flunch, de Mac Do, de Viol (la famille propriétaire de l’entreprise Castel Viande, ndlr), de Auchan. Ils ont fait monter la pression, jusqu’à la veille de la sortie du livre. Mais je n’ai jamais rien reçu.

Et finalement les choses se sont inversées une fois le livre paru. La presse locale qui était contre moi, qui me qualifiait d’ « ex-cadre calomniateur », a finalement fait sa Une sur mon bouquin en en publiant les phrases les plus dures. Il y a un an, personne ne voulait connaître la vérité. Mais cela a fait du bien, les gens de la région ont acheté le livre pour se faire une idée.

« Quand Auchan fait de la pub pendant les émissions de Top Chef, sur M6, pour vanter l’excellence de ses viandes, il y a de quoi tomber de sa chaise »

Après votre témoignage « choc » -et c’est peu de le dire- vous avez été largement sollicité par les médias. Vous avez découvert un autre univers dans lequel l’intérêt n’est pas toujours de révéler ou de dénoncer.

En se confrontant au domaine des médias, on s’aperçoit que trop souvent, certains se cantonnent au sensationnel, en enlevant les références trop précises, éprouvées, déjà évoquées par d’autres (notamment par France 5 ou France Inter). L’idée pour eux est de ne surtout pas nuire à leurs annonceurs. Notamment TF1 qui me l’avait fait dire par une attachée de presse.

Croyez-vous encore qu’il soit possible de produire de la viande de façon digne et propre (que ce soit au niveau des employés, des animaux et des consommateurs) ?

Oui, c’est possible. Le fait que je sois lanceur d’alerte et qu’il y ait eu tout ça ensuite, ce n’est qu’un incident dans ma vie. Parce que ma vie à moi, ça a toujours été de développer une filière propre et digne, respectueuse de l’animal, de la santé des hommes et de la terre. J’ai consacré toute ma vie d’agronome à cela. J’ai mis en place un site internet de vente en circuit court (leboeufdherbe.fr), les consommateurs achètent directement aux fermiers et aux éleveurs qui sont sur des systèmes herbe, que l’on regroupe et dont je fais partie (je suis éleveur de vaches Salers).

Mais une filière industrielle, dédiée à la grande distribution, qui serait digne et propre, c’est impossible ?

Disons que le système est pervers. Bien sûr que les industriels en ont la capacité. Par exemple, chez Viol, ils ont toujours fait beaucoup de merde alors qu’ils ont un outil qui est excellent. Ils avaient des chefs d’ateliers qui avaient la volonté de bien travailler. Mais bien sûr quand le patron reçoit des visiteurs, il fait voir un robot flambant neuf, il ne fait évidemment pas voir la congélation, décongélation, recongélation, décongélation de la viande, ni le recyclage des rebus et des invendus.

« Le plus important, c’est de réduire la chaîne ! C’est d’aller chez un boucher, dont vous avez la preuve qu’il achète lui-même ses animaux. »

Ce dont vous avez été le témoin n’est-il pas généralisé dans les usines de fabrication de viande, au regard des objectifs de rendement de la grande distribution ?

Si, le problème est là. Si vous regardez le rapport de la cour des comptes sur les manquements du ministère de l’Agriculture (en mai 2014, ndlr), on y dénonce déjà le risque sanitaire lié à une course au profit.

Une bonne illustration, c’est l’attitude d’Auchan entre la période où ils ne savaient pas et celle où ils ont appris la méthode de travail de Castel Viande, que je suis allé leur révéler, en personne. Auchan n’a même pas saisi les services de l’Etat, et a préféré se servir de mes informations pour sa négociation commerciale avec Castel Viande, pour faire encore baisser les prix. Et quand Auchan fait de la pub pendant les émissions de Top Chef, sur M6, pour vanter l’excellence de ses viandes, il y a de quoi tomber de sa chaise, ils ne manquent pas d’air.

Quelles sont les alternatives aujourd’hui pour le consommateur, selon vous ?

Vraiment, le plus important, c’est de réduire la chaîne ! C’est d’aller chez un boucher, dont vous avez la preuve qu’il achète lui-même ses animaux, à la ferme, directement. Il y a aussi suffisamment d’éleveurs en vente directe, sur les marchés, sur des sites Internet. Ou à la ferme, ça vous permet d’aller faire le plein une fois par mois ou tous les trois mois et de profiter d’une visite, de vous promener à la campagne, d’avoir la satisfaction de donner de la valeur ajoutée à celui qui le mérite, qui se lève le matin en prenant en considération votre santé.

On l’oublie trop souvent, sauf quand la maladie vous rappelle à l’ordre : plus important que le médecin, c’est l’agriculteur. C’est lui qui est le premier maillon de la chaîne dans la constitution de votre santé. En fonction de la façon dont il produit, il vous mettra en état de maladie ou de santé.

Le message est de ne pas faire confiance et de reprendre sa santé en main. Quand vous voyez le nombre de témoignages sur mon blog, qui ont été postés à la suite de la sortie de mon livre. Il y a des techniciens vétérinaires, qui me disent « j’ai été 10 ans en poste chez Charal, votre histoire, c’est la mienne »… Les gars font des burn out, à cause de ce qu’on leur fait faire ! L’un d’eux a fait 15 jours d’hôpital psychiatrique. Il m’a appelé parce que ça lui faisait du bien de lire mon livre, de voir quelqu’un battre le fer.

« En raccourcissant la chaîne, je vends une viande d’exception pas plus chère que la merde de grande surface. » 

Des accords sur le prix de la viande sont discutés actuellement, quelle chance les éleveurs ont-ils de se faire entendre, quelles perspectives selon vous ?

J’ai été destinataire de mails et des sms de la FNSEA (fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, ndlr), disant qu’il fallait se mobiliser, bloquer les abattoirs pour provoquer une remontée des prix. Puis j’ai reçu un autre sms nous disant « on suspend ». Mais je n’ai pas vu les prix remonter, moi. Vous savez ce que c’est, ça ? C’est du théâtre. C’est la grande maison, la FNSEA, à cause de qui l’agriculture est autant dans la merde. On leur doit la politique agricole actuelle. Depuis 40 ans, elle fait la pluie et le beau temps sur l’agriculture, ils ont fait nommer tous les différents ministres.

Nous n’avons donc pas les bons interlocuteurs, les bons représentants, selon vous, pour faire évoluer l’agriculture en France ?

Non ! Moi je suis certain que l’initiative sera citoyenne, comme ce que vous comptez faire, à Lyon. Elle ne viendra pas de nos politiques, ils sont corrompus par tous ces lobbies. Ils se foutent de la gueule du consommateur, il est une variable d’ajustement. On fait de la viande une vraie poudrière :

  • 1, on fait un système d’élevage qui détruit la planète, parce qu’on fait bouffer des OGM aux bêtes, qui sont le premier facteur de déforestation de l’Amazonie,
  • 2, on intensifie la production de viande par le méthane, qui est encore plus réchauffant que le CO2, c’est catastrophique.
  • 3, derrière cela, il existe une concurrence sur les céréales : on les donne en premier aux cochons et aux vaches, on fait passer les animaux devant les Africains et les Indiens.

On doit réduire la consommation de viande et la payer le prix qu’elle vaut. Moi, en raccourcissant la chaîne, je vends une viande d’exception pas plus chère que la merde de grande surface. Mon savoir-faire d’agronome, je l’applique chez moi, je n’achète rien, j’ai sûrement les charges les plus compressées de France. En faisant de la vente directe, je m’en tire.


#Agriculture

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